Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Bacchus et les Suisses

1991

Une exposition du Musée de la Vigne et du Vin qu’il faut absolument voir !

Non, l’association entre un dieu antique et un peuple bien vivant n’est pas une utopie, même en cette année du 700e anniversaire de la Confédération. Si les Suisses à priori ne vénèrent plus Bacchus en lui rendant un culte, ils savent pourtant l’honorer dans des proportions fascinantes.

Entre l’image de Dionysos beau, jeune, envoûtant, et celle de Bakos (un des multi­ples noms grecs du dieu, celui qui a été retenu par les Romains), gros, joufflu, barbu, nombreuses sont les subtilités du personnage dont nous avons perdu la signi­fication tout en conservant l’inconscient. Gardons seulement à l’esprit les deux visages du dieu, le Dionysos séducteur, le Bacchus convivial.

L’exposition s’ouvre ainsi sur ces deux pré­sences antagonistes dont la finalité est pourtant la même. Elles incitent l’une et l’autre à la boisson, voire à la débauche, même si les libations des Grecs ne doivent pas être comparées avec les orgies romaines de la décadence. Les anciens buvaient modérément du vin après les repas en le coupant d’eau. Servi dans un cratère, il était ensuite réparti entre les convives qui le dégustaient dans de petites coupes. La qua­lité des vins importait beaucoup et les crus les plus rares étaient fort recherchés. On peut donc admettre que Dionysos trône au sommet d’une montagne formée de caisses des meilleurs vins de Bordeaux, d’Yquem à Palmer, de Lafite à Margaux, qu’il soit entouré d’une bacchante nue et de sa propre image d’enfant. Dionysos incite à la dégus­tation de nectars, il suscite l’envie, il séduit. Son alter ego barbu invite quant à lui à la fête, celle traditionnellement célébrée avec du champagne tant français que neuchâte­lois, celle aussi symbolisée par les Ven­danges.

Grâce à d’anciennes publicités avant tout locales, la mise en valeur de la collection d’étiquettes du XIXe siècle du musée et des pièces prêtées par le Musée d’art et d’his­toire de Genève, cette première partie, toute séductrice qu’elle est, ne doit pas faire oublier que le Suisse dépense chaque année davantage pour sa consommation d’alcool que pour son assurance maladie !

Si les grands crus peuvent faire rêver, leur prix fait qu’ils sont avant tout réservés à une classe sociale aisée. La grande majorité de la population doit se contenter de vins plus ordinaires. La consommation de gros rouge reste dominante dans les bistrots. Pour évo­quer l’aspect social de ces derniers, nous avons reconstitué l’atmosphère conviviale du Strauss, ce restaurant si cher au cœur de nombreux Neuchâtelois. Mais si ce café était exemplaire, nombreuses furent les auberges de ce pays qui avaient mauvaise réputation comme le dit un rapport du début du XIXe siècle signé Matile. A cette époque, leur nombre était considérable puisqu’on dénombre dans le pays environ un établissement pour une centaine d’habi­tants. Au delà de l’image du café et de ses attributs, soulignons qu’il est plus facile en Suisse d’acheter de l’alcool que du lait. On compte en effet un débit pour 177 habi­tants.

C’est aussi souvent au bistrot que les jeunes commencent à boire de l’alcool. Pour illus­trer cet état de fait et lier le Strauss au local supposé de Néocomia, un panneau réclame de la Bière Muller est posé à cheval sur ces deux secteurs. Les sociétés d’étudiants nous ont donc servi de prétexte pour illustrer Bacchus et l’adolescence. Une photographie immortalisant une séance mémorable de Néocomia en 1916 sert de fond. Une atmos­phère gaie que cette image a fixée est un témoignage évident d’un culte rendu au dieu. Disons simplement que parmi les célé­brants se trouve un futur président de la Confédération ! Les enquêtes de l’ISPA (Institut suisse de prophylaxie contre l’alcool) montrent que les jeunes Suisses actuels boivent moins que leurs prédécesseurs mais que les Romands et les Tessinois consomment davantage que les Suisses alle­mands. La majorité des jeunes admettent toutefois avoir déjà pris une bonne cuite !

La visite se poursuit en prenant l’escalier. Le regard doit alors se porter sur les nombreu­ses publicités anciennes et récentes qui décorent le plafond et certains murs. Toutes vantent les mérites du vin ou d’autres bois­sons alcoolisées témoignant de l’imagina­tion qu’artistes et graphistes ont mis au ser­vice de Bacchus qui ainsi est omniprésent.

Bacchus stimulant jette un regard sur le rôle des apéritifs. À cet égard, l’absinthe, dans notre pays, a joué un rôle primordial et son succès international a modifié les rapports que les gens entretenaient avec les alcools en général. Grâce à elle, le Val-de-Travers a connu une ère de prospérité considérable. Plus de 300 000 hectolitres y étaient produits chaque année. En sus de l’absinthe, il était fort fréquent et aisé de fabriquer domesti­quement toutes sortes de boissons apéritives telles des vermouths, des cognacs ou autre Parfait amour… Tout ceci doit nous faire réfléchir que la Suisse ne se suffit pas à elle-même eu égard aux productions indigènes d’alcool. Chaque année, elle importe des quantités considérables de whisky, gin et autres rhums, plaçant ainsi les Suisses au troisième rang du palmarès des buveurs mondiaux !

Après l’abondance, il était juste de consa­crer un secteur à Bacchus refusé. Notre pays et en particulier le canton de Neuchâtel a fait oeuvre de pionnier en matière de tempé­rance et de lutte anti-alcoolique. Dès la fin du XVIlle siècle, les autorités se sont préoc­cupées de lutter contre les ravages de l’alcoolisme, principalement dans les Mon­tagnes où ce mal frappait les ouvriers horlo­gers. Les mesures prises alors visaient à limiter le nombre de débits. En 1835, une première société de tempérance vit le jour au Locle. En 1878 s’ouvrait à Boudry le pre­mier café de tempérance d’Europe, suivi, quelques années plus tard, par l’inaugura­tion de la première maison d’accueil pour alcooliques d’Europe francophone, celle de Pontareuse. Rappelons aussi que la Croix-Bleue est née en Suisse !

Comme peu nombreux sont les Suisses abstinents, il fallait cerner le problème de Bacchus contemporain. Le dernier secteur de l’exposition jette quelques flashes sur cette actualité. Tout d’abord, nous nous sommes prêtés à un petit jeu : nous avons essayé de quantifier le nombre de bouteilles qu’un homme viderait entre 17 et 77 ans en buvant chaque jour un demi-litre de vin. Devant le chiffre obtenu (plus de 15 000 bouteilles), nous avons décidé de visualiser la consommation de quatre ans, soit le tas de bouteilles présentées dans l’exposition. Là, nous nous devions aussi d’aborder le coût social de l’alcool en Suisse, soit plus de deux milliards par an, alors que la Confédération n’encaisse en impôt sur l’alcool qu’un montant de 644 millions ! Il fallait aussi montrer quelle dégénérescence physique l’alcool peut entraîner même si certains médecins propo­sent de se soigner par le vin. Afin de se situer eu égard à sa consommation d’alcool, le visiteur peut se tester en répondant aux questions posées actuellement par les méde­cins lors d’hospitalisation. Pour rappeler le problème de l’alcool au volant, tous les alcoomètres utilisés depuis les années 60 par la police cantonale sont présentés. Signa­lons que chaque année, plus de seize mille permis de conduire sont retirés pour ivresse au volant! Et l’exposition se termine sur un miroir, celui que l’on peut porter sur l’alcool en fonction de sa propre sensibilité.

Cette exposition réalisée avec l’aide de l’ISPA et du Service médico-social du can­ton de Neuchâtel, et grâce à l’appui de nom­breux collectionneurs, peut paraître para­doxale dans un musée consacré à la gloire de la vigne et du vin. Pourtant, honorer Dionysos à la manière des anciens, ce n’est pas se livrer à des excès, mais bien vouloir tirer le meilleur du vin, tant gustativement qu’intellectuellement. Bacchus et les Suis­ses, c’est finalement opter en toutes connaissances de causes pour un art de boire, avec modération mais plaisir.

Patrice Allanfranchini

Henri Vivarelli • L’Express

Dionysos, alias Bacchus, dieu grec de la vigne, du vin et du délire, trônant sur des caisses des plus grands Bordeaux, c’est la première image que découvrira le visiteur de la nouvelle ; exposition temporaire du Musée de la vigne et du vin au château de Boudry. Une expo intitulée Bacchus et les Suisses que le conservateur Patrice Allanfranchini a voulu accrocheuse, pleine de sous-entendus par rapport à l’alcool, mais sans que le ton soit moralisateur.

Ce Bacchus-là, beau, c’est sa période de l’adolescence, de séduction. Plus loin, aux côtés de vins plus pétillants, on découvre le Bacchus gros et barbu, celui du plaisir. Il amène tout naturelle­ment au populaire et là, c’est un petit miracle la reconstitution du célèbre Strauss, à Neuchâtel, avec table, lampe, prix courant. On s’y croirait !

La jeunesse est-aussi au-devant de la scène, notamment tout ce qui touche au milieu estudiantin. On y découvre par exemple une grande photo d’étudiants neuchâtelois faisant la fête et parmi eux, un ancien président de la Confé­dération. N’insistez pas, on ne vous dira pas lequel… Tout le secteur des apéritifs, avec l’incontournable absinthe, les sociétés d’abstinence, l’alcool au volant, la santé, sont également représentés. L’ensemble étant abondamment illustré d’affiches, de tableaux, de publicités en faveur des vins, des apéros, de l’alcool en général.

Le vernissage de cette exposition qui s’étalera jusqu’à la fin de l’année, aura lieu en fin d’après-midi, au moment où sera donné le coup d’envoi de Boudry­sia, fête bachique par excellence. Une sympathique coïncidence.

Le Matin

On recense en Suisse un débit d’alcool pour 170 habitants. En buvant un demi-litre de vin par jour, on vide 24’808 bouteilles en soixante ans. Voilà ce que l’on peut apprendre au Musée de la vigne et du vin du château de Boudry, qui inaugure aujourd’hui son, exposition Bacchus et Les Suisses. Mais apprendre n’est pas tout. L’itinéraire proposé par Patrice Allanfran­chini est superbe : affiches et pho­tos d’époque, objets rares, clins d’œil. À voir absolument.

L’Impartial

Le Musée de la vigne et du vin au Château de Boudry vernira, ce soir à 17.30, son exposition Bacchus et les Suisses. Divisée en six secteurs, l’expo se veut un parcours initiatique de l’alcool. Dans toutes ses facettes, sans complaisance aucune mais sans discours moralisateur. Du Bacchus rayonnant et joufflu, au rôle social de l’alcool en passant par la face la plus repoussante de l’alcoolisme, tout un chemine­ment, en affiches, photos d’époque, statues, documents, ordinateur et même un bon millier de bouteilles vides pose à même le sol, pour permettre au visiteur de « visualiser le rapport que le Suisse entretient avec l’alcool », explique Patrice Allanfranchini, conservateur. En fin d’expo, un simple miroir mural portant l’inscription « L’alcoolisme, c’est les autres… ». L’exposition a été réalisée en collaboration avec l’Office médico-social du canton de Neuchâtel et l’Institut suisse de la prophylaxie contre l’alcoolisme.