Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Ferdinand Maire

1999

Entre vignes et tableaux

Le temps glisse sur les modes, sur les œuvres, sur les hommes, enfouissant dans son oubli bon nombre d’événements qu’il est parfois utile d’aller rechercher, retrouver, réactiver. Pour que cela survienne, il suffit souvent d’un rien, d’un regard, d’une parole. Les mécanismes du souvenir se déclenchent par association, souvent lorsqu’ils ne sont pas a priori sollicités. 

Et un regard posé sur une toile oubliée a permis que tout se mette en route, si bien que cette petite exposition rétrospective est née d’une rencontre entre le collectionneur et le conservateur. Si le premier est animé par la passion et que celle-ci le tient sans cesse à l’affût de l’image, du tableau, je dirai même du beau, le second est amoureux de son terroir qui le contient géographiquement, le contraignant à ne pas se disperser, le cantonnant dans son environnement immédiat : celui de la peinture neuchâteloise. Aux yeux de certains, cette limitation pourrait paraître fort restrictive et surtout marginale par rapport aux grands courants artistiques. S’il est vrai que ce pays n’a pas donné au monde d’artistes universels, il a cependant permis l’éclosion d’une pépinière de talents, à qui il n’a manqué souvent qu’un peu de publicité pour que leur notoriété dépasse les limites territoriales d’un petit canton, victimes qu’ils étaient ou sont d’un fédéralisme castrateur.

À l’inverse de la France où il n’y a qu’à Paris qu’il est possible de se faire un nom, la Suisse possède autant d’écoles qu’elle contient de cantons. Et chacune de ces chapelles n’est fière que de son clocher, si bien que si l’on est d’ici, on n’intéresse rarement celui qui est de là ! Ce chauvinisme culturel toujours latent a conduit d’innombrables artistes à ne connaître que des gloires très locales, éphémères, puis à sombrer dans l’oubli. Et le pays de Neuchâtel foisonne d’artistes qui ont connu ce sort. Et pourtant l’analyse de leurs œuvres peints, dessinés ou gravés, dans une optique objective, dévoile des qualités indéniables, qui supportent fort souvent la comparaison.

En exposant Ferdinand Maire, le Musée de la vigne et du Vin au Château de Boudry permet d’en faire une. Que celle-ci puisse servir de faire-valoir à un authentique artiste, tel est notre vœu !

S’il peut paraître paradoxal qu’un Musée dont le but est la défense et l’illustration du vignoble neuchâtelois se lance dans une exposition de beaux-arts, il convient de dire que cette dernière est avant tout axée sur l’aspect viti-vinicole de l’œuvre de Ferdinand Maire, même si d’autres tableaux viennent compléter cette présentation.

Décédé le 3 janvier 1963 des suites d’un malaise, Maire, qui était né le 23 mars 1901 à Zurich, s’est consacré pendant une quarantaine d’années à la peinture, cherchant son inspiration tout d’abord dans l’œuvre de Cézanne et de Braque, se tournant ensuite vers Gris et Villon. S’il est normal de vivre d’influences, il est aussi important d’arriver à s’en détacher même si cela peut prendre des années.

Très jeune, il s’est déterminé à embrasser une carrière artistique, suivant tout d’abord l’école des Beaux-Arts de Zurich puis, durant deux ans, l’École d’art de La Chaux-de-Fonds où il apprend le métier de joaillier et de graphiste, dans le but d’acquérir un métier selon la volonté de son père. Rappelons que dans les années vingt, l’École d’art de La Chaux-de-Fonds n’était plus celle des L’Éplattenier et Jeanneret! Le cours supérieur avait vécu, cédant le pas à un pragmatisme visant davantage à former des artisans plutôt que des artistes. Mais Maire n’avait pas l’esprit ouvrier et il visait plus haut. C’est donc plus en autodidacte qu’en élève attentif qu’il s’est mis à peindre.

FERDINAND MAIRE (1901-1963)

Décédé le 3 janvier 1963 des suites d’un malaise, Maire, qui est né le 23 mars 1901 à Zurich, s’est consacré pendant une quarantaine d’années à la peinture, cherchant son inspiration tout d’abord dans l’œuvre de Cézanne et de Braque, se tournant ensuite vers Gris et Villon. S’il est normal de vivre d’influences, il est aussi important d’arriver à s’en détacher, même si cela peut prendre des années.
Très jeune, il se détermine à embrasser une carrière artistique, suivant tout d’abord l’école des Beaux-Arts de Zurich puis, durant deux ans, l’Ecole d’art de La Chaux-de-Fonds où il apprend le métier de joaillier et de graphiste, dans le but d’acquérir un métier selon la volonté de son père. Rappelons que dans les années vingt, l’École d’art de La Chaux-de-Fonds n’était plus celle des Charles L’Eplattenier et Charles-Edouard Jeanneret ! Le cours supérieur avait vécu, cédant le pas à un pragmatisme visant davantage à former des artisans plutôt que des artistes. Mais Maire n’a pas l’esprit ouvrier et il vise plus haut. C’est donc plus en autodidacte qu’en élève attentif qu’il se met à peindre.

Ferdinand Maire Le parc Dessin à l’encre de Chine signé et daté 1942 en bas à droite ; 29 x 29 cm. Galerie des Annonciades.
Vite pris par des obligations pécuniaires et une charge de famille, il est contraint de s’adonner à toutes sortes de métiers : pianiste dans un cinéma – le temps du muet oblige -, dessinateur de publicité, affichiste, décorateur de théâtre, maquettiste. Bref, il doit se débrouiller, réservant cependant ses quelques loisirs à peindre les sites qu’il affectionnait le long des grèves du lac, ou, chez lui, des natures mortes. Dans tous ses ouvrages, il attache une attention toute particulière à la géométrie des compositions, n’utilisant toutefois qu’une palette plutôt sobre où, dans les paysages, les gris dominent.
Cette manière de peindre donne à ses premières toiles un caractère un peu triste et un peu pesant, comme un voile de discrétion empêchant la couleur d’éclater.

Il est certain que le réalisme local de l’École du Gris Chaux-de-Fonnière a dû le marquer même si la découverte de Cézanne élargit sa manière de composer. Après sa première exposition en 1921, un voyage de huit mois aux Philippines en 1923-24 et un bref séjour à Paris pour parfaire sa maîtrise du graphisme, Maire reste confiné en Suisse jusqu’en 1935. Cet environnement conformiste ne lui permet de signer que des toiles conventionnelles dont les sujets sont puisés dans son entourage immédiat. Il faut dire que ses préoccupations sont plus matérielles qu’artistiques et qu’il est toujours difficile de concilier l’art avec des contraintes bassement économiques. Toutefois, ces années sont formatrices, car elles lui permettent d’acquérir une maîtrise du dessin et de la composition. Peignant toujours sur le vif, Maire décompose les sujets en carrés, rectangles, triangles qu’il associe ensuite sur la toile pour affermir la solidité de son interprétation de la nature. Son réalisme est donc basé sur une décomposition puis une recomposition des motifs que sa rigueur intellectuelle lui impose. Grâce à sa maîtrise des traits, il parvient ainsi à charpenter vigoureusement ses sujets, tout en leur gardant une vérité qui, dans certains tableaux, annihile les intentions voulues, les ramenant au rang d’œuvres très conventionnelles, d’autant plus que leur gamme chromatique est restreinte.
Dès 1935, grâce un système de financement qu’il met au point, basé sur une Société des amis du peintre, dont les membres, en payant des cotisations, accordent à l’artiste un appui financier favorable à la création, il parvient à vivre sans avoir à recourir à des expédients purement nutritifs. Ainsi, il peut quitter Neuchâtel et découvrir les pays de lumière qui ensoleillent sa palette. Il voyage en Espagne, en Algérie d’où il ramène des paysages ocrés, mordorés qui annoncent un changement radical dans sa palette. Mais avec la guerre, il est contraint de suspendre ses voyages, bloqué qu’il est en Suisse.
Parmi les tableaux qu’il peint durant cette période, il en est un qui témoigne du niveau pictural auquel il était parvenu. Il s’agit des Baigneuses, une grande toile de 145 x 195 cm. Si l’influence de Cézanne y est indéniable, tant par le choix du sujet que par la composition, la gamme chromatique, en revanche, est typique de son faire où les gris embrument et empêchent les couleurs d’éclater, comme si Maire n’arrive pas encore à oser la lumière, jetant comme un voile de pudeur sur des nudités offertes. Cette retenue est aussi présente lorsqu’il peint des paysages du pays, comme si l’atmosphère locale enveloppe systématiquement tous ses motifs d’un hâle vaporeux. Seules ses natures mortes échappent à ces grisailles. Là, les tons chauds dominent.  Ils sont aussi présents dans les paysages du sud, montrant bien que Maire est sensible à l’environnement dans lequel il travaille. Peut-être se sent-il aussi libéré des entraves locales lorsqu’il peint à l’étranger en totale liberté ? On sent ainsi une dichotomie entre son œuvre régional et sa peinture d’ailleurs. Il lui faudra des années pour que cette différence s’atténue.
Dès 1940, il entre en jouissance de l’atelier du Jardin du Prince, fraîchement rénové. Il succède ainsi à Paul Bouvier dans ce lieu dévolu à l’art. C’est du reste en ces lieux qu’il organise des expositions. Soulignons que pour être locataire de cet atelier, l’Etat propriétaire exige du peintre qu’il ne vive exclusivement que de son art. Et à Neuchâtel, cela n’est pas facile. A ce propos, Maire dit :
Il est dur d’éclore à Neuchâtel où les amateurs sont rares. Les conditions changent quelque peu dans les Montagnes. Là-haut, on est ouvert aux recherches nouvelles. Mais nous avons la Suisse allemande. Nos œuvres y provoquent de l’intérêt. Le Suisse allemand est attiré par le caractère latin de la peinture romande. Il y trouve un certain mystère à la taille de l’humain, un épanouissement, une liberté qui font défaut à la culture germanique. Le succès des impressionnistes français, puis de Bonnard et Vuillard en Suisse allemande est caractéristique à cet égard. Le peintre romand profite de cet état d’esprit…

Donc, pour vivre, Maire n’hésite pas à ouvrir son atelier, organisant de petites expositions, accueillant le public. A ce propos, Maurice Jeanneret écrit à l’occasion de la première de ces ouvertures en octobre 1940, soit peu de temps après son installation :
Dans l’atelier joliment rénové du Jardin du Prince, M. Ferdinand Maire reçoit avec une sorte de cordiale réserve qui met tout de suite à l’aise pour contempler son récent, travail pictural. Par ces temps tragiques et de voyages angoissants, il a réussi à faire une campagne de peinture — en famille — dans les Baléares. D’emblée on se rend compte que ni la pure lumière, ni l’accord harmonieux du paysage et de l’architecture, ne l’ont pris par surprise : ce pays qu’il avait aimé déjà, il y revenait comme à une nostalgie, et de nouveaux et très beaux secrets devaient lui être confiés

En effet, dans une suite de pages d’inégales dimensions, c’est avec une tendre plénitude, un sens ému de l’harmonisation, une égale inspiration que M. Maire évoque les îles bienheureuses. Croirait-on ; à voir ces toiles chatoyantes et nacrées que les sites amènes qu’elles figurent ont été le lieu d’horribles tragédies. Il n’y a pas un lustre ; et qu’au moment où certaines furent exécutées, le monde assistait haletant au drame le plus atroce ? Mystère et bénédiction de l’art : un peintre converse avec un coin de nature privilégié, et c’est comme si la paix était revenue, comme si la folie et la méchanceté humaine n’étaient qu’un mauvais rêve aboli.

Cette manière à la fois somptueuse et discrète, ferme et douce, éclatante et retenue, qui pourrait bien être l’essentiel de la leçon des Baléares, M. Maire là déploie aussi dans des natures mortes, moins grandioses que certaines d’autrefois, mais fines et profondes. Tel bouquet, des feuilles de lierre posées sur un livre ouvert, c’est aussi de bonheur et de paix que cela vous parle.

Enfin, M. Maire a rapporté des aquarelles de son voyage. A ce procédé, nouveau pour lui, il s’est motos soumis qu’il ne l’a dompté. Il fait dire à certaines autant que ne proclament ses huiles. Car il les « peint », il ne les lave pas. Peu importe que cela ne soit pas dans l’ordre, puisque les résultats sont en général très satisfaisants.
Tout en restant un adepte du figuratif, il devient moins conventionnel. Il perd enfin sa facture un peu pesante pour une liberté d’expression influencée par Braque, recomposant mieux ses natures mortes, ses intérieurs, puisant chez Van Gogh son approche paysagiste, voire l’attaque de ses premiers plans. Malgré ses emprunts, Maire conserve sa ligne, l’affirmant, la solidifiant. Il devient ainsi plus pictural ; son réalisme devient moins patent, plus suggéré.

Dès la réouverture des frontières, Maire repart vers l’Algérie où il interprète des sujets mauresques et kabyles, puis vers le Midi de la France, Collioure, Saint-Paul-de-Vence, Collias, Saint-Maximin, etc… C’est dans cette terre de prédilection qu’il séjourne la plupart du temps, ne revenant qu’épisodiquement Neuchâtel.
Sans aucun doute, la découverte de la Provence dans les années 52-53 y est pour quelque chose.  Désormais, sa palette s’enrichit. De même, sa touche change, devenant plus incisive, plus spontanée.
La lumière du Midi a sans conteste enrichi sa palette et ses paysages prennent l’éclat des tableaux de Roland Oudot (1897-1981) ou de Maurice Brianchon (1899-1979). Ils s’en distancient cependant par la touche. Maire recourt à de fines notations posées à la manière des impressionnistes, toutefois sans juxtaposition de couleurs pures, donnant ainsi à ses toiles un faire typique qui permet au premier coup d’œil de les lui attribuer.

En cherchant à épurer, à simplifier, Maire s’est peu à peu éloigné de la figuration pure. Dès les années 56-57, en relisant Braque, il a plus ordonné ses compositions, les recomposant en fonction des lignes et des couleurs, dissociant dès lors les sujets pour les arranger en masses, en formes, en tons, en couleurs. Sans tomber dans une non-figuration totale, Maire suivait la logique de son intelligence et de son goût. L’objet ou le paysage devenait prétexte à la peinture pure. Toutefois, il aimait trop la réalité pour s’en détacher totalement si bien que ces toiles sont un compromis d’images réelles et de lignes dominantes. L’espace est ainsi subdivisé géométriquement en entrelacs de lignes, de formes et d’arabesques qui soutiennent, entourent, encadrent des motifs figurés. Ces recompositions de la nature, tout intellectuelles qu’elles soient, sensibles et harmonieuses, strient ses tableaux, leur donnant parfois un caractère plus décoratif que pictural. Les trames gestuelles placées en premier plan structurent l’espace dans lequel l’artiste place ses motifs. Ne se confrontant plus avec une figuration réaliste, il resserre aussi son choix de teintes, jouant dès lors avec les jaunes et les bleus, ces complémentaires qui alternent chaleur et froideur. Il y a ainsi une certaine similitude entre ses œuvres et celles de Jacques Villon (1875-1963), dont le travail, sans aucun doute, l’interpelle. S’il conserve à ses tableaux une titulature concrète, il leur donne peu à peu une organisation de plus en plus solide, plus réfléchie, moins systématique. Au-delà d’influences, il affirme un style propre, tant dans l’utilisation de son réseau de lignes que dans l’usage des teintes où de franches oppositions de couleurs et de valeurs remplacent désormais des gammes en quart de ton.
S’il lui a fallu quelques années pour que sa peinture glisse de la figuration pure vers une abstraction figurée, si ce passage fut difficile, si ses doutes durent être nombreux, avec ses dernières toiles, il prouve la justesse de son évolution et l’on peut regretter que sa mort subite l’ait empêché de donner cette œuvre nouvelle dont il avait mené à terme la gestation.

Ainsi, pendant une quarantaine d’années, Ferdinand Maire a produit un œuvre peint, aquarellé, dessiné fort conséquent qui est en partie accroché aux murs d’innombrables intérieurs privés. Sans conteste, il a connu un certain succès qui lui a valu l’estime de collectionneurs tant en Suisse qu’à l’étranger où il a aussi exposé au gré de ses nombreux voyages et séjours.

Extrait de la Nouvelle revue neuchâteloise N°154, Le Jardin du Prince à Neuchâtel, un atelier et cinq artistes. Texte de Patrice Allanfranchini.

Vite pris par des obligations pécuniaires et une charge de famille, il est contraint de s’adonner à toutes sortes de métiers : pianiste dans un cinéma – le temps du muet oblige -, dessinateur de publicité, affichiste, décorateur de théâtre, maquettiste. Bref, il doit se débrouiller, réservant cependant ses quelques loisirs à peindre les sites qu’il affectionnait le long des grèves du lac, ou, chez lui, des natures mortes. Dans tous ses ouvrages, il attachait une attention toute particulière à la géométrie des compositions, n’utilisant toutefois qu’une palette plutôt sobre où, dans les paysages, les gris dominaient.

Cette manière de peindre donne à ses premières toiles un caractère un peu triste et un peu pesant, comme un voile de discrétion empêchant la couleur d’éclater.

Il est certain que le réalisme local de l’École du Gris chaux-de-fonnière a dû le marquer même si la découverte de Cézanne a élargi sa manière de composer. Après sa première exposition en 1921, un voyage de huit mois aux Philippines en 1923-24 et un bref séjour à Paris pour parfaire sa maîtrise du graphisme, Maire resta confiné en Suisse jusqu’en 1935. Cet environnement conformiste ne lui permettait de signer que des toiles conventionnelles dont les sujets étaient puisés dans son entourage immédiat. Il faut dire que ses préoccupations étaient plus matérielles qu’artistiques et qu’il est toujours difficile de concilier l’art avec des contraintes bassement économiques. Toutefois, ces années furent formatrices, car elles lui permirent d’acquérir une maîtrise du dessin et de la composition. Peignant toujours sur le vif, Maire décomposait les sujets en carrés, rectangles, triangles qu’il associait ensuite sur la toile pour affermir la solidité de son interprétation de la nature. Son réalisme est donc basé sur une décomposition puis une recomposition des motifs que sa rigueur intellectuelle lui impose. Grâce à sa maîtrise des traits, il parvient ainsi à charpenter vigoureusement ses sujets, tout en leur gardant une vérité qui, dans certains tableaux, annihile les intentions voulues, les ramenant au rang d’œuvres très conventionnelles, d’autant plus que leur gamme chromatique est restreinte.

Dès 1935, grâce un système de financement qu’il met au point, basé sur une Société des amis du peintre, dont les membres, en payant des cotisations, accordent à l’artiste un appui financier favorable à la création, il parvient à vivre sans avoir à recourir à des expédients purement nutritifs. Ainsi, il peut quitter Neuchâtel et découvrir les pays de lumière qui ensoleillent sa palette. Il voyage en Espagne, en Algérie d’où il ramène des paysages ocrés, mordorés qui annoncent un changement radical dans sa palette. Mais avec la guerre, il est contraint de suspendre ses voyages, bloqué qu’il est en Suisse.

Parmi les tableaux qu’il peint durant cette période, il en est un qui témoigne du niveau pictural auquel il était parvenu. Il s’agit des Baigneuses, une grande toile de 145 x 195 cm. Si l’influence de Cézanne y est indéniable, tant par le choix du sujet que par la composition, la gamme chromatique, en revanche, est typique de son faire où les gris embrument et empêchent les couleurs d’éclater, comme si Maire n’arrivait pas encore à oser la lumière, jetant comme un voile de pudeur sur des nudités offertes. Cette retenue est aussi présente lorsqu’il peint des paysages du pays, comme si l’atmosphère locale enveloppait systématiquement tous ses motifs d’un hâle vaporeux. Seules ses natures mortes échappent à ces grisailles. Là, les tons chauds dominent.  Ils sont aussi présents dans les paysages du sud, montrant bien que Maire est sensible à l’environnement dans lequel il travaille. Peut-être se sentait-il aussi libéré des entraves locales lorsqu’il peignait à l’étranger en totale liberté ? On sent ainsi une dichotomie entre son œuvre régional et sa peinture d’ailleurs. Il lui faudra des années pour que cette différence s’atténue. Sans aucun doute, la découverte de la Provence dans les années 52-53 y est pour quelque chose.  Désormais, sa palette s’enrichit. De même, sa touche change, devenant plus incisive, plus spontanée.

Tout en restant un adepte du figuratif, il devient moins conventionnel. Il perd enfin sa facture un peu pesante pour une liberté d’expression influencée par Braque, recomposant mieux ses natures mortes, ses intérieurs, puisant chez Van Gogh son approche paysagiste, voire l’attaque de ses premiers plans. Malgré ses emprunts, Maire conserve sa ligne, l’affirmant, la solidifiant. Il devient ainsi plus pictural ; son réalisme devient moins patent, plus suggéré.

Dès la réouverture des frontières, Maire repart vers l’Algérie où il interprète des sujets mauresques et kabyles, puis vers le Midi de la France, Collioure, Saint-Paul-de-Vence, Collias, Saint-Maximin, etc… C’est dans cette terre de prédilection qu’il séjourne la plupart du temps, ne revenant qu’épisodiquement Neuchâtel où il occupait l’atelier du Jardin du Prince, créé l’origine pour Charles-Edouard DuBois dans une poudrière désaffectée.

La lumière du Midi a sans conteste enrichi sa palette et ses paysages prennent l’éclat des tableaux d’Oudot ou de Brianchon. Ils s’en distancient cependant par la touche. Maire recourt à de fines notations posées à la manière des impressionnistes, toutefois sans juxtaposition de couleurs pures, donnant ainsi à ses toiles un faire typique qui permet au premier coup d’œil de les lui attribuer.

En cherchant à épurer, à simplifier, Maire s’est peu à peu éloigné de la figuration pure. Dès les années 56-57, en relisant Braque, il a plus ordonné ses compositions, les recomposant en fonction des lignes et des couleurs, dissociant dès lors les sujets pour les arranger en masses, en formes, en tons, en couleurs. Sans tomber dans une non-figuration totale, Maire suivait la logique de son intelligence et de son goût. L’objet ou le paysage devenait prétexte à la peinture pure. Toutefois, il aimait trop la réalité pour s’en détacher totalement si bien que ces toiles sont un compromis d’images réelles et de lignes dominantes. L’espace est ainsi subdivisé géométriquement en entrelacs de lignes, de formes et d’arabesques qui soutiennent, entourent, encadrent des motifs figurés. Ces recompositions de la nature, tout intellectuelles qu’elles soient, sensibles et harmonieuses, strient ses tableaux, leur donnant parfois un caractère plus décoratif que pictural. Les trames gestuelles placées en premier plan structurent l’espace dans lequel l’artiste place ses motifs. Ne se confrontant plus avec une figuration réaliste, il resserre aussi son choix de teintes, jouant dès lors avec les jaunes et les bleus, ces complémentaires qui alternent chaleur et froideur. Il y a ainsi une certaine similitude entre ses œuvres et celles de Villon, dont le travail, sans aucun doute, l’interpelle. S’il conserve à ses tableaux une titulature concrète, il leur donne peu à peu une organisation de plus en plus solide, plus réfléchie, moins systématique. Au-delà d’influences, il affirme un style propre, tant dans l’utilisation de son réseau de lignes que dans l’usage des teintes où de franches oppositions de couleurs et de valeurs remplacent désormais des gammes en quart de ton.

S’il lui a fallu quelques années pour que sa peinture glisse de la figuration pure vers une abstraction figurée, si ce passage fut difficile, si ses doutes durent être nombreux, avec ses dernières toiles,  il prouve la justesse de son évolution et l’on peut regretter que sa mort subite l’ait empêché de donner cette œuvre nouvelle dont il avait mené à terme la gestation.

Ainsi, pendant une quarantaine d’années, Ferdinand Maire a produit un œuvre peint, aquarellé, dessiné fort conséquent qui est en partie accroché aux murs d’innombrables intérieurs privés. Sans conteste, il a connu un certain succès qui lui a valu l’estime de collectionneurs tant en Suisse qu’à l’étranger où il a aussi exposé au gré de ses nombreux voyages et séjours.

La présente exposition dévoile quelques aspects de son œuvre au demeurant peu connu et met en valeur ses paysages d’essence viticole, tant peint que dessinés. Puisse-t-elle retenir l’attention des amateurs, tel est notre vœu !

Cette exposition a été rendue possible grâce à l’aide de M. Jean Fahrny, de M. Frédéric Maire et surtout de Madame Jacqueline Aubert-Maire qui s’est totalement investie dans cette présentation.

Patrice Allanfranchini