Le château

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

L’histoire du château

Oscar Huguenin. aquarelle du Château de Boudry, vers 1880

Préambule

« Aiant receu vos relations du 11e et 18e du mois passé avec les placets y joints des Maîtres Bourgeois de Valengin et de Boudry, par lesquels ils demandent au nom des Bourgeoisies de conserver les deux vieux châteaux desdits lieux, je trouve bien étrange que des gens qui se piquent d’esprit regardent encore clans ce tems là contre toute rai­son de telles mannes qui ne servent à rien, comme des monuments respectables et qu’ils s’avisent d’en demander la conservation. Je ne m’y serois jamais attendu; mais au cas que les susdites bourgeoisies insistent à faire cette prière, je veux bien qu’on abate point ces châteaux pour en vendre les matériaux et qu’on les laisse clans l’état où ils sont à l’heure qu’il est, au souvenir et à la contemplation de la postérité, n’ayant pas l’intention de fournir aux frais inutiles pour leur réparation. »

Ce message rédigé sur ordre exprès du roi de Prusse en 1749 et adressé à Neuchâtel au gouverneur de Natalis montre bien en quelle estime le Grand Frédéric tenait nos châteaux neuchâtelois. Pour lui, ces vénérables bâtisses ne méritaient aucune attention. Dans un mémoire sur les propriétés de l’Etat écrit en 1708 à l’attention de Frédéric 1er et tenu secret jusqu’en 1833, Jonas de Chambrier décrit le Château de Boudry comme « un vieux bâtiment qui tombe en ruine […] fort inutile », en ajoutant « qu’il serait à souhaiter que ces châteaux du Landeron, de Boudry, de Valangin et du Vautravers fussent démolis, puisqu’ils coûtent beaucoup d’entretien ». Cependant, Chambrier ne propose pas de les vendre mais plutôt de les laisser tomber en ruine puis de se servir de leurs pierres pour que, peu à peu, ils disparais­sent.

Ainsi en 1749, lorsque Frédéric II promulgua un décret proposant la mise en vente du Château, la Bourgeoisie de Boudry s’en émut et s’inquiéta du sort de celui-ci, en fort piteux état si on en croit les témoignages de l’époque.

Indissociable de la ville qu’il couronne, le Château fait partie intégrante du site boudrysan. On comprend que les habitants du lieu s’y soient toujours intéressés même s’ils n’en furent les propriétaires qu’entre 1752 et 1823. Puisse ce texte apporter quelques éclairages nouveaux sur sa fort longue histoire !

Des origines

Construit à partir du 12e siècle sur les assises d’un castel bourguignon, si on accepte les assertions des auteurs du 19e siècle, le Château n’est mentionné dans les annales qu’en 1306. Tout au long du 14e, il dut être agrandi et fortifié. Ne dit-on pas que le comte Louis y installa une garnison en 1343 lorsqu’il octroya une charte de franchise aux habitants du bourg ? Les ré­flexions archéologiques menées en 1988 lors de l’aménagement du musée laissent supposer l’existence d’un chemin de ronde sur le mur nord.

Les archives dépouillées avec soin par Jean Courvoisier permettent de suivre à partir de 1360, de manière très lacunaire il est vrai, les travaux que le Château a connus. Les textes témoignent de la présence de plusieurs tours et tourelles dont ils signalent soit la construction, soit la démolition. Par exemple, entre 1424 et 1428, le maçon Jean Lamboréal en démolit une pour le prix de 80 florins d’or. Il est cependant impossible de les localiser. Les photographies de fouilles réalisées en 1955 lors des grands travaux de réhabilitation permettent de supposer qu’une tour carrée existait à la base des actuels escaliers d’accès à la cour. Une autre servait de tour d’escalier. Celle qui subsiste à l’angle nord-ouest présente différent types d’appareillages qui prouvent que son couronne­ment fut refait à une époque indéterminée.

Une sombre histoire

Nous savons aussi qu’il y avait une chapelle, qui contenait des reliquaires d’argent estimés au 14e siècle à 1100 florins et qui fut dépouillée de ses ornements par la triste­ment célèbre Marguerite de Vufflens. Troisième et dernière femme du comte Louis de Neuchâtel, celle-ci reçut le Bourg et le Château de Boudry en usufruit à la mort de son époux en 1373. Bien qu’elle se fût engagée à respecter les franchises, elle abusa de son pouvoir, accablant ses sujets de nouveaux impôts arbitraires. Comme ses bourgeois, victimes d’exactions continuelles, osèrent se plaindre en lui faisant remarquer qu’elle n’était qu’usufruitière de Boudry et non la Dame du lieu, elle fit venir au Château une trentaine des principaux citoyens du bourg qu’elle menaça, en faisant saisir huit d’entre eux, qu’elle enferma au fond d’une tour. Pour se soustraire à sa fureur, quelques habitants préférèrent quitter la ville. Elle s’empara alors de leurs maisons et meubles. Pour étouffer immédiatement la révolte qui grondait, elle fit dépendre les portes de la ville, arracher les serrures et démolir sept maisons. Toutes les armes découvertes furent apportées au Château.

Informée de ces exactions, la comtesse Isabelle, fille du comte Louis et légitime héritière du Comté, tenta de faire entendre raison à sa belle-mère afin que celle-ci respectât les franchises de ses sujets. Vexée, Marguerite de Vufflens et son nouvel époux, Jacques de Vergy, firent alors piller les quarante-trois mai­sons sans qu’il fût possible d’éteindre ce feu puisque du Château, on tirait sur tous ceux qui ten­taient de le combattre. Les hommes d’armes de Vergy ravagèrent aussi les environs, tant Cortaillod qu’une forêt voisine, abattant deux mille chênes, qu’ils vendirent.

Finalement, la comtesse Isabelle perdit patience et fit appel à ses bourgeois, heureux de pouvoir se venger. Toute la jeunesse courut aux armes. Commandée par quelques conseillers, cette troupe marcha contre Boudry. Devant la menace, Marguerite s’enfuit en Bourgogne, laissant Jacques de Vergy et les siens résister vigoureusement. Il fallut prendre d’assaut la ville et le Château. Le sang coula des deux côtés.

Une sentence arbitrale prononcée par le duc de Bourgogne mit fin en 1378 aux démêlés entre la comtesse Isabelle et sa belle-mère. C’est grâce à cet acte rédigé à Chalon-sur-Saône que l’on connaît les griefs de la Comtesse à l’encontre de Marguerite de Vufflens. L’arbitrage confirma Isabelle dans ses droits ; le Château et la Ville furent réunis au domaine comtal, purgés de tout usufruit. Depuis Boudry vécut en paix et ses franchises furent confirmées. Les archives précisent que Marguerite fit alors incendier la grande étable du Château mais restent muettes sur les travaux de remise en état.

L’apogée et le début du déclin

Vraisemblablement, c’est au début du 15e siècle que le Château connut son extension maximale. Il servait alors régulièrement de lieu de séjour pour les Comtes, qui, à l’instar de Louis, venaient y consommer une partie des revenus en nature provenant de la recette de cette seigneurie. À cette époque pourtant, on l’utilisait déjà comme lieu de détention ainsi que de nombreuses mentions l’attestent. Ne dit-on pas qu’il vit se dérouler en ses murs de nombreux procès de sorcellerie ? Ainsi, il possédait, à l’instar des autres châteaux, une chambre de torture où les bourreaux soumettaient les prisonniers à la question en leur faisant subir l’estrapade, le chevalet, l’expansion, le brodequin, etc.

Les fouilles archéologiques de 1955 ont révélé l’existence de murs qui descendaient du Château vers l’Areuse. La Tour Marfaux, qui fut accensée en 1548 à la Ville et Commune de Boudry, à condition que celle-ci la restaure, faisait partie intégrante du système de défense du Château, auquel elle était liée par un rempart dont le tracé est actuellement visible sur le sol.

Incontestablement, le site médiéval fortifié de Boudry devait avoir fière allure puisque toute la colline était couronnée par un système défensif d’importance. Toutefois, faisant foi à l’adage qui dit que les peuples heureux n’ont pas d’histoire, l’appareil militaire boudrysan fut vite désuet et inutile, à tel point qu’il ne résista pas aux siècles et aux besoins en matériaux des hommes du voisinage, qui trouvèrent là carrière d’abondance.

De plus, le fait qu’à partir du 15e siècle, les Comtes ne résidèrent plus régulièrement dans le pays, amplifia le phénomène d’abandon de cette forteresse même si 28 000 tuiles servirent à sa couverture quelques années après 1450, sans doute pour tirer la leçon du grand incendie qui ravagea la ville de Neuchâtel.

Dès le début du 16e siècle et tout au long du 17e, les mentions de murs effondrés se font fort fréquentes et celles de réparations, pourtant très nombreuses, montrent bien la parcimonie des moyens mis en oeuvre pour la sauvegarde de l’édifice et le caractère ponctuel des travaux entrepris.

Cependant, sans que nous puissions en comprendre l’utilité ni localiser les travaux, les archives nous apprennent que vers 1575, des maçons aménagèrent plusieurs fenêtres, établirent un soc de poêle, deux lavoirs et un nou­veau pavement à la cuisine. Ils élevèrent aussi des galandages alors qu’un menuisier, Guillaume Gallandre, boisait des pièces et exécutait divers meubles comme un banc à dossier, une table suspendue au mur, un lit avec son chariot et son archebanc, des tables, des râteliers, des armoires et des arches pour la cuisine. Ce mobilier devait être indispensable, car si nous nous référons à l’inventaire des lieux dressé en 1558 lorsque les Quatre Ministraux de la ville de Neuchâtel devinrent fermier général du Comté, seule une arche pour le blé est mentionnée dans la grande salle.

Le Château semblait alors contenir une grande salle inférieure qui avait quatre portes et des fenêtres ; une autre salle éclairée par quatre fenêtres servait de grenier ; la pièce contiguë possédait une cheminée dépourvue de briques. Une chambre à côté d’une pièce chauffée par un poêle avait deux fenêtres. La grande salle supérieure était flanquée d’une petite chambre. Il y avait encore une cuisine, un cellier, des galeries. Bref, le flou de cet inventaire ne permet pas de reconstituer le plan de la bâtisse, montrant à quel point il est difficile de se référer uniquement aux textes. Nous savons encore que le Château abritait des prisons et un pressoir qui fut remis à neuf pour la somme de 120 livres.

Les châtelains, soit les officiers de juridiction qui résidaient au château, ont rendu compte de nombreux procès de sorcellerie, tel celui de Pierre Mentha en 1603. Fritz Chabloz, dans son ouvrage intitulé Les Sorcières neuchâteloises, narre avec une foule de détails les innombrables procès de sorcellerie que connut le pays. Concernant ceux qui se tinrent à Boudry, nous en présentons à titre d’exemple un qui eut lieu en 1585. Là, plusieurs sorcières furent prises d’un seul coup à Boudry. Chabloz nous dit que « l’une d’elles, La Bessonne, protesta d’abord de son innocence, malgré l’accusation de deux de ses misérables compagnes, Françoise Collin et la veuve Marchand, qui, appelées devant elle, lui soutinrent avoir dit la vérité et qu’elles voulaient aller mourir là-dessus. Se sentant perdue, la malheureuse Elisabeth Besson avoue, à peine mise à la géhenne. Le vendredi 14 mai, elle confesse avec détails, qu’elle s’est donnée au Diable, qu’elle a été à la Synagogue, et qu’elle a fait mourir trois personnes avec du pousset – les crimes habituellement reprochés aux sorcières. Le soir même, elle certifie la vérité de sa confession, sauf qu’elle n’a pas renié Dieu. Le Châtelain lui demande si tout ce qu’elle a confessé est vrai, et si elle veut le jurer sur le péril et damnation de son âme. » Elle se rétracta alors.

Le châtelain prit l’avis des justiciers, lesquels voulurent prendre du temps pour réfléchir. Le lendemain, elle dit qu’elle avait menti dans ses confessions, prenant Dieu à témoin. En conséquence, elle fut soumise une troisième fois à la question. Là, elle se rétracta de tout ce qu’elle avait confessé, car elle avait dit tout cela « pensant qu’on lui don­nerait tantôt la mort et qu’on ne la tirerait plus et ne la mettrait plus aux cordes », ajoutant que ses détractrices mentaient aussi. Sous la torture, elle avoua quelques menus larcins que sa mémoire lui rappelait, prouvant par là son innocence. Comme elle avait soutenu tous les degrés de la torture, le châtelain ordonna au greffier d’expédier, selon la coutume, la procédure au gouverneur du Comté. La réponse du pouvoir fut que l’on devait attendre que les complices qui avaient avoué fussent exécutées, pour voir si elles iraient mourir en maintenant leurs accusations. Les quatre inculpées, au lieu de disculper leur compagne, voulurent au contraire l’entraîner dans leur ruine. Avant d’être conduites au bûcher, elles furent amenées devant Elisabeth Besson, qu’elles accusèrent encore. Le 9 juin, la Bessone fut remise entre les mains du bourreau. Epouvantée à l’idée d’avoir à subir à nouveau la torture, elle avoua tout ce qu’on voulait, ayant hâte d’en finir. Ici encore, son innocence transparaît car sa troisième confession ne correspond pas aux précédentes, ce qui montre qu’elle inventait au gré des interrogatoires. Elle toucha pourtant le bâton judicial du châtelain, en disant que tout cela était vrai. Le lendemain, au libéré, sa déposition offrait de nouvelles variantes. Cela n’avait plus d’importance, elle fut condamnée à être brûlée sous le gibet de Boudry. Ce récit, un parmi d’autres, montre à quel point la Justice d’hier en cette matière pouvait être partiale et Crédule, envoyant ainsi à la mort de nombreux innocents, pris souvent dans le piège de la délation.

Avec le XVIIIe siècle l’histoire du Château va être intimement liée à celle de la Ville de Boudry. Toutefois les notes que nous avons pour le début de ce siècle montrent que le bâtiment reste en mauvais état. Par exemple, lorsque Jean-Pierre Guy devint châtelain de Boudry le 13 mai 1709, il demanda au Conseil d’Etat que des réparations soient faites au Château « pour le rendre logeable et en état qu’il puisse y aller demeurer comme quelques uns de ses prédécesseurs ». Mais, vu la décrépitude de la bâtisse, le Conseil refusa par crainte de la dépense. Cela ne sembla pas rebu­ter Guy, qui décida de faire quelques réparations à ses frais. Au cours de ces travaux, il fut nécessaire de réparer un mur pour empêcher que toute une muraille ne tombe en ruine, ce qui rappela la précarité de tout l’édifice.

En 1713, une des flèches du Château tomba. Le pommeau fut hors d’usage mais non la girouette, qu’on put repeindre. Celle-ci fut alors ornée aux armes de la Prusse, qui, dès lors, flottèrent dans le ciel boudrysan.

En 1725, le receveur de Boudry fit visiter à l’intendant Varnod la cave, où une brèche était visible. Une prompte réparation était nécessaire afin que le tout ne tombe en ruine. On profita de dresser la liste des autres travaux à effectuer, si bien que l’intendant produisit un plan de la charpente et des réparations à faire, estimées à 5 à 600 livres. Le Conseil approuva cette dépense, étant donné qu’il était indispensable de conserver les prisons du lieu, et intima ordre à Boudry et Cortaillod de fournir le bois, suivant la pratique usuelle. Les communes rechignèrent à s’exécuter et il fallut attendre 1728 pour que les pièces de bois soient marquées en forêt. On prépara 35 chevrons, deux pennes et une sablière. Le Roi attribua 850 francs pour les travaux.

En 1729, il fut payé 118 livres à David Veillardoz et à David Collomb, maîtres charpentiers, pour avoir construit à neuf un pressoir au Château, y compris le transport de l’arbre et des quatre colonnes depuis les bois de Boudry.

En 1731, il fallut à nouveau réparer la cave et refaire le plancher du dessus, pour éviter que le vin qui s’y trouvait ne soit gâté.

Chaque fois, les communes sollicitées pour fournir du bois renâclèrent et refusèrent d’obtempérer, essayant de se soustraire à leur obligation de participer à l’entretien du Château, voulant élargir cette corvée à tous ceux qui dépendaient de Boudry du point de vue criminel.

En 1733, le charpentier Abram Veron, le maçon Jonas Duvanel, le scieur Abraham Perret réparèrent la charpente de la tour, sur laquelle la foudre était tombée.

En 1736, les prisons du Château étaient en si mauvais état qu’on ne pouvait plus y garder un prisonnier en sûreté. II fallait, donc faire les réparations nécessaires.

Et en 1749, les autorités de la Ville de Boudry commencèrent à s’inquiéter du sort du Château eu égard au rescrit du Roi. À cet effet, elles prirent contact avec les bourgeoisies du Landeron et de Valangin pour tenir une conférence concernant la vente des châteaux.

Le Château et la ville de Boudry

Dès que le rescrit du Roi du 6 mai 1749 qui offrait le Château à la Ville de Boudry moyennant l’entretien des prisons, fut connu des Boudrysans, ceux-ci s’inquiétèrent de la manière dont ils pourraient l’obtenir dans les meilleures conditions possibles, réclamant derechef le maintien de la juridiction criminelle des mairies de Rochefort, Bevaix et Cortaillod et surtout le droit de prendre du bois dans les communes avoisinantes pour assurer l’entretien de l’immeuble.

Tout au long de 1750 et 1751, les deux parties parlementèrent. L’État ne voulait rien accorder de plus ; la Commune souhaitait encore l’obtention du bois de Chassagne, qui lui aurait permis d’entretenir la cure et de couvrir les frais des réparations en vendant les bois superflus. À Boudry, la communauté en entier s’affairait donc à obtenir des avantages substantiels, ce qui finit par exaspérer l’État à tel point que le Roi se proposa de mettre simple­ment le Château en vente. Cette menace fit que la Commune accepta la donation et ses contraintes comme elles avaient été définies en 1749.

La cession eut lieu le 16 août 1752. La Commune – et non la Bourgeoisie – de Boudry devint donc gratuitement propriétaire du Château avec le terrain attenant qui bordait son enceinte, à condition d’assurer l’entretien du bâtiment et des prisons.

Pendant ces tractations, le Conseil d’Etat avait autorisé, le 11 mai 1750, la Bourgeoisie de Boudry et Jacob Nicolet, maître maçon, à prélever autour du Château des pierres, du sable et autres déblais, qui devaient être employés unique­ment à la construction du pont sur la Viellarde, ruisseau qui coulait à l’ouest de la ville avant de se jeter dans l’Areuse.

Cette démarche de l’État laisse bien supposer qu’il ne voulait plus se charger de l’entretien du Château et qu’il cherchait des moyens pour le miner et l’amener à tomber en ruine, comme certains conseillers d’État le préconisaient ouvertement. Il désirait même, si la Ville de Boudry ne voulait pas se charger du Château, vendre les matériaux récupérables tombés par caducité, exigeant seulement que les tuiles soient conservées et mises à l’abri.

Cette politique porta ses fruits. En novembre 1750, la remise et l’écurie s’écroulaient, rongées par la pourriture, et le 16 avril 1751, tout un pan de façade s’effondra, endommageant les jardins environnants des particuliers. La gravité de cet éboulement nécessita une visite des lieux, menée par l’architecte Daniel-Henri Vaucher. Il fallut étayer le toit du Château et faire déblayer les jardins. La gravité de la situation était telle – on pensa même que la tour allait s’écrouler, ses fondations étant minées – qu’on demanda conseil au Roi.
Toutefois, après une inspection circonstanciée des lieux, l’intendant Andrié déclara que tout ce qui menaçait la ruine était tombé et que ce qui restait debout ne présentait aucun danger.

Dans un rapport adressé alors à Berlin et rédigé par Josué de Chambrier de Travanet, Samuel de Marval et Daniel-Henri Vaucher, on lit que la brèche avait environ 40 pieds, soit environ douze mètres, et que l’angle du mur entre le couchant et le midi était aussi tombé et par consé­quent que l’angle de la charpente du toit partait en l’air et n’avait plus d’appui. Le reste du mur qui subsiste encore d’environ 20 pieds de longueur tient à une petite tour ronde fort élevée qui fait l’angle du bâtiment entre le cou­chant et le nord. Ce mur a encore une fente très considérable qui demande qu’on le démolisse. Cette maçonnerie dans toute son étendue a été construite en bonne partie de gros cailloux qui par leur rondeur n’ont point d’assise et ne sont liés que par du mortier qui les baigne. » Ainsi, une bonne partie de la façade occidentale avait été détruite, mettant au jour des murs dont l’épaisseur à une hauteur de trois mètres était de trois mètres et au niveau du toit, d’un mètre cinquante. Les ouvriers qui avaient suivi les ordres du Gouvernement en récupérant des matériaux, réfutèrent toute responsabilité, affirmant que les fondations n’avaient pas souffert. De plus, l’éboulement avait commencé par l’intérieur du Château et des voisins affirmèrent que ce mur était fendu de longue date.

Le reste du rapport apporte d’autres renseignements sur l’état général du Château. Il est jugé peu utilisable. Seules les prisons présentent quelque intérêt, mais elles sont en mauvais état. Il y a toujours le cul-de-basse-fosse dans la tour d’angle nord-ouest, soit le croton, et clans une chambre, une prison-cage en madriers qui peut être déplacée.

Suite à l’éboulement, la Commune de Boudry, à qui le Souverain avait offert le Château huit jours auparavant, refusa donc ce cadeau généreux. L’État devait assumer ses responsabilités. Plusieurs solutions s’offraient : vendre le Château ou récupérer ce qui était encore utilisable; faire étayer l’angle du toit; démolir le reste du mur qui menaçait ruine; démolir ou abaisser la tour.

Qu’advint-il ? Les textes sont muets jusqu’à l’acceptation par la Commune de Boudry de ce présent empoisonné, en 1752. On sait qu’un marché fut conclu le 22 juillet 1753 pour refaire les murs du Château. De ces travaux subsistent l’inscription et les armoiries de la Ville sur le contrefort à l’angle sud-ouest, entre le corps de logis et la cour. La Commune fit encore rétablir le pressoir puis mit la cave en location pour une année. Pour assumer ces travaux, les maîtres bourgeois de Boudry demandèrent du bois aux communes avoisinantes. En 1755, le Château fut recrépi.

Il est difficile d’estimer l’ampleur des réparations. Il faut cependant admettre qu’elles durent être relativement importantes puisqu’elles permirent à la Commune de Boudry de mettre un appartement en location dès 1756. Il s’agit des pièces du premier étage où est située l’actuelle entrée du musée et où l’on trouve encore un poêle en catelles. Elles étaient décrites ainsi : « poile, cuisine, chambre à côté du poile, galetas dessus le poile et les jardins à l’entour ». Tous les trois ans, ce logement était offert en montes publiques et sa location était réservée prioritairement aux bourgeois du lieu.

Le pressoir et les caves étaient louées selon le même principe par termes de neuf ans.

Un bâtiment d’une telle importance exigeait chaque année son lot de travaux d’entretien. Si la Commune de Boudry semble y avoir échappé pendant quelque temps, dès les années 1765 il devint nécessaire de les envisager. Ainsi, en 1767, on refit la chambre où était le grand poêle et en 1770, on restaura les autres pièces.

En 1771, il fut urgent de réparer une brèche apparue dans les murs. Un marché fut passé avec le maître maçon Brachet, qui s’acquitta de ce travail pour quinze écus neufs. La Ville s’engagea à fournir et voiturer les matériaux et à donner au dit Brachet dix batz et demi par char de pierre de roc qu’il apporterait.

En 1773, il fut nécessaire d’achever les travaux au poêle et d’y construire un bon fourneau. De même, il convint de terminer l’ouvrage à la porte d’entrée ainsi qu’au dépôt des matériaux, soit la pièce que l’on appelait le tripot. La même année furent posés des chéneaux en fer-blanc.

En 1777, la question des prisons revint à l’ordre du jour. Le 30 novembre, le Manuel du Conseil de la Ville de Boudry nous dit : « On fera une cage pour les prisonniers au Château, mais on fera contribuer les communautés qui doivent fournir le bois. « Toutefois, entre cette intention et la réalisation de la cellule, plusieurs années allaient s’écouler. En effet, les communes concernées ne s’estimaient plus devoir du bois ni autres matériaux pour parer aux réparations et à l’entretien du Château. Elles exigeaient de Boudry que celle-ci leur présente les actes authentiques par les­quels elles seraient tenues à ces fournitures. Cette affaire des prisons ne semble pas s’être résolue puisque en 1786, l’officier de juridiction se plaignit de leur mauvais état et de la difficulté qu’il avait d’obtenir une pièce pour interroger les prisonniers au Château. Il était pourtant prévu dans le bail du locataire de l’appartement que celui-ci mette une chambre propre et vide à la disposition de la Justice lorsqu’elle devait siéger au Château.

La cave exigeait aussi son lot de réparations. On y transporta le pressoir qui était à l’école, offrant aux enchères le vieux du Château. Le locataire des caves, le lieutenant Verdonnet, s’engagea à le remonter à ses frais pourvu que la Ville lui fournisse tous les matériaux et fasse faire des renforts neuf ainsi qu’une nouvelle semelle, le gros madrier en chêne ou en noyer sur lequel repose le bâti des anciens pressoirs. Verdonnet payait vingt et une livres par an pour cette location.

En septembre 1788, il fallut d’urgence colmater une brèche apparue clans un mur donnant sur la cour. Trois ans plus tard, il fallut construire un réduit afin d’y serrer les tuiles. En janvier 1794, on se remit « à la prudence des Maître Bourgeois pour l’égard de ranger des tablards pour poser la poudre de la ville dans la cave sous la cage du Château ». Par chance, il n’y eut aucune explosion ! Les années passèrent, et de nouvelles brèches apparurent, dont il fallait immédiatement s’occuper. En 1795, on mura la grande porte de la cour et on en fit construire une nouvelle, suffisamment grande pour qu’on puisse y faire passer une cuve de vendange. 1796 demanda la remise à neuf de l’appartement et en 1797, on fit dresser un plan d’une partie du Château pour voir s’il était possible de créer une chambre à l’usage de la Justice, qui pourrait aussi être utilisée pour les assemblées de la Bourgeoisie. Les frères Jonas-Louis et Abram-Henri Reymond, architectes, se chargèrent des relevés et présentèrent un projet à l’assemblée de la Commune. Celle-ci demanda des devis pour connaître les dépenses à envisager. Les plans conservés témoignent de l’ambition des travaux. Les architectes envisageaient de voûter l’actuel cellier et l’anticave et de créer des prisons fortes sous la pièce dite du four et sous la prison civile. Ils prévoyaient aussi de recrépir totalement le Château. À leur tour, ces intentions fort louables n’aboutirent point. Et le 18e siècle s’acheva…

Au début du 19e siècle, le Conseil d’État s’inquiéta encore une fois de l’état des prisons du Château. En effet, lors de la détention de plusieurs voleurs, il fallut payer des gardes afin d’empêcher les évasions. Comme cette situation exigeait un examen attentif de la situation, l’État prit contact avec la Bourgeoisie de Boudry. Il ressortit que des réparations étaient nécessaires et surtout qu’il était urgent de construire deux nouvelles cages en bois pour remplacer les prisons désignées sous le nom de croton et de fromagère, dont l’insalubrité faisait frémir. Le croton était le cul-de-basse-fosse du fond de la tour dont la porte éclata lorsque la foudre tomba sur la tour en 1617. Quant à la fromagère, il s’agit de l’enfoncement situé dans le mur ouest de l’actuel caveau, encore fermé par une grille. D’après Fritz Chabloz, les prisons médiévales étaient situées dans les tours des châteaux et ressemblaient à des caveaux : « c’étaient les crotons dans lesquels on descendait avec une échelle ; ou bien des cages formées de poutres en chêne, assujetties par des boulons en fer. Toutes étaient sombres, étroites, affreuses. Dans ces cachots se trouvaient des appareils pour enchaîner les prisonniers, afin qu’ils ne pussent s’évader. » Dans le croton de Boudry, on descendait le prisonnier par une échelle et il avait la tour sur sa tête tel Atlas le monde sur ses épaules ! En hiver, les détenus gelaient à moitié, de telle sorte que les pieds se gangrenaient. « Partout l’obscurité la plus profonde ; les malheureux étaient dans une nuit continuelle ; la seule chose qui pût leur indiquer que le temps s’écoulait, c’était la goutte de boue liquide qui suintait le long des murs et tombait dans le fond du cachot sur la paille pourrie. »

Comme, selon l’acte du 16 août 1752, la Ville était tenue a l’entretien de prisons, l’État la somma d’effectuer les réparations nécessaires, lui suggérant aussi de céder un logement au Château au grand sauthier afin que celui-ci soit chargé de la garde des prisonniers. Ce fut lait à partir de 1803.

En 1802, une nouvelle vis pour le pressoir fut néces­saire. Commandée par Guillaume Henry Coste, elle fut payée par la Ville, qui décida que c’était la dernière fois qu’elle faisait des frais pour ce pressoir dont l’entretien devenait particulièrement onéreux. Cependant, cette intention ne fut pas suivie puisque en 1814, les maîtres bourgeois examinèrent à nouveau le matériel de cave et le pressoir, qu’il fallait réparer sans attendre.

Au début de juillet 1806, l’affaire des prisons rebondit, montrant bien que rien n’avait été entrepris pour les améliorer. Suite à un arrêt du Gouvernement et une réquisition du procureur général Georges de Rougemont, la Bourgeoisie de Boudry fut sommée de payer la somme de 498 livres faibles pour les frais des gardes placés au Château pendant la détention d’un nommé Barthelémy Tüscher. Pour réclamer cette somme, le Conseil d’Etat se fondait sur son arrêt touchant le mauvais état des prisons, sur les engagements que Boudry avait pris dans l’acte de concession et sur les avertissements réitérés qui lui avaient été transmis. Tout d’abord, la Bourgeoisie de Boudry consulta le maire de Lignières et lui demanda assistance avant de vouloir intenter un « procès de clame », soit s’opposer judiciairement à la Seigneurie.

Mais le 29 juillet, le procureur général en personne et l’intendant des domaines visitèrent le Château. Le maître bourgeois en chef de Boudry, qui les accompagnait, fut autorisé le lendemain par le Conseil de Ville à faire toutes les réparations que ces messieurs considéraient nécessaires. Cette bonne volonté de la Ville semble avoir mis fin au différend.

En 1808, Pierre Emonet, en son nom et en celui du justicier Abram Favre, obtint pour six ans la jouissance du galetas du Château, qu’ils louaient déjà depuis quelques années. Par galetas, il faut entendre la grande salle du Château, l’actuelle salle des chevaliers.

En 1811, suite aux multiples demandes du châtelain de faire établir au Château une chambre d’avis pour la justice, la Bourgeoisie, considérant l’utilité de cette réalisation, admit qu’on réaménage les appartements situés sur la cave où était autrefois le logement des châtelains. En 1814, la Bourgeoisie autorisa Abraham Amiet-Matthey à transporter les latrines de sa maison au pied de la tour du Château et à diriger les eaux et les égouts de sa maison de manière à ce qu’ils ne nuisent pas au four neuf. Il est facile cependant d’imaginer combien cette installation dut être nuisible aux fondations de la tour, dont on connaît la précarité. En 1818, la Bourgeoisie refusa la construction dans l’actuel caveau d’un mur de séparation avec la prison dite la fromagère.

Le retour à l’état

Ainsi s’achèvent les relations de travaux et d’entretiens qui incombèrent à la Ville de Boudry. En effet, le 3 mars 1821, le châtelain de Boudry, au nom d’une commission d’État, demanda à la Commune de Boudry de rendre au Roi le Château acquis soixante-neuf ans auparavant. L’État fondait sa demande sur le fait que les prisons du Château étaient insalubres et peu convenables, eu égard aux intentions manifestées par les ministres prussiens d’améliorer sensiblement ce type d’établissements, en les rendant plus sûrs et plus humains. L’État rappelait que nombreux furent les prisonniers qui s’évadèrent des prisons boudrysanes, certains même avec la complicité des locataires du Château. De plus, tous les autres locaux et emplacements loués à des particuliers à proximité des cellules pouvaient nuire à leur sûreté. Finalement, l’État rappelait à la Commune que cette possession lui coûtait cher !

Le 11 mars, la Commune fit connaître sa réponse. Elle entrait en matière et écartait les réserves qui concernaient les places du Château, le réduit de la pompe à incendie logé contre le mur nord et les constructions faites en 1753 et en 1811, mais souhaitait une indemnité. Le 27 mars, le châtelain l’informa que la Seigneurie ne pouvait verser d’indemnité pour des frais de réparations, mais que la Bourgeoisie pourrait signaler ses dépenses « pour l’établissement des chambres d’examen et d’avis du château ». Le 1er avril, la Bourgeoisie laissait au Conseil d’État le soin de fixer une indemnité pour ces constructions de 1811. Et le 28 juin 1822, l’État reçut une lettre du prince de Hardenberg l’autorisant à passer l’acte de rétrocession aux conditions mises par la Commune « pour y introduire ensuite des prisons sûres et humaines ». Un acte de chancellerie fut finalement établi le 27 février 1823 et on versa 400 francs à la Bourgeoisie de Boudry, qui put aussi conserver le petit bâtiment au nord pour sa pompe à feu. Le Roi reprenait donc possession de sa vieille bâtisse.

Aussitôt, le châtelain de Boudry réclama pour son office le terrain qui dépendait du Château jusqu’en 1752. Le Conseil d’État arrêta qu’une partie du terrain serait remise à la disposition du châtelain et que l’autre, soit la partie supérieure qui forme une esplanade, serait aménagée en promenade publique.

Cependant, entre les intentions de l’État et la réa­lité financière, il y avait un tel fossé qu’en 1823, seules 500 livres pouvaient être allouées pour les réparations du Château. On décida de les consacrer de préférence à l’entretien du logement du concierge.

Le 23 juin 1823, l’intendant et architecte des bâtiments de l’État, Frédéric de Morel, écrivit a la Commune de Boudry que celle-ci, en vertu du retour du Château au prince, était tenue de fournir du bois pour les réparations. Il lui réclamait « la marque de douze billons de douze planches chaque de 18 pieds de longueur et de 600 pieds courants de bois de sapins de différentes grosseurs pour charpente ». Tout d’abord fort surprise de cette requête, la Commune renonça à émettre des réclamations et veilla désormais à ce que « les forêts de la Lequeta et de Biolet […] soient aménagées de manière à fournir en tous temps les bois nécessaires aux bâtiments seigneuriaux ».

À la fin du bail de la cave et de l’anticave concédé au greffier Jean-Jacques Martenet, à la Saint-Jean 1829, il fallut sortir le pressoir et les deux canons qui appartenaient à la Bourgeoisie. Les canons furent placés à la Tour Marfaux et le pressoir, vendu. En vertu des changements projetés par le Gouvernement, rien ne devait rester au Château. Martenet reçut même trois pins en indemnité pour avoir « remisé pendant six ans les deux pièces de canons de la bourgeoisie à son anticave du château ».

En effet, en 1828, le 16 avril, la Cour avait consenti à ce que les constructions projetées au Château soient exécutées conformément aux devis et plans qui lui avaient été présentés et que les frais se montant à 8067 livres 10 sols soient pris sur l’excédent des revenus de la Principauté. Toutefois, le 21 mai, le directeur des bâtiments fut arrêté dans les travaux ordonnés pour le dépôt du recrutement du Bataillon neuchâtelois des Tirailleurs de la Garde, en raison du refus du sieur Martenet de vider la cave qu’il louait et qui était remplie de vin, avant le terme de son bail à la Saint-Jean, le 24 juin 1829. En même temps, la Seigneurie avait déposé une réquisition auprès de la Commune de Cortaillod pour obtenir 5015 pieds courants de bois pour ces travaux. Cortaillod tenta de se soustraire à cette obligation, proposant même de racheter les droits que le prince pouvait avoir dans ses forêts, offrant mille huit cents livres, comme le lui avait suggéré Monsieur de Pierre, le directeur des forêts.

Finalement, rien ne fut exécuté et il fallut attendre février 1832 pour que le directeur des bâtiments fasse rap­port « sur l’état actuel des prisons de Boudry et sur les travaux à faire pour les mettre en rapport avec les besoins résultant […] de la réunion des ressorts criminels de Vaumarcus et de Gorgier. Il présenta alors deux projets : premièrement un établissement neuf devisé à 13159 livres et deuxièmement « de faire construire au-dessus des deux prisons existantes deux autres prisons chauffées avec un escalier de bois pour y communiquer et des grilles en fer devant les fenêtres de chaque prison ». Cette seconde pro­position au coût de 1072 livres selon le devis de l’intendant de Sandoz-Rosières, fut adoptée. En septembre, le directeur des bâtiments fit construire les deux nouvelles prisons, ce que les analyses dendrochronologiques effectuées lors des derniers travaux ont confirmé. On proposa de prélever la somme sur les 8000 livres octroyées en 1828 par la Cour de Berlin. Le trésorier fit alors remarquer que les 6892 livres 10 sols allouées alors ne l’avaient été que pour « rendre le château propre à loger le dépôt des recrues du Bataillon des Tirailleurs de la Garde » et qu’on ne pouvait prendre là-dessus l’argent nécessaire à la construction de nouvelles prisons. Mais comme un rapport du 24 octobre 1832 l’indique, « l’état actuel du Château de Boudry exige qu’il y soit fait promptement des réparations, que le plancher de la salle de justice est complètement pourri et même dangereux pour la sureté de ceux qui sont dans le cas d’y siéger, que les fosses d’aisance doivent être aussi éloignées à rai­son de l’infection qu’elles répandent dans tout le bâtiment. Ces réparations étaient prévues dans le projet de 1828 avec projet de caves à voûtes fortes sous la salle de justice. Meuron pense que £ 4100 suffiraient et qu’on peut utiliser le crédit accordé pour le dépôt du bataillon abandonné ». On résolut de demander au ministère berlinois sur quel chapitre il fallait faire porter les réparations.

Durant l’été 1832, Sandoz-Rosières avait été chargé d’examiner la possibilité de trou­ver un local convenable pour y conserver les archives de la juridiction. Charles-Henri Dubois fit alors un devis de 427 livres, qui fut jugé trop cher. On se borna à faire construire des armoires destinées à conserver les archives judiciaires aux moindres frais possibles.

De plus, en octobre, on constata que les étables construites par le sieur Baillod, grand sauthier, pour loger son bétail, nuisaient à la conservation du Château. On les jugea incompatibles « avec le régime de propreté et de convenances des prisons ». On ordonna à Baillod de déplacer son petit bétail avant le 1er novembre et le gros, avant le 25 décembre, et d’évacuer en même temps paille et fumier. Désormais, il ne devrait plus y avoir d’écurie au Château.

En juillet 1833, le châtelain de Boudry exposa au Conseil d’État que les quatre cellules destinées aux prévenus pendant l’instruction devenaient insuffisantes car elles devaient recevoir aussi des détenus à long terme. Il en faudrait deux nouvelles, outre un local de détention civile pour la gendarmerie, celui qui existait étant en fort mauvais état. Le Conseil décida de reporter de tels travaux à des temps meilleurs, se bornant à faire réparer le local existant.

En novembre 1833, le baron de Chambrier, conseiller et président du Département des finances, dans un rapport adressé au Conseil d’État, exposait : « que l’augmentation du nombre des détenus pourrait engager le Conseil à donner suite maintenant », à l’établissement de nouvelles prisons criminelles à Boudry. Le Département de justice et police, qui étudia le problème, proposa l’adoption du projet qui avait été présenté le 3 mai 1832 par le conseiller et directeur des bâtiments, Meuron. Moyennant une somme de 13159 livres dont 6892 avaient déjà été allouées par le rescrit royal du 21 avril 1828, il serait possible d’augmenter considérable­ment le nombre des cellules criminelles du Château en réunissant toutes les convenances de sûreté, d’humanité, de facilité de service ». Les plans furent renvoyés au Département des finances avec autorisation de consulter l’architecte Louis Châtelain. En février 1834, ce dernier sou­mit ses plans au Conseil d’État. Le Département des finances proposa de les adopter plutôt que de sanctionner ceux qui avaient été refaits par l’intendant des bâtiments Sandoz-Rozières. Comme les deux nouveaux devis s’élevaient chacun à environ 30000 livres, on souhaita réexaminer le problème du nombre des détenus. Le 10 mars, cette étude était presque abandonnée puisqu’on rechercha « la possibilité d’augmenter à peu de frais d’une ou deux prisons seulement le nombre de celles qui existent au Château ». Et le 17 mars, le Conseil abandonna « le projet d’un agrandissement considérable des prisons de Boudry », souhaitant un rapport établissant le coût d’une prison civile et d’une ou deux cellules pour les criminels. Selon un devis présenté par Louis Châtelain, ces trois locaux coûteraient 2940 livres 11 sols. Vu le prix, on renonça à la construction des prisons criminelles, si bien que le directeur des bâtiments fut chargé de faire construire au Château une simple prison civile, devisée à 237 livres 10 sols.

Les honoraires de Châtelain pour les plans et devis qu’il avait établis s’élevèrent à 116 livres, qui lui furent versées en janvier 1835.
Cette politique de bouts de chandelle rebondit en avril 1846 lorsque le châtelain de Boudry, de Pierre, demanda la construction de deux nouvelles cellules qui empêcheraient les prévenus de communiquer, d’un cachot pour les récalcitrants ou malfaiteurs dangereux et d’une nouvelle salle pour les séances du tribunal criminel ou l’agrandissement de celle qui existait, vu les inconvénients qu’il y avait à siéger à l’Hôtel de Ville. Le Conseil entra en matière pour les deux premières propositions, rejetant immédiatement la troisième. La Direction des bâtiments fut chargée de présenter des plans et devis, ce qu’elle fit en juillet. À ce moment-là, tout fut ajourné car la Cour devait statuer sur les plans d’une prison centrale !

Ainsi de 1823, année où le Roi reprit possession de Boudry, à l’avènement de la République en 1848, l’histoire du Château de Boudry est pavée de bonnes intentions. Tous les projets quelque peu ambitieux furent relégués aux oubliettes pour des raisons financières. Jamais le moment ne fut propice à la réalisation des nombreux plans qui furent dessinés. Chaque fois, on alléguait que la situation financière ne le permettait pas. Tout au long de ces tergiversations, le bâtiment ne cessait de se dégrader, conti­nuant sa longue agonie commencée au 15e siècle !

La République

Avec l’arrivée du gouvernement républicain, le Château servit de logement à un brigadier de gendarmerie et conserva ses cellules comme lieu de détention préventive. Une des portes des cellules de Boudry conserve gravée l’histoire étonnante d’un certain Rodolphe Auguste Ferrier, peintre gypseur en bâtiment, qui, en 1869, passa soixante jours en prison, accusé avec un collègue d’avoir volé et bu trois bouteilles de vin et qui fut finalement acquitté !

En 1868, les grandes caves du Château, où se trouvaient depuis 1848 du matériel d’artillerie, furent mises à la disposition du Département militaire après que celui des Travaux publics y eut fait les aménagements nécessaires. En 1870, les archives conservées à Boudry furent transférées au Château de Neuchâtel. C’est l’archiviste Louis Colomb qui procéda au déménagement. En 1876, l’État accorda à la préfecture de Boudry l’usage de la cellule n°12 pour y loger les voyageurs indigents. En 1877, le brasseur Peters loua la cave du Château pour vingt francs par an. Comme il n’occupait que le compartiment du fond, la Municipalité de Boudry, avec son assentiment, installa dans la partie antérieure une salle de gymnastique à l’usage des écoles. Barres fixes, barres parallèles et cordes à noeuds y furent installées. Cette salle fut utilisée durant plusieurs années même si elle devait être fort vétuste, à tel point qu’en 1889, dans une lettre au secrétaire de la commission scolaire de Boudry, le Conseil d’Etat ne saurait engager qui­conque à faire des réparations au Château, la question étant – encore une fois ! … – soumise au Département de police et à l’architecte cantonal.

Malgré le changement de gouvernement, les mentalités restaient les mêmes et aucune politique de conservation à long terme n’était envisagée. Au contraire, on continuait d’agir au coup par coup lorsque l’urgence le réclamait, comme ce fut à nouveau le cas en 1890.
Selon un rapport du 2 mai de l’architecte cantonal, la terrasse du Château menaçait de tomber en ruine. Un premier éboulement d’une partie du mur s’était déjà produit sur une longueur de deux mètres environ. Il y avait danger, car ce mur haut de six mètres domine un chemin public. Composé de mauvais matériaux, cailloux ronds, maçonne­rie de petit échantillon, il devait d’urgence être consolidé, de même que la tour, dont plusieurs moellons se détachaient et qui pré­sentait un renfle­ment inquiétant à la hauteur de huit mètres. On dut élever un contrefort de cette hauteur, large de deux mètres et épais d’un mètre cinquante. Le devis s’élevait à deux mille francs et les matériaux furent trouvés en bonne partie sur place. On profita de ces travaux pour introduire l’eau courante.

Comme les finances ne s’amélioraient pas, en 1903, le Conseil d’État chargea le chef du Département des travaux publics de mettre le Château en vente ou en location et de prendre les mesures nécessaires.

Quelques photographies de 1909 et 1917 permettent de se faire une idée de l’état du Château. Si extérieurement, l’édifice est presque semblable à celui que nous connais­sons, l’intérieur présente un état de décrépitude avancé. Une vue de la grande salle montre qu’elle servait de grange et comment on accédait aux cellules du premier étage. Avec ces témoignages et ceux de 1955, on se rend bien compte de l’état de quasi-ruine dans lequel était tombé ce monument historique.

Les Vignolants et le Musée de la Vigne et du Vin

Si le Château a été sauvé et si le musée existe et est à Boudry, le mérite en revient indéniablement à la Compagnie des Vignolants du Vignoble Neuchâtelois. Cette confrérie, dont l’acte de fondation fut signé à l’Hôtel de Ville de Boudry, vit le jour le 6 octobre 1951. Elle proposa immédiatement de créer un Musée de la Vigne et du Vin dans le cadre du Château de Boudry, vu la situation centrale de cette bourgade au coeur du vignoble et la chance, disaient les initiateurs des Vignolants, de posséder un site très agréable, une colline, un château, malheureusement sans âme, vide, ridé, flétri par les ans. Fallait-il le laisser s’écrouler ou tenter d’en faire le symbole vivant de toute la région et le lieu de rencontre des amoureux de la vigne ?

Grâce à l’ardeur de Jean-Pierre Baillod, chancelier de la Ville de Neuchâtel et grand chancelier de la Compagnie, des démarches furent entreprises auprès de l’État de Neuchâtel, propriétaire des lieux. Celui-ci entra en pourparlers et sans en référer au Grand Conseil comme cela aurait dû être fait, grâce à la forte personnalité du conseiller d’État Pierre-Auguste Leuba, il mandata Edmond Calame, architecte, qui, pendant trois ans, dirigea la restauration de la vénérable bâtisse.

La restauration de 1955 à 1958

Par rapport à l’éthique actuelle de la restauration, il faudrait davantage parler, à propos des travaux entrepris alors à Boudry, de sauvetage et de transformation que de réhabilitation. Et pourtant, avant que les travaux à propre­ment parler ne commencent, l’architecte voulut comprendre archéologiquement l’évolution du bâtiment. À cet égard, il fit effectuer de nombreux sondages et fouilles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ces travaux révélèrent l’existence de nombreux murs prouvant l’étendue bâtie considérable du site. Si nous conservons toutes les photographies prises alors, nous n’avons pas pu mettre la main sur les rapports de fouilles et les tentatives d’explications données.
En analysant ces prises de vue, secteur par secteur, nous ne pouvons que constater l’enchevêtrement des murs et les superpositions des maçonneries, montrant à l’envi les multiples transformations et réparations que le Château a connues. Les vues extérieures, prises d’avion, permettent de visualiser l’étendue du bâtiment, qui englobait tout le couronnement de la colline à l’instar de nombreux châteaux forts. Des murs d’enceinte reliaient la Tour Marfaux au complexe du Château. Une tour romane se dressait à la base des actuels escaliers d’accès à la cour. Des lices et courtines descendaient en direction de l’Areuse, rejoignant au bas de la colline un mur parallèle au cours d’eau.
Dans la cour, les fouilles mirent au jour une citerne qui était englobée à l’origine au cœur d’un bâtiment, d’après les tracés de murs importants qui l’entourent.

Il semble aussi que l’actuel caveau de dégustation de l’Office des vins de Neuchâtel, avant d’être couvert et d’abriter à l’étage les appartements des châtelains, soit resté longtemps à ciel ouvert, formant cour.

Edmond Calame fit construire plusieurs maquettes qui tentent la reconstitution des différents états du Château, qu’il définit comme roman, gothique et actuel. En jetant un simple coup d’œil sur ces hypothèses de travail, on est frappé par les nombreux donjons et tours qui composaient l’édifice, lui donnant au Moyen Age une allure importante, digne de son rôle de château-frontière, puisqu’il gardait l’entrée ouest du Comté de Neuchâtel, avant que les terres de l’Abbaye de Bevaix puis celles de la Béroche ne rejoignent le domaine seigneurial.
Si toutes ces études archéologiques sont dignes d’intérêt et méritaient d’être conduites, nous ne pouvons pourtant qu’être surpris du résultat final des travaux. En effet, on introduisit des matériaux qui n’ont aucun sens dans des édifices historiques du pays. Il est par exemple aberrant de trouver dans le hall créé un sol en granite alpestre plutôt qu’en roc du Jura. De plus, au lieu de recrépir et retisser les murs intérieurs, on se donna la peine de bien faire ressortir les pierres dans leur nudité et de les jointoyer avec du ciment. Quant aux façades, elles auraient aussi dû recevoir un recrépissage comme en 1755 !

Bref, la réalisation est conforme au goût des années cinquante, où l’historicisme l’emportait sur l’historique, à tel point qu’il fut difficile à l’époque déjà de justifier les partis pris de la restauration. Mais foin de querelles d’experts ! Le résultat était là. Le Château était à nouveau utilisable.

Le Château depuis 1957

C’est en grande pompe que le 1er octobre 1957, la Compagnie des Vignolants du Vignoble Neuchâtelois prit solennellement possession des lieux. Un cortège aux flambeaux conduisit les Vignolants, porteurs des drapeaux des dix-neuf communes viticoles, du cœur de la ville en leur nouveau chef d’ordre. Jean-Pierre Baillod rappelle que dans la cour d’honneur, à l’appel, les représentants des communes déposèrent au sein du puits reconstitué à la place de la citerne, un peu de terre à vigne de leur territoire. Ce geste symbolique sacrait le Château : Maison du Vignoble,donnant officiellement naissance au Musée de la Vigne et du Vin, le premier du genre en Suisse.

1957–1981

La Compagnie des Vignolants fut durant cette période responsable du musée et de son organisation. Elle fit installer, dans ce qu’il était autrefois convenu d’appeler l’anticave, un extraordinaire pressoir à vis centrale en bois du XVIIIe siècle qui provenait de la Maison du Tilleul à Saint-Blaise. Avec l’aide de l’État, elle fit entrer au Château le plus moderne des trois triptyques que Gustave Jeanneret avait consacrés au vignoble (actuellement, ces trois oeuvres sont exposées au Musée) et surtout put acheter une des grandes tapisseries que Lurçat réalisa sur le thème de la vigne, du même format que celle du Musée du vin de Beaune.

Dans le hall du Château, quelques vitrines présentaient la Compagnie des Vignolants ainsi que divers documents, dont quelques lithographies de Hans Erni tirées de ses livres bachiques. Dans la salle dite des Confréries, étaient exposés les nombreux diplômes et médailles reçus par la Compagnie au cours de ses pérégrinations à travers toute l’Europe. D’autres objets complétaient la présentation.
À l’étage, dans trois petites pièces, étaient présentés une ampélographie, quelques modèles décrivant la vigne en fleurs et ses principales maladies, une série de carafes et verres anciens, et la reconstitution d’une vigne.

Bref si l’intérêt pour le musée était réel, sa mise en valeur fut peu à peu négligée, à tel point qu’il s’empoussiéra et disparut des habitudes de visite des touristes.

Cette situation inquiéta quelques députés qui, en 1978, interpellèrent le Conseil d’État afin qu’il mette sur pied une commission chargée d’étudier un concept général de poli­tique touristique pour le Canton. Parmi les idées émises, l’une proposait de réactiver le Musée de la Vigne et du Vin. Elle fit son chemin, puisqu’elle aboutit en 1981 à la constitution de la Société du musée de la vigne et du vin, qui préside depuis à la destinée du musée.

1981–1989

Sous la présidence d’Alex Billeter, la société se mit au travail, proposant d’entrée un projet ambitieux, qui consistait à étendre le musée dans l’ensemble des combles du Château, laissés inoccupés. L’architecte Jean-Louis Béguin dressa des plans. De nombreuses manifestations furent mises sur pied afin de faire connaître au public ce musée, mais surtout la richesse de l’histoire viti-vinicole du Pays de Neuchâtel. Des expositions eurent lieu extra-muros puisque l’état du Château ne permettait pas qu’elles soient présentées en ses murs.

Mais entre les intentions, toutes louables qu’elles soient, et leur réalisation, il faut que l’argent, nerf de toute entre­prise, soit disponible. Nous avons suffisamment montré au cours de ces quelques pages que ce fut son absence perpétuelle qui fit que le Château tomba peu à peu en ruine. À nouveau, le développement muséal du Château se heurtait à une situation économique jugée peu favorable. Remarquons que jamais au cours de l’histoire le moment ne fut propice, si l’on se réfère aux textes et aux arguments de ceux qui détenaient les cordons de la bourse. Il en est toujours de même dès qu’un but culturel est sous les feux de la rampe: l’histoire se répète sans qu’on en tire de leçons. Bref, jamais il ne fut opportun de sou­mettre au législatif cantonal une demande de crédit pour Boudry.

Mais l’idée suivait son cours, prenait de la consistance, trouvait des adeptes et non des moindres, puisque le conseiller d’État André Brandt admit que le projet était digne d’intérêt. Cet accord permit de réaliser l’aménagement des pièces du premier étage, qui furent inaugurées le 24 juin 1986. Leur muséographie préfigurait la suite. Grâce à l’emploi de matériaux modernes, contrastant avec les murs vénérables de l’édifice, on put mettre en place un parcours succinct présentant un survol de la bimillénaire viticulture neuchâteloise.

Cette étape était à peine terminée qu’il fallut reprendre l’entretien du Château : il n’y avait plus eu de travaux importants depuis trente ans. Des problèmes surgirent au niveau de la toiture, dont le revêtement laissait passer pluies et neiges. La réfection du toit devenait indispensable.Ces travaux présentaient l’occasion rêvée de mettre en place le musée dans les combles, ce que l’Etat comprit si bien que tout au long de 1988 et une partie de 1989, le Château vit à nouveau défiler les ouvriers : charpentiers, couvreurs, serruriers, maçons, électriciens, peintres, spécialistes de la chaux … Tous œuvraient sous la direction de l’Intendance des bâtiments de l’Etat, réalisant le concept architectural défini par Jean-Louis Béguin. Suite à une réflexion qui voulait concilier les murs historiques et une muséographie résolument moderne, il fut admis que toute l’intervention contemporaine serait marquée. À force de rechercher un fil rouge cohérent, on décida de peindre tout l’apport en rouge. Escaliers en fer, conduit de cheminée, rail électriques, panneaux explicatifs, tout est rouge. La forme pyramidale des vitrines provient en ligne directe de l’aspect triangulaire de la charpente.

En accord avec le Service des monuments et des sites, le traitement des murs s’est fait à l’ancienne, à la chaux. L’ancrage du mur de refend et une partie du plafond des anciennes cellules ont été conservés. Une porte de prison fut même remise en place.

Quelques investigations archéologiques ont révélé l’existence d’un chemin de ronde sur le mur nord, entre la tour d’angle et les restes de l’ancien donjon gothique.

Bref, ces travaux ont été menés selon les critères contemporains de la conservation, qui tiennent à éviter le faux vieux. Le résultat d’ensemble est sans conteste une réussite architecturale qui justifie la collaboration interdisciplinaire de différents spécialistes tout au long de la restauration. Les travaux achevés, il fallut mettre en place le contenu en accord avec l’architecture. Il fut convenu de détacher l’exposition des murs pour bien marquer le décalage entre l’enveloppe historique et l’apport moderne.

Finalement, le musée fut inauguré le 14 octobre 1989 en présence des autorités de l’État. Le Pays de Neuchâtel pouvait s’enorgueillir de posséder un témoin digne de son passé viticole. Rappelons que la vigne et le vin furent la principale activité économique du pays jusqu’à la fin du XVIIe siècle et qu’alors, l’État retirait un tiers de ses revenus du commerce des vins ! Et c’est le 3 novembre 2007 qu’il a été à nouveau entièrement réaménagé.

Le Château aujourd’hui

Plus personne n’oserait aujourd’hui proposer la démolition pure et simple du bâtiment comme en 1749. Le Château est sauvé et entretenu. Sa silhouette est inscrite dans le paysage boudrysan et personne n’accepterait qu’elle disparaisse.

Depuis 1957, le Château est connu pour ses salles de réception, utilisées pour des repas, mariages ou autres cérémonies. Sa grande salle dite « Salle des chevalier » peut accueillir jusqu’à cent trente personnes. On peut y faire venir des traiteurs ou demander directement le service de l’intendant du Château. Le « Caveau » peut contenir une quarantaine de personnes. On y déguste des plats traditionnels du terroir confectionnés dans les cuisines du Château. Un « Cellier », aménagé dans l’ancienne cave seigneuriale, abrite les pro­duits des encavages vignoble. On peut y déguster toute la gamme des vins de Neuchâtel, des traditionnels Chasselas et Pinots noirs aux spécialités telles les Pinots gris, Chardonnays, Blancs de noir Riesling x Sylvaner, Gewürztraminer et autres mousseux dont les rois de Prusse se régalaient déjà.

Ambassadeur des vins de Neuchâtel sous les auspices de l’Office des vins et produits du terroir de Neuchâtel, le Château est aussi l’écrin où la vigne et le vin peuvent raconter leur longue histoire. Le musée actuel se charge de la présenter au public tant dans sa partie permanente qu’au cours d’expositions temporaires.

Les pierres permettent de relier les hommes entre eux. Même si elles peuvent tomber en ruine, elles subsistent pourtant davantage que ceux qui les ont élevées. Constatant ainsi leur inanité, ceux-ci doivent se rappeler l’éphémère de leurs intentions face à la pérennité des monuments auxquels ils sont attachés. La longue histoire du Château de Boudry atteste cette manière d’agir qui pousse les habitants d’un pays à vouloir malgré tout conserver leurs racines. Même si le bâtiment actuel n’est plus l’édifice gothique, même si ses murs ont servi de carrière, même si les silhouettes de ses tours ont sombré dans l’oubli, sa survivance, même réduite, suffit à évoquer la longue chaîne qui a forgé l’identité du pays. De surcroît, le fait que le Château soit devenu aujourd’hui la Maison du Vignoble, renforce son rôle emblématique dans une région où la mentalité des hommes s’est forgée en harmonie avec la terre qu’ils cultivaient.

Le Château n’est pas seulement un lieu du souvenir. Il ne cherche nullement à évoquer la nostalgie du passé. Bien au contraire, tout en le mettant en exergue, il actualise le présent, pour ne pas dire l’avenir. Tant par des repas que par des expositions, il cherche à poursuivre sa marche vers demain, rappelant peut-être simplement que les hommes et les choses passent et que les affectations d’un lieu doivent suivre les besoins des époques.