Le musée de la vigne et du vin
Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée
Les pièces principales
Deux pressoirs | Mosaïque d’un symposium | Gustave Jeanneret | Les étiquettes | Edmond Bille | Frédéric-William Morritz | Un autre de Lory | Louis-Constant Guillaume | Les suiveurs | Louis de Meuron | Eric de Coulon | Œuvres éparses | Photographies aériennes | Différents outils de tonneliers | Une typique channe Neuchâteloise | Aquarelle de Baumann
Deux pressoirs du XVIIIe siècle
Dans une salle où un pressoir y est attesté historiquement depuis la fin du XVe siècle. Actuellement les visiteurs peuvent découvrir deux exemplaires datant du XVIIIe siècle : un à vis centrale en noyer provenant d’une demeure patricienne neuchâteloise et un autre à arbre.
Pour une pressurée complète, il fallait être entre quatre et six hommes et compter entre six et huit heures de travail.
Mosaïque d’un symposium figurant un asarotos oikos (au sol non balayé)
Art romain, Est de la Méditerranée, Levant, Collection privée
En dépôt au Musée, cette somptueuse mosaïque représente une scène de banquet, comprenant neuf personnages couchés sur un lit en demi-cercle appelé stibadum ou lit en sigma. Servis par sept serviteurs, les convives reposent tous sur leur côté gauche, selon l’usage romain du symposium,autrement dit du banquet. Le repas est déjà bien avancé, comme l’indiquent les nombreux restes de nourriture éparpillés sur le sol, ainsi que la tenue des convives, décrits plus ou moins déshabillés et ivres. Le banquet a lieu dans le triclinum, la salle à manger romaine, qui se caractérise par les tentures cachant les entrées et les fenêtres et la disposition des lits de banquet arrangés autour d’une table centrale.
Par sa taille immense, la composition et le soin apporté dans la description des détails, cette mosaïque compte parmi les œuvres les plus importantes et spectaculaires de cette période. Elle offre à la fascination du spectateur un regard sur une scène de la vie quotidienne de l’aristocratie romaine. Les moindres détails, stylistiques ou historiques, sont représentés et partout où que l’on pose le regard, une nouveauté amusante apparaît : une souris grignotant un morceau de nourriture, un serviteur remplissant un liquide chaud, probablement du vin, d’une sorte de samovar, dont le feu est attisé par un autre garçon, un des invités a sombré dans un sommeil aviné, un autre boit du vin dans une petite bouteille en verre qu’il tient haut au-dessus de la tête, enfin un chat regarde en direction du spectateur.
Bien que les convives semblent avoir déjà beaucoup bu et mangé depuis un bon moment, la scène décrit le moment où le plat principal est en train d’être servi. Au centre de la scène, un serviteur a attrapé l’une des trois volailles, qui se trouvent sur les tables au milieu du stibadum. Chaque table est recouverte d’une nappe diaphane à franges. Autre détail qui atteste une fois de plus du soin apporté par l’artisan à son œuvre, la silhouette des pieds de la table, s’arquant au sommet pour s’attacher au plateau, apparaît à travers la nappe.
Le soin apporté à rendre les détails physiques et les caractéristiques personnelles de chaque convive et serviteur laissent penser qu’ils représentent de vrais portraits et non des image « stocks ». Aucun des personnages n’est semblable à un autre. Le personnage principal se trouve au centre sur la couche, vers le haut de la scène; il regarde par-dessus son épaule gauche et passe la main droite dans ses cheveux. Les interactions entre les personnages sont bien rendues par le contact des yeux ou les gestes.
Un autre détail frappant de la mosaïque est la variété de couleurs utilisées. La peau des personnages est rendue tout en nuance, avec un rose léger, blanc tirant sur le rose, le jaune et le gris. Les vêtements et draperies sont somptueusement colorés en verts, bordeaux profonds ou ocre, qui contribuent à la richesse de la scène
Les serviteurs ont le crâne rasé, à l’exception d’une petite mèche centrale, attachée en queue de cheval, qui est caractéristique des esclaves romains d’un statut particulier. Le serviteur au centre de la scène, qui va débiter l’une des volailles, est coiffé de la même manière que deux des convives. Les serviteurs chargés de couper la viande avaient un statut particulier par rapport aux autres esclaves, ce qui explique les différences dans le vêtement et la coiffure.
Parmi les ustensiles utilisés, on remarque de la vaisselle en argent et en bronze, notamment, en bas à droite, un grand samovar en bronze, devant lequel est posé une cruche en argent. De l’autre côté, en bas de la scène à gauche, une sorte de caissette en bronze munie d’un couvercle et d’une chaîne qui le retient.
Le sol de couleur noire crée un grand contraste avec la vivacité de la scène figurée au-dessus et bien que les deux niveaux de la mosaïque sont visuellement chargés, le dynamisme des figures s’équilibre parfaitement avec le calme du tableau « de nature morte » du sol.
Le sol, jonché de restes de nourriture, nous permet de nous faire une idée sur le contenu d’un repas de banquet aristocratique romain. Têtes et arêtes de poisson, têtes de crevettes, coquilles d’escargots et de fruits de mer, os de poulet et pinces indiquent les sortes de viandes et de poissons servis. Les légumes sont aussi représentés avec des tiges d’artichauts, de longues feuilles vertes, des noix et bien d’autre…
Le thème de l’ asarotos oikos, ou « sol non balayé » est attesté pour la première fois à l’époque hellénistique et serait l’œuvre du maître Sosos de Pergame. L’œuvre originale est perdue mais l’historien Pline((Pavimenta originem apud Graecos habent elaborata arte picturaeratione, donec lithostrota expulere eam. celeberrimus fuit in hoc genere Sosus,qui Pergami stravit quem vocant asaroton oecon, quoniam purgamenta cenae inpavimentis quaeque everri solent velut relicta fecerat parvis e tessellistinctisque in varios colores. mirabilis ibi columba bibens et aquam umbracapitis infuscans; apricantur aliae scabentes sese in canthari labro. —Pliny,Natural History, Book XXXVI.184)) en fait une description complète. Plusieurs thèmes hellénistiques furent utilisés à l’époque romaine avec un grand succès. Les scènes de banquet et de sol non balayés ont certainement été très populaires, mais la pièce en examen est probablement le seul exemple où ces deux thèmes sont représentés en une scène. Combiné avec la taille gigantesque de la mosaïque, l’effet est époustouflant.
D’autres scènes de « sol non balayé » sont attestés dans l’art romain, notamment une mosaïque signée par un Grec, Héraklite, qui se trouve maintenant au Museo Gregoriano Profano, dans les Musées du Vatican, qui mesure environ 4.05 m de long et date du IIe siècle ap. J.-C. . La scène représentée contient également une souris grignotant des restes, ce qui laisse penser que ce détail figurait sur l’œuvre originale de Sosos. La mosaïque est délimitée sur le sol en trois bandes correspondant à la disposition des lits de banquet dans le triclinum. Cela nous laissent aussi imaginer que la scène de la mosaïque du Vatican était visible par les convives pendant qu’ils banquetaient, éparpillant sur le sol les restes de leur repas sur un sol « déjà sali ».
La grande taille, le thème et la technique indiquent que cette mosaïque appartient au groupe de l’est du bassin méditerranéen. Elle devait probablement se trouver dans une résidence privée et devait avoir été spécialement commandée par les propriétaires, car généralement, on trouve plutôt des scènes religieuses ou mythologiques que des représentations de la vie quotidienne.
Les mosaïques représentant des figures de grande échelle sont typiquement levantines. Des scènes figurées, de composition semblable, avec des personnages isolés et répartis sur un sol à fond blanc sont bien attestées dans la deuxième partie du Ve siècle ap. J.-C. : parmi d’autres, un exemple connu est la mosaïque de la chasse provenant de la maison de Triclinos à Apamée, et datant de 539 ap. J.-C.
Dans l’est de l’Empire romain, les scènes de la vie quotidienne sont un thème très populaire pour les mosaïques du sol parallèlement aux nombreuses – et célèbres – scènes mythologiques. Le grand palais de Constantinople nous a transmis des exemples parlants de représentations du monde séculaire dans la mosaïque. On y trouve également une scène de « sol non balayé » combinée avec une scène de la vie aristocratique romaine.
Un autre exemple représentant une scène de la vie quotidienne vient du site de Mariamin et date de la fin du IVe siècle ap. J.-C. La mosaïque, d’une très grande taille, quoique moins grande que la pièce en examen, se trouvait dans la salle à manger et représente des musiciennes.
Enfin, on peut noter que la composition de cette mosaïque est le précurseur de l’une des scènes les plus célèbres de l’art chrétien, à savoir le dernier repas du Christ avec ses disciples. Le lien entre le banquet romain païen et l’iconographie chrétienne est un autre élément unique de cette mosaïque.
La condition générale de la mosaïque est excellente, puisqu’elle est quasiment intacte. On notera de petites restaurations sur certaines parties autour des têtes des personnages, marquées par un changement brutal dans la couleur des tesselles. Le large éventail de couleurs est obtenu par l’utilisation de différents types de pierres. Les tesselles de couleur vive, surtout le rouge et l’orange utilisés pour les détails physiques comme les lèvres ou pour les vêtements, sont en verre.
C’est dans le Bas-Empire romain que la disposition des lits du triclinum change, abandonnant les trois couches rectilinéaires pour une seule grande pièce en demi-cercle, appelée stibadum ou couche en sigma. On ne sait pas exactement quand le stibadum devient vraiment populaire, mais on sait qu’il apparaît sur les mosaïques et les fresques murales dès le IIIe siècle ap. J.-C., bien que la forme soit connue avant. Le style tridimensionnel de la pièce et la manière dont est suggérée la profondeur, permettent de dater la mosaïque à 450au plus tard.
N.Blanc / A. Nercessian La Cuisine RomaineAntique Editions Glénat, 1992 .
K.M.D. Dunbabin, Mosaics of the Greek and Roman World, Cambridge University Press, 1999fig. 26.; Hagenow, G. « Dernichtausgekehrte Speisaal » RM 121, 1978, 260-275;
D. Levi, AntiochMosaic Pavements, Princeton, 1947; Pliny Natural History36.184
Gustave Jeanneret (1847-1927) | Un peintre de la vigne à l’aura internationale
Peindre la vigne et le travail des vignerons n’entre pas dans les préoccupations des artistes de la seconde moitié du 19e siècle. Rares sont en effet les peintres qui entre réalisme et naturalisme, symbolisme et impressionnisme, ont retenu comme sujets de leur attention les verts de la vigne, exception faite pour quelques scènes de vendanges ou intérieurs de caves.
Le catalogue de l’exposition Vins, vignes, vignerons dans la peinture française, qui a eu lieu en 1996/97 au Musée d’Art et d’Histoire de Narbonne en témoigne bien. Parmi les œuvres reproduites, peu ont la précision et la rigueur des toiles que Jeanneret a consacrées au travail de la vigne.
Comme l’a fort bien démontré Pascal Ruedin((Ruedin, P.(1998).Gustave Jeanneret. Hauterive : Editions Gilles Atinger)), Jeanneret n’hésitait pas à recourir à la photographie avant de se lancer dans la mise en place d’une composition, passant évidemment par tous les stades de l’esquisse, de la mise au carré à la réalisation finale. Que ce soient des femmes en train d’effeuiller, d’autres portant des seillons, des brandards, des porteurs de gerles, des vignerons en train de provigner, de tailler, de labourer, tous les gestes peints témoignent d’une observation rigoureuse d’une réalité quotidienne que l’artiste pouvait suivre au jour le jour.
Son œuvre peint viticole dépasse de loin l’anecdote. Il a une importance ethnographique considérable puisque Jeanneret rend compte de pratiques vigneronnes aujourd’hui totalement disparues. Il offre au regard des parchets tels qu’ils existaient avant l’apparition du phylloxéra ; il évoque des techniques de culture aujourd’hui disparues; il célèbre des gestes désormais perdus.
À Boudry, le Musée de la vigne et du vin conserve les trois triptyques1, les Pressureurs(( Propriété du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel)), leur mise au carré, et deux autres études préparatoires, les « Porteurs de Gerle((Dépôt du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel))» et une petite toile d’étude d’un caviste. À ces oeuvres s’ajoutent une étude préparatoire du premier triptyque, un portrait regroupant un vigneron, une paysanne et un paysan et encore une oeuvre de jeunesse, vraisemblablement peinte lorsque Jeanneret se trouvait en Alsace. Œuvres majeures certes mais qui ne doivent représentées qu’une infime partie des travaux que l’artiste a consacrés au vignoble. Nous oserions souhaiter avoir connaissances d’autres tableaux !
Les Pressureurs
Ce tableau peint en 1887 montre l’intérieur du pressoir de la Croix-Blanche à Cressier. Pour le peindre, Jeanneret a tout d’abord recouru à des photographies. Ensuite, il a effectué quelques esquisses, diverses études peintes et une mise au carré qui est aussi conservée au Château.
Cette peinture qu’on pourrait qualifier de naturaliste est très intéressante sur le plan ethnographique puisqu’elle illustre l’effort que les hommes devaient fournir en phase finale de pressurage. Ils sont en train de donner les derniers tours au tourniquet ou treuil, permettant ainsi à la palanche d’abaisser l’écrou. Avec ce pressoir, on remarque un système de cliquets qui permet de remettre en arrière la poutre ou palanche sans avoir à la retirer de son support, comme c’était autrefois le cas.
On relève aussi que les marcs « soit les poutres » reposent directement sur les planches appelées l’ivrogne qui sont placées directement sur le raisin. On voit aussi que la cage qui contenait le raisin au début de la pressurée n’est plus là, étant devenue inutile tant la masse des raisins pressurés est désormais compacte.
Ces hommes sont donc en train d’extirper les dernières gouttes de jus.
On remarque aussi comme détail un pichet de vin blanc : celui est le vin de l’année précédente. Il a en effet perdu un peu de sa couleur, devenant légèrement gris, signe de son âge.
En plus de la toile définitive, le Musée possède diverses études préparatoires de ce tableau capital dans l’œuvre peint de Gustave Jeanneret.
Les saisons de la vigne : la taille, la vendange, le report de la terre
Ce triptyque qui date de 1890 environ nous dévoile des images viticoles aujourd’hui disparues.
Prenons par exemple l’aile de gauche. On y voit un vieux vigneron expliquer à plus jeune, qui se réchauffe, l’art de la taille. En effet, on taille la vigne par temps clair durant le mois de février. Mais ce qui est intéressant, c’est de relever la typologie de la vigne en regardant entre les jambes du vigneron debout. On se rend compte que les ceps ne sont pas du tout alignés mais plantés n’importe comment, selon une technique que l’on appelle la foule.
En s’approchant maintenant de l’aile de droite où l’on découvre un vigneron en train de remonter des terres avec un oiseau, outil appelé ainsi en vertu de sa forme : le manche symbolisant le bec et la caisse la tête, on aperçoit tout d’abord posé sur le sol un « croc », soit le fossoir avec lequel on labourait de la première les vignes. Mais ce qu’il faut surtout remarquer, c’est la vigne elle-même où des ceps âgés côtoient des ceps plus jeunes. On voit aussi qu’à la taille, on a coupé tous les sarments aux cornes des ceps, exception faite toutefois pour quelques plants dûment sélectionnés. En effet, durant la belle saison, les vignerons avaient l’habitude de marquer les plants qui étaient les plus vigoureux et les plus productifs, bref ceux qu’il convenait de provigner ou, pour employer le terme français, de marcotter.
On leur laissait donc à la taille deux ou trois sarments. Durant le mois de mars, on creusait à leur base un trou ou fosse, on y mettait un peu de fumier puis on pliait à l’intérieur le bois du plant en prenant soin de laisser ressortir les sarments. On recouvrait alors le tout de terre. Les sarments donnaient alors naissance à de nouveaux plants. Ainsi, les vignes produisaient sans discontinuité durant des décennies, voire des siècles, puisqu’on n’avait jamais besoin de les arracher étant donné qu’elles étaient sans cesse renouvelées par provignage. On estime que chaque année un 4 à 5% des plants étaient ainsi provignés.
Quant à la scène centrale, elle présente une scène typique de vendanges en pays de Neuchâtel. On y avait en effet l’habitude de fouler directement les raisins à la vigne et ceci, pour trois raisons. La première était purement économique. En effet, de nombreux vignerons vendaient directement leur vendange à la récolte. Pour pouvoir la comptabiliser, il fallait pour cela avoir des cuveaux dûment étalonnés. On parle à Neuchâtel de gerles qui ont une capacité de cent litres. Au début, on foulait avec un simple pilon, ensuite avec des fouleuses comme celle représentée sur le tableau.
La deuxième raison était fiscale. En effet, l’État retirait des vignes la dîme et pour la percevoir, il convenait que la récolte de chaque vigne soit mise en gerle. On percevait normalement une gerle sur onze ou une gerle sur dix-sept. Cet impôt était loin d’être négligeable. En effet, jusqu’à l’aube du XVIIIe siècle, l’État retirait environ un tiers de ces recettes de la vigne et du vin !
Quant à la troisième, elle est plus anecdotique. En effet, comme le vignoble neuchâtelois se trouve en zone septentrionale de culture, on profitait ainsi de fouler le raisin à la vigne pour utiliser les rayons du soleil afin de lancer le processus de la première fermentation, celle qui transforme le sucre en alcool. Il n’était point rare que l’on vendangeât fort tard et que certaines années, les raisins gelassent dans les gerles. On n’avait pas comme aujourd’hui les moyens de chauffer les caves afin de maîtriser cette fermentation.
LES SAISONS DE LA VIGNE : le provignage, le labour (creusage du céseau), l’échalassage
Ce deuxième triptyque (1896) est sans doute le plus élaboré, en tout cas au niveau de son unité picturale puisque son arrière-plan donne une vision unifiée de l’environnement viticole du village de Cressier, même si trois moments distincts de la vigne sont peints.
L’aile de gauche présente une scène de provignage, soit le moment où le vigneron s’occupe du renouvellement des plants du parchet comme cela se pratiquait avant l’apparition du phylloxéra. Durant la belle saison, celui-ci marquait les ceps qui lui semblaient les plus vigoureux et les plus productifs ou les meilleurs qualitativement parlant. Durant le mois de mars, voire en février déjà, il creusait à la base de ceux-ci un trou appelé « fosse » au fond duquel il répandait un peu de fumier. Ensuite, il couchait dans ce trou le cep choisi en prenant soin de laisser ressortir de terre un, deux ou trois sarments, qui donnaient naissance ensuite à de nouveaux plants. Ce provignage ou marcottage permettait ainsi de renouveler les vignes.
La scène centrale offre une scène de labours du croc, voire de creusage de céseau, soit le fossé créé en bas des parchets pour recueillir les terres des ravines. Les hommes ainsi que les femmes maniaient pour ce faire des fossoirs à deux berles, labourant la terre sur une profondeur d’environ 20 à 30 centimètres, en prenant soin de ne pas abîmer les racines mères.
Ce travail pénible s’effectuait en févier au début de mars. On relève aussi ici une femme en train d’apporter à manger aux vignerons.
L’aile de droite montre comment on remettait les échalas lorsque les premières feuilles apparaissaient. En effet, l’habitude voulait que ceux-ci soient retirés de terre peu après les vendanges et qu’ils soient couchés à même le sol, placés en chevalet, tout au long de l’hiver. Leur présence aurait empêché les labours, étant donné que les ceps étaient fort serrés les uns contre les autres. En fait, on ne laissait des échalas qu’aux provins, raison pour laquelle il est possible d’en voir quelques-uns sur la partie centrale.
LE TROISIÈME TRIPTYQUE
Peint en 1915 dans un style nettement plus décoratif, dans l’esprit d’Hodler, ce triptyque a perdu le naturalisme présent sur les deux précédents. Il faut dire qu’il a été peint pour faire partie de l’ensemble ornemental prévu pour la Salle du Grand Conseil.
Malgré une unité toute relative, il montre trois moments de la vigne ; à droite, le portage des terre avec l’aide des oiseaux ; au centre, les nouvelles plantations et à gauche, des labours avec le croc.
Le tout est traité davantage dans un esprit de décoration que dans une volonté de représenter dans la précision des travaux vignerons.
Le Musée possède aussi une des études préparatoires de ce triptyque.
LES PORTEURS DE GERLE (1922)
Moins réaliste que le triptyque ce tableau présente deux vignerons en train de porter une gerle avec l’aide d’un ténéri. Ce transport se faisait pour placer les gerles foulées à la vigne sur le char à brecets puis pour décharger ce char à l’entrée du pressoir.
Il fallait coordonner ses mouvements et tenir d’une main la base de la gerle afin d’éviter le balancement.
Ces quelques exemples montrent à l’envi que Gustave Jeanneret est loin d’être un peintre anecdotique et qu’il a mis toute sa force picturale au service de son art, suivant au gré du temps l’évolution des courants, sans tomber toutefois dans le modernisme.
Sa peinture vitivinicole n’est sans conteste qu’une des facettes de son œuvre mais elle a le mérite d’être quasiment unique dans l’histoire de la peinture naturaliste, que celle-ci soit française, belge ou suisse. Au-delà des analyses et des comparaisons à faire avec des artistes comme Jules Bastien-Lepage, Emile Friant2, il convient de considérer Gustave Jeanneret comme un des très grands peintres que la Suisse a connus dans la seconde moitié du 19e siècle. Et pour l’amoureux des vignobles d’autrefois, il est sans conteste l’œil des pratiques oubliées.
Des études pour différents tableaux
Des laboureurs du croc ( études préparatoires pour le grand tableau du Musée d’Art et d’Histoire de Genève)
Une œuvre d’ailleurs
Le Musée a pu enrichir sa collection de toiles de Gustave Jeanneret avec l’entrée dans les collections d’un tableau assez singulier qui présente une scène de vendanges peinte vraisemblablement en Alsace. Dès que les études en cours sur ce tableau seront achevées, d’autres informations seront apportées
Un vigneron, un paysan et une paysanne
Dans le cadre de l’exposition temporaire intitulée « La main, l’outil, le geste », nous avons le plaisir de présenter une grande étude de Gustave Jeanneret qui figure trois personnages dont un vigneron portant un croc. Si les visages du paysan et de la paysanne sont achevés, celui du vigneron reste esquissé donnant à ce tableau un goût d’inachevé. Cependant, la force de cette œuvre réside dans la présence de ces trois personnes qui rappellent à quel point Jeanneret était sensible aux petites gens, cherchant sans cesse à les représenter dans la gravité de leur quotidien.
Les étiquettes
Une publicité d’Edmond Bille
Le Musée de la vigne et du vin a pu se porter acquéreur d’une gouache originale d’Edmond Bille réalisée à titre de publicité pour la maison Perrier de Saint-Blaise. Cette affiche appartient à une série de trois, les deux autres étant en mains privées.
Edmond Bille est né à Valangin le 24 janvier 1878. Après avoir effectué son gymnase à Neuchâtel et avoir été un membre émérite de la Société Néocomia, Bille a entrepris des études à l’Ecole des beaux-arts de Bienne (1894-1895) avant de fréquenter l’atelier Laurens et Constant à l’Académie Julian de Paris.
Considéré aujourd’hui comme un des maîtres de l’Ecole de Savièse, suite à son établissement au Valais en 1904, Bille n’en demeure pas moins un artiste neuchâtelois puisque toutes ses premières œuvres sont souvent liées à la région comme celle reproduite ici en témoigne.
Il est vrai que pour un jeune artiste les débouchés ne sont pas faciles. Ainsi, Bille s’adonne à la réalisation d’affiches pour gagner son pain. Toutefois, ses affiches ne sont pas dénuées d’intérêt pictural. Elles peuvent même être rattachées aux grands mouvements artistiques de l’époque. Celle-ci a, sans aucun doute, des connotations Nabis, principalement dans l’interprétation du ciel.
En plus de vanter les qualités d’une grande maison de vins de Saint-Blaise, cette affiche a la particularité de représenter une vieille tradition de vendange : celle des pipes de noix.
Pour décrire ces pipes, on peut se référer à un texte du général de Gélieu qui évoque ses souvenirs d’enfance en temps de vendanges.
Pendant les vacances d’automne, nous allions mes sœurs et moi, chez ma tante Imer à la Prise, près Colombier, et chez ma tante Du Pasquier à Colombier même, et dès que les vendanges étaient ouvertes, nous étions les premiers à entrer dans les vignes après les vignerons. Nous commencions naturellement à choisir les plus belles grappes et nous mangions du raisin, plus que je n’en pourrais supporter aujourd’hui. Puis quand les gerles étaient foulées, c’est-à-dire que le raisin qu’on y avait versé était écrasé au moyen d’un pilon, nous prenions « nos pipes de noix » et allions boire le jus des raisins. Les pipes se composaient d’une grosse noix, de celles qu’on appelle « noix des Goths », au bout de laquelle on fixait un jonc pris au bord du lac, après avoir auparavant vidé la noix et pratiqué plusieurs trous dans la coquille. Heureusement pour nous, les trous se bouchaient bientôt, car les grains y entraient et n’en ressortaient qu’avec peine. Sans cet arrêt involontaire, nous nous serions peut être enivrés de jus de la grappe, si doux et si bon.
Le soir, pour nous préserver des suites fâcheuses que pouvait avoir cet excès de boissons, on nous donnait des pommes de terre rôties que nous devions manger toutes chaudes; nous aimions beaucoup ce remède!
Nous aidions parfois à tourner le pressoir, et nous en avions notre profit ; car alors, on nous permettait de remplir des verres de moût qui coulait du pressoir; ce moût était plus fort que le jus de la gerle et quand nous en avions bu deux verres, c’était assez pour la journée.
Pendant les vendanges, chacun est gai, surtout quand la récolte est bonne ; aussi entend-on le soir, après le travail, les vendangeurs et les vendangeuses chanter de joyeuses chansons, jusqu’à ce que la cloche de 9 heures les rappelle au repos, en vue du travail du lendemain.
(Général Bernard de Gélieu, né en 1838; AEN Journaux et Livres de raison, Tr 1038, fol 35 et suivants)
Ce texte résume bien l’atmosphère des vendanges d’hier et surtout rappelle l’anecdote que Bille a choisi d’illustrer avec ces deux enfants attirés par le moût contenu dans la gerle. Les pipes de noix sont bien reconnaissables et les sourires des mômes laissent supposer que les suites fâcheuses évoquées par Gélieu ne les perturbent pas.
Datée de 1900, cette œuvre a donc une double intérêt: premièrement, elle est signée de la main d’un artiste suisse du XXe siècle important et, deuxièmement, elle rappelle des plaisirs enfantins en temps de vendanges qui ont aujourd’hui totalement disparu.
Le Musée espère un jour pouvoir rassembler les autres affiches que Bille a consacrées à la vigne, tant ces œuvres-là ont de l’importance pour l’histoire de la promotion des vins de Neuchâtel. Puisse notre vœu un jour se concrétiser.
Frédéric-William Moritz (1783-1855) – Neuchâtel depuis le Mail
Cette aquarelle présente une idyllique scène de vendanges. Un brandard portant une brande pleine de raisins rouges franchit la porte d’une vigne dans laquelle s’activent des vendangeuses. De chaque côté de la porte, le sommet mur est hérissé de tessons de bouteilles pour préserver le parchet de visiteurs indésirables. Un vendangeur échange quelques mots avec une femme; une autre foule le raisin dans une gerle avec un pilon Deux hommes chargent un char à brecet en transportant des gerles pleines à l’aide d’un ténéri. Le charretier semble partager une agape impromptue avec deux femmes assises sur l’un des bancs placés au pied des chênes. À côté d’elles, un panier d’osier contient deux bouteilles et une miche de pain.
Le temps est magnifique et tout semble respirer la quiétude.
Aquarelle signée et datée en bas à gauche sur le banc ; 29,5 x 40,1 cm
Une autre de Lory
Une scène de vendanges de Louis-Constant Guillaume (1865-1942)
Les Suiveurs
Louis de Meuron (1868-1949) – Solidarité – fraternité
Les peintures décoratives d’Éric de Coulon et les peintures décoratives de la Cave neuchâteloise du Comptoir suisse de Lausanne
Eric de Coulon est l’un des maîtres de l’affiche suisse du XXe siècle. Parallèlement, à son métier de graphiste, ce beau-fils de Gustave Jeanneret s’est aussi adonné à la peinture, souvent sur commande, comme pour les quatre toiles à caractère viticole qu’il a peintes pour la Compagnie des propriétaires encaveurs et qui ont décoré durant de nombreuses années la Cave neuchâteloise du Comptoir de Lausanne.
Ces quatre scènes figurent des moments précis dans le travail de vigne. Elles ont pour décor divers lieux du canton. Ainsi le brandard a pour arrière-plan le château de Neuchâtel. La scène de labours est située le long de la route des Clos entre Neuchâtel et Auvernier, dont le port et ses cabanes sont nettement reconnaissables; il en va de même pour le Trou de Bourgogne. La mise en place des échalas et l’apparition des premières feuilles ont pour cadre le vignoble d’Hauterive avec en arrière-plan Saint-Blaise dont le clocher de l’église est bien présent. Quant aux vendanges, elles se déroulent à La Béroche et elles permettent de saisir la vue que l’on y a en direction de l’est, mettant en évidence les rives du lac.
Ces peintures typique des années trente, voire début quarante, sont représentatives du style de celui qui s’est surtout fait un nom comme affichiste ; elles sont peintes avec hardiesse et spontanéité.
Quelques œuvres éparses
Quelques photographies aériennes des années 1920 montrant le vignoble neuchâtelois
Les collections du Musée renferment toute une série de photographies aériennes qui présentent les vignobles suisses dans les années 1920. Pour information, nous donnons ici à titre d’exemple six images représentant le vignoble des environs de la Coudre, Hauterive et ses environs, le village de Saint-Blaise vu depuis une hauteur de 80 mètres , la région de Cornaux et celui de Cormondrèche.
Nous adjoignons une vue étonnante de Saint-Saphorin !
Ces photographies permettent de se rendre compte de l’emprise du vignoble existant à cette époque et du peu de constructions hors des anciennes agglomérations.
Différents outils de tonneliers
Une typique Channe Neuchâteloise de Charles Thonnet
Channe neuchâteloise en étain à panse en cône tronqué prolongé d’un col resserré s’évasant en gobelet cylindrique, à couvercle en forme de coeur plat d’une capacité un pot (1,92 litre) ; vers 1760 ; porte sur le couvercle le poinçon : C. Thonnet Neuchâtel avec l’aigle de la ville et les initiales A.L.G., sans doute celles du premier propriétaire.
Les channes neuchâteloises conservées de ce type sont rares ; il en existe sous forme de mesures (quart, tiers, demi et pot de Neuchâtel), c’est-à-dire des étains sans couvercle en revanche étalonnés et marqués des chevrons des comtes de Neuchâtel par le mesureur-juré.
Aquarelle de Jean-Henri Baumann
Prise depuis le haut des Chavannes à Cortaillod, cette aquarelle montre au premier plan une scène de vendanges. Quelques gerles se trouvent sur le bord du parchet. Une femme foule le raisin dans l’une d’entre elles avec un pilon. Vendangeuses et vendangeurs s’activent au milieu des ceps qui sont plantés de manière fort serrée, en foule. À l’arrière, assise sur un banc à l’ombre d’un arbre, une femme a un enfant sur les genoux. Elle tient à ses côtés un panier, sans doute rempli de victuailles pour permettre aux travailleurs de se sustenter. Une jeune enfant, sans doute sa fille, la regarde calmement.
La vue s’ouvre ensuite sur le complexe de la Fabrique neuve, à savoir l’actuel complexe des usines Nexans. La Fabrique-Neuve de Cortaillod a été fondée en 1752 près de l’embouchure de l’Areuse, par Jean-Jacques Bovet (1728-1793) et Claude-Abram DuPasquier (1717-1783). Elle fut emblématique de l’essor en Suisse de l’industrie des indiennes lors de la première révolution industrielle.
La Fabrique a connu une prospérité remarquable jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, travaillant à façon pour de grandes sociétés de commerce, au premier rang desquelles la Société de Jacques-Louis de Pourtalès.
À la fin du XVIIIe siècle, la production atteint 45 000 pièces et la fabrique emploie plus de 700 ouvriers. Elle est alors l’une des plus importantes manufactures d’Europe.
Le blocus continental instauré par Napoléon 1er et la loi qui prohibait l’entrée des toiles imprimées dans l’Empire français accélèrent la période de décadence de la fabrique. En 1854, Henry Du Pasquier, l’arrière-petit-fils du fondateur, décide d’arrêter l’impression des indiennes et de transformer l’entreprise en fabrique d’ébauches de montres, sous la raison sociale « Vaucher DuPasquier ». Cette dernière disparut à son tour en 1885.
Dès 1879, une partie des bâtiments de la Fabrique-Neuve est occupée par une fabrique de câbles électriques (Société d’exploitation des câbles électriques, système Berthoud-Borel), qui devint rapidement la principale industrie de la commune de Cortaillod.
Baumann donne l’état des lieux aux environs de 1830. Il détaille avec finesse l’ensemble des bâtiments avec les hauts séchoirs qui dominent le site. Tous les bâtiments du complexe sont représentés comme les toiles en phase de rouissage posées à même le sol.
Derrière la manufacture s’élève la maison de la Poissine, puis le cours de l’Areuse partiellement bordée d’arbres. Le rivage de l’époque entre l’embouchure et le Petit Cortaillod n’est pas arborisé et est sinueux. Tout changera après la première correction des eaux du Jura qui eut pour conséquence d’abaisser le niveau du lac de presque trois mètres.
Depuis l’embouchure de l’Areuse, en regardant sur la gauche, on repère les constructions des Prés-d’Areuse, du Bied et de Grandchamp. Puis, sur la rive nord, entourées de vignobles, l’artiste a finement marqué Serrières, Neuchâtel, Saint-Blaise et Marin.
Baumann a ensuite dessiné la chaîne du Jura, Jolimont, le Vully, puis étincelantes, les Alpes avec en majesté les trois Bernoises. Quant à la rive sud du lac, elle montre à l’envi les importantes falaises qui tombaient à pic dans les eaux entre Cudrefin et Portalban. Au cœur du lac, il a encore placé le vapeur L’Industriel de Philippe Suchard et une grande barque à voile carrée typique des eaux neuchâteloises.
Voir : CASPARD (Pierre) La fabrique-neuve de Cortaillod (1752-1854). Entreprise et profit pendant la révolution industrielle. Paris, Publication de la Sorbonne, 1979.
Scène de vendanges à Cortaillod et la Fabrique neuve, vers 1830
Aquarelle non signée ; 23,4 x 33,5 cm. MV 2024-0520
Don.