Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

L’origine du musée

Les Vignolants et le Musée de la Vigne et du Vin

Si le Château a été sauvé et si le musée existe et est à Boudry, le mérite en revient indéniablement à la Compagnie des Vignolants du Vignoble Neuchâtelois. Cette confrérie, dont l’acte de fondation fut signé à l’Hôtel de Ville de Boudry, vit le jour le 6 octobre 1951. Elle proposa immédiatement de créer un Musée de la Vigne et du Vin dans le cadre du Château de Boudry, vu la situation centrale de cette bourgade au coeur du vignoble et la chance, disaient les initiateurs des Vignolants, de posséder un site très agréable, une colline, un château, malheureusement sans âme, vide, ridé, flétri par les ans. Fallait-il le laisser s’écrouler ou tenter d’en faire le symbole vivant de toute la région et le lieu de rencontre des amoureux de la vigne ?

Grâce à l’ardeur de Jean-Pierre Baillod, chancelier de la Ville de Neuchâtel et grand chancelier de la Compagnie, des démarches furent entreprises auprès de l’État de Neuchâtel, propriétaire des lieux. Celui-ci entra en pourparlers et sans en référer au Grand Conseil comme cela aurait dû être fait, grâce à la forte personnalité du conseiller d’État Pierre-Auguste Leuba, il mandata Edmond Calame, architecte, qui, pendant trois ans, dirigea la restauration de la vénérable bâtisse.

La restauration de 1955 à 1958

Par rapport à l’éthique actuelle de la restauration, il faudrait davantage parler, à propos des travaux entrepris alors à Boudry, de sauvetage et de transformation que de réhabilitation. Et pourtant, avant que les travaux à propre­ment parler ne commencent, l’architecte voulut comprendre archéologiquement l’évolution du bâtiment. A cet égard, il fit effectuer de nombreux sondages et fouilles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ces travaux révélèrent l’existence de nombreux murs prouvant l’étendue bâtie considérable du site. Si nous conservons toutes les photographies prises alors, nous n’avons pas pu mettre la main sur les rapports de fouilles et les tentatives d’explications données.

En analysant ces prises de vue, secteur par secteur, nous ne pouvons que constater l’enchevêtrement des murs et les superpositions des maçonneries, montrant à l’envi les multiples transformations et réparations que le Château a connues. Les vues extérieures, prises d’avion, permettent de visualiser l’étendue du bâtiment, qui englobait tout le couronnement de la colline à l’instar de nombreux châteaux forts. Des murs d’enceinte reliaient la Tour Marfaux au complexe du Château. Une tour romane se dressait à la base des actuels escaliers d’accès à la cour. Des lices et courtines descendaient en direction de l’Areuse, rejoignant au bas de la colline un mur parallèle au cours d’eau.

Dans la cour, les fouilles mirent au jour une citerne qui était englobée à l’origine au coeur d’un bâtiment, d’après les tracés de murs importants qui l’entourent.

Il semble aussi que l’actuel caveau de dégustation de l’Office des vins de Neuchâtel, avant d’être couvert et d’abriter à l’étage les appartements des châtelains, soit resté longtemps à ciel ouvert, formant cour.

Edmond Calame fit construire plusieurs maquettes qui tentent la reconstitution des différents états du Château, qu’il définit comme roman, gothique et actuel. En jetant un simple coup d’œil sur ces hypothèses de travail, on est frappé par les nombreux donjons et tours qui composaient l’édifice, lui donnant au Moyen Age une allure importante, digne de son rôle de château-frontière, puisqu’il gardait l’entrée ouest du Comté de Neuchâtel, avant que les terres de l’Abbaye de Bevaix puis celles de la Béroche ne rejoignent le domaine seigneurial.

Si toutes ces études archéologiques sont dignes d’intérêt et méritaient d’être conduites, nous ne pouvons pourtant qu’être surpris du résultat final des travaux. En effet, on introduisit des matériaux qui n’ont aucun sens dans des édifices historiques du pays. Il est par exemple aberrant de trouver dans le hall créé un sol en granite alpestre plutôt qu’en roc du Jura. De plus, au lieu de recrépir et retisser les murs intérieurs, on se donna la peine de bien faire ressortir les pierres dans leur nudité et de les jointoyer avec du ciment. Quant aux façades, elles auraient aussi dû recevoir un recrépissage comme en 1755!

Bref, la réalisation est conforme au goût des années cinquante, où l’historicisme l’emportait sur l’historique, à tel point qu’il fut difficile à l’époque déjà de justifier les partis pris de la restauration. Mais foin de querelles d’experts! Le résultat était là. Le Château était à nouveau utilisable.

Le Château depuis 1957

C’est en grande pompe que le 1er octobre 1957, la Compagnie des Vignolants du Vignoble Neuchâtelois prit solennellement possession des lieux. Un cortège aux flambeaux conduisit les Vignolants, porteurs des drapeaux des dix-neuf communes viticoles, du coeur de la ville en leur nouveau chef d’ordre. Jean-Pierre Baillod rappelle que dans la cour d’honneur, à l’appel, les représentants des communes déposèrent au sein du puits reconstitué à la place de la citerne, un peu de terre à vigne de leur territoire. Ce geste symbolique sacrait le Château: Maison du Vignoble,donnant officiellement naissance au Musée de l  Vigne et du Vin, le premier du genre en Suisse.

1957 – 1981

La Compagnie des Vignolants fut durant cette période responsable du musée et de son organisation. Elle fit installer, dans ce qu’il était autrefois convenu d’appeler l’anticave, un extraordinaire pressoir à vis centrale en bois du XVIIIe siècle qui provenait de la Maison du Tilleul à Saint-Blaise. Avec l’aide de l’État, elle fit entrer au Château le plus moderne des trois triptyques que Gustave Jeanneret avait consacrés au vignoble (actuellement, ces trois oeuvres sont exposées au Musée) et surtout put acheter une des grandes tapisseries que Lurçat réalisa sur le thème de la vigne, du même format que celle du Musée du vin de Beaune.

Dans le hall du Château, quelques vitrines présentaient la Compagnie des Vignolants ainsi que divers documents, dont quelques lithographies de Hans Erni tirées de ses livres bachiques. Dans la salle dite des Confréries, étaient exposés les nombreux diplômes et médailles reçus par la Compagnie au cours de ses pérégrinations à travers toute l’Europe. D’autres objets complétaient la présentation.

A l’étage, dans trois petites pièces,étaient présentés une ampélographie,quelques modèles décrivant la vigne en fleurs et ses principales maladies, une série de carafes et verres anciens, et la reconstitution d’une vigne.

Bref si l’intérêt pour le musée était réel, sa mise en valeur fut peu à peu négligée, à tel point qu’il s’empoussiéra et disparut des habitudes de visite des touristes.

Cette situation inquiéta quelques députés qui, en 1978, interpellèrent le Conseil d’État afin qu’il mette sur pied une commission chargée d’étudier un concept général de poli­tique touristique pour le Canton. Parmi les idées émises, l’une proposait de réactiver le Musée de la Vigne et du Vin. Elle fit son chemin, puisqu’elle aboutit en 1981 à la constitution de la Société du musée de la vigne et du vin,qui préside depuis à la destinée du musée.

1981-1989

Sous la présidence d’Alex Billeter, la société se mit au travail, proposant d’entrée un projet ambitieux, qui consistait à étendre le musée dans l’ensemble des combles du Château, laissés inoccupés. L’architecte Jean-Louis Béguin dressa des plans. De nombreuses manifestations furent mises sur pied afin de faire connaître au public ce musée, mais surtout la richesse de l’histoire viti-vinicole du Pays de Neuchâtel. Des expositions eurent lieu extra-muros puisque l’état du Château ne permettait pas qu’elles soient présentées en ses murs.

Mais entre les intentions, toutes louables qu’elles soient, et leur réalisation, il faut que l’argent, nerf de toute entre­prise, soit disponible. Nous avons suffisamment montré au cours de ces quelques pages que ce fut son absence perpétuelle qui fit que le Château tomba peu à peu en ruine. A nouveau, le développement muséal du Château se heurtait à une situation économique jugée peu favorable. Remarquons que jamais au cours de l’histoire le moment ne fut propice, si l’on se réfère aux textes et aux arguments de ceux qui détenaient les cordons de la bourse. Il en est toujours de même dès qu’un but culturel est sous les feux de la rampe: l’histoire se répète sans qu’on en tire de leçons. Bref, jamais il ne fut opportun de sou­mettre au législatif cantonal une demande de crédit pour Boudry.

Mais l’idée suivait son cours, prenait de la consistance, trouvait des adeptes et non des moindres, puisque le conseiller d’État André Brandt admit que le projet était digne d’intérêt. Cet accord permit de réaliser l’aménagement des pièces du premier étage, qui furent inaugurées le 24 juin 1986. Leur muséographie préfigurait la suite. Grâce à l’emploi de matériaux modernes, contrastant avec les murs vénérables de l’édifice, on put mettre en place un parcours succinct présentant un survol de la bimillénaire viticulture neuchâteloise.

Cette étape était à peine terminée qu’il fallut reprendre l’entretien du Château: il n’y avait plus eu de travaux importants depuis trente ans. Des problèmes surgirent au niveau de la toiture, dont le revêtement laissait passer pluies et neiges. La réfection du toit devenait indispensable.Ces travaux présentaient l’occasion rêvée de mettre en place le musée dans les combles, ce que l’Etat comprit si bien que tout au long de 1988 et une partie de 1989, le Château vit à nouveau défiler les ouvriers : charpentiers, couvreurs, serruriers, maçons, électriciens, peintres, spécialistes de la chaux … Tous œuvraient sous la direction de l’Intendance des bâtiments de l’État, réalisant le concept architectural défini par Jean-Louis Béguin. Suite à une réflexion qui voulait concilier les murs historiques et une muséographie résolument moderne, il fut admis que toute l’intervention contemporaine serait marquée. A force de rechercher un fil rouge cohérent, on décida de peindre tout l’apport en rouge.Escaliers en fer, conduit de cheminée, rail électriques, panneaux explicatifs, tout est rouge. La forme pyramidale des vitrines provient en ligne directe de l’aspect triangulaire de la charpente.

En accord avec le Service des monuments et des sites, le traitement des murs s’est fait à l’ancienne, à la chaux. L’ancrage du mur de refend et une partie du plafond des anciennes cellules ont été conservés. Une porte de prison fut même remise en place.

Quelques investigations archéologiques ont révélé l’existence d’un chemin de ronde sur le mur nord, entre la tour d’angle et les restes de l’ancien donjon gothique.

Bref,ces travaux ont été menés selon les critères contemporains de la conservation, qui tiennent à éviter le faux vieux. Le résultat d’ensemble est sans conteste une réussite architecturale qui justifie la collaboration interdisciplinaire de différents spécialistes tout au long de la restauration. Les travaux achevés,il fallut mettre en place le contenu en accord avec l’architecture. Il fut convenu de détacher l’exposition des murs pour bien marquer le décalage entre l’enveloppe historique et l’apport moderne.

Finalement, le musée fut inauguré le 14 octobre 1989 en présence des autorités de l’État. Le Pays de Neuchâtel pouvait s’enorgueillir de posséder un témoin digne de son passé viticole. Rappelons que la vigne et le vin furent la principale activité économique du pays jusqu’à la fin du XVIIe  siècle et qu’alors, l’État retirait un tiers de ses revenus du commerce des vins ! Et c’est le 3 novembre 2007 qu’il a été à nouveau entièrement réaménagé.