Le château

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

La petite histoire de la vigne

Les origines

Même si de nombreux parchets ont disparu au cours de ces cent dernières années, la vigne reste familière dans le paysage neuchâtelois, de Vaumarcus au Landeron. Cette presque monoculture du Littoral marque une emprise séculaire du sol qui remonte vraisemblablement à l’époque gallo-romaine.

Comme Roger Dion (Roger DION, Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXe siècle, Flammarion 1977) I’a fort bien démontré, l’histoire de la vigne et du vin en France remonte aux goûts immodérés des Gaulois pour les vins. Ceux-ci, après avoir fait venir des célèbres vignobles de l’Antiquité les crus les plus fameux, ont acclimaté des ceps et en ont entrepris la culture. L’axe de diffusion de la vigne suit alors le cours du Rhône et de ses affluents, favorisant ainsi la création des grands vignobles qui font encore la renommée de la France.

Comme le Rhône ne connaissait pas encore de frontières politiques et que les échanges étaient coutumiés, en toute logique, les vignobles de l’actuelle Suisse romande ont été créés en continuité avec les fameux domaines allobrogiques de la Côte-Rôtie et de L’Hermitage. Sans aucun doute, la domination romaine et la Pax romana qui en résulta favorisèrent la première phase d’extension et d’épanouissement viticole des Gaules.

Rappelons que les fouilles archéologiques menées à La Tène révélèrent la présence de pépins de raisin. S’agit-il de vitis-vinifera dont la présence indigène est attestée au Valais ou de raisins importés ? La question n’est pas encore réglée. Cependant, la présence à Colombier d’une villa galloromaine aussi importante que celle qui sert de fondations au château fait pressentir que ses occupants devaient vraisemblablement s’occuper de vignoble même si aucune preuve formelle n’a été découverte jusqu’à ce jour malgré les tessons d’amphores qui y ont été récoltés.

L’occupation romaine du pays, les traces entre Yverdon et Neuchâtel de mottes féodales, la présence actuelle de nombreux châteaux témoignent d’une occupation somme toute assez serrée du sol. Ces vestiges laissent présumer que les habitants du lieu durent trouver là de quoi se nourrir. Comme le sol et plus particulièrement le sous-sol se prêtent admirablement à la culture de la vigne sur les coteaux du Littoral, nous pouvons admettre que des vignes y ont toujours été cultivées.

Tradition bi-millénaire, la présence de la vigne est attestée historiquement  en 943 à Colombier (Morerod, J.-D., 2011), puis en 998 dans un acte de donation en faveur de l’abbaye clunisienne de Bevaix. Ce don d’un parchet confirme bien que la culture viticole faisait déjà partie des traditions locales. Admettons cependant que les vignes ne présentaient point un ensemble ininterrompu du château de Vaumarcus au bourg de Nugerol.

Intercalées entre des champs et des chenevrières, les vignes prirent progressivement une importance croissante, eu égard au rôle économique primordial du commerce des vins.

Les quelques actes du XIe siècle, que nous conservons, prouvent sa présence tant au Landeron qu’à Corcelles ce qui laisse supposer que sa culture allait en augmentant. C’est en recourant à la toponymie que, dans une certaine mesure, il est possible de suivre l’extension du vignoble au détriment des autres cultures. Les premières extentes conservées, établies au XIVe siècle, montrent encore l’alternance des champs et des vignes dans des lieux-dits aujourd’hui entièrement couverts de ceps.

Ainsi, si les monastères ont contribué à l’extension des terres viticoles, il faut cesser de penser que l’on doit l’introduction de la culture de la vigne aux moines, défricheurs ou non.

La Charte de 1214 et le vin

Lorsqu’en 1214, Ulrich et Berthold, co-seigneurs de Neuchâtel, octroient une charte de franchise aux habitants de la ville de Neuchâtel, ils définissent leurs droits par rapport aux vignes et au commerce des vins. L’article 8 précise que les taverniers paient des taxes sur le vin vendu. L’article 9 fixe le banvin des comtes. L’article 12 définit la perception des dîmes en vin qui leur reviennent. C’est dans ce même article qu’il faut rechercher l’origine du ban des vendanges. Pour se préserver des maraudeurs et surtout des vendanges clandestines, les comtes ont établi un ban de vendanges afin que la récolte se fasse selon un ordre bien défini, quartiers par quartiers, et que les dîmeurs puissent immédiatement prélever leur dû.

Le fait que les bourgeois soient directement associés aux négociations relatives à l’ouverture des vendanges témoigne à quel point la vigne était déjà importante pour l’économie locale.Les comptes seigneuriaux montrent que plus du tiers des revenus du comté proviennent jusqu’au début du XVIe siècle de la vigne et du commerce des vins.

La charte indique encore à l’article 21 que les vignes laissées à l’abandon pendant trois ans reviennent à la Directe. Une vigne non cultivée est un manque à gagner pour les comtes.

Au cours des siècles suivants, jusqu’au XVIIe siècle, les surfaces viticoles s’accroissent pour atteindre leur apogée lors de la guerre de Trente Ans, époque où de nombreux Neuchâtelois ouvrirent des pintes sur les frontières afin d’abreuver les soldats qui guerroyaient en Franche-Comté et en particulier les troupes suédoises.

Toutefois, c’est autour des zones habitées que l’on trouve les plus nombreux parchets. Tous les quartiers environnant la ville de Neuchâtel sont plantés en vigne. Les Bercles rappellent la culture sur treilles ; Gouttes d’Or, une source merveilleuse ; les Valangines, le domaine dépendant des comtes de Valangin. Quant aux Parcs, ils étaient fort réputés pour le vin rouge qu’ils produisaient. Dès qu’on sortait des enceintes, après quelques curtils clos, les vignes grimpaient à l’assaut des coteaux à tel point qu’on en cultivait à des altitudes si élevées que les rendements et la qualité en devaient être fort médiocres. Ne dit-on pas qu’on en trouvait jusqu’en dessous de Lignières, à une altitude d’environ 900 mètres !

Les grands domaines

Le plus grand propriétaire de vigne fut au long des siècles le comte lui-même. Il fut, dès les origines, un des seuls à avoir des excédents de vin qu’il commercialisa. Le fait qu’il se réserva dans la Charte de 1214 un droit de banvin prouve qu’il tirait de bons revenus de la vente des vins et qu’il tenait à se préserver de la concurrence de ses bourgeois.

Le domaine comtal était avant tout cultivé à la moiteresse, un contrat de métayage prévoyant à l’origine que, contre la remise du sol à un tenancier chargé de la culture, le comte retirait la moitié de la récolte.

Au gré des siècles, les clauses des baux à moiteresse se précisèrent, s’affinèrent, à tel point que des contrats-types furent rédigés pour servir de modèle. En 1708, dans un mémoire rédigé par Jonas de Chambrier à l’attention de Frédéric Ier, roi de Prusse, I’auteur dénombre environ 1’200 ouvriers de vigne dépendant du domaine de l’État, soit presque 42,25 hectares répartis sur l’ensemble du territoire entre Le Landeron et la châtellenie de Boudry, sans compter le domaine de l’abbaye de Bevaix.

Faute d’archives, il est difficile de connaître la grandeur des domaines privés. L’étude que M. Rémy Scheurer a menée sur Pierre Chambrier (Rémy SCHEURER, « Pierre Chambrier », Cahier de la SHAN, N°9, Neuchâtel 1988) donne quelques éclaircissements sur l’étendue des propriétés viticoles du XVIe siècle. Il estime que Pierre Chambrier, avec environ 120 ouvriers de vignes, soit l’équivalent de 4 hectares, devait être le plus grand propriétaire viticole vers 1530. Au cours de ce même siècle, Jean de Merveilleux, le bâtisseur du château Peseux, développe un domaine encore plus important (plus de dix hectares).

Par comparaison, le Chancelier Georges de Montmollin possédait, selon l’inventaire dressé après son décès en1703, 374 ouvriers, soit 13,18 hectares répartis entre Neuchâtel et Boudry.

Assurément, entre le XVe et le XVIIIe siècle, de grandes propriétés viticoles se sont créées parallèlement au développement et à la généralisation d’un commerce d’exportation des vins vers les Montagnes neuchâteloises et les cantons suisses.

Signalons que les domaines supérieurs à 150 ouvriers restent rares. Ceux qui existent appartiennent tous à des familles patriciennes neuchâteloises ou à des familles soleuroises et bernoises. Citons à titre d’exemple que la famille Barillier exploitait au XVIIe siècle un domaine d’environ 100 ouvriers ; que les Ostervald, au début du XVIIIe siècle, possédaient 120 ouvriers de vigne et que les Estavayer-Mollondin, à la fin du XVIIIe siècle, faisaient cultiver par 6 vignerons un domaine à Cressier de plus de 350 ouvriers !

À cette époque, dans ce village dont le vignoble peut être estimé à environ 2100 ouvriers de vigne et la population à 535 personnes (255 hommes et 280 femmes) en 1791, 173 personnes reconnaissent tenir et cultiver des vignes, soit le tiers de la population globale. Il est clair que parmi ces vignerons, tous ne sont pas les propriétaires des fonds qu’ils travaillent. Ils peuvent cultiver à la moiteresse ou à la tierce les domaines du Prince ou ceux de l’abbaye de Trub, ou simplement être des vignerons gagés par de grandes familles.

Grâce aux livres du receveur de Cressier (Musée de la vigne et du Vin) et par l’étude des carnets établis pour recouvrir les frais occasionnés par l’entrée en fonction des brévards (gardes-vignes) auprès des propriétaires, au prorata du nombre d’ouvriers qu’ils possédaient, il est possible de connaître la répartition de la propriété viticole dans la brévarderie de Neuchâtel à la fin du XVIIIe siècle.

194 personnes se partagent les 5988 ouvriers de la Brévarderie.

Parmi les 6 plus grands, 2 possèdent entre 120 et 130 ouvriers ; 2 entre 150 et 160 ; 1 entre 170 et 180 et le dernier plus de 230 ouvriers.

Il est entendu que de nombreux habitants de la ville possédaient encore des parchets en dehors de la Brévarderie si bien qu’il est certain que beaucoup de propriétés devaient être bien plus importantes que ces tableaux ne le laissent apparaître.

Vers 1800, 4’000 personnes environ habitaient Neuchâtel, soit environ 800 familles. Sur ces 800 chefs de familles, 194 possèdent des vignes. Ceci permet de dire que le quart de la population était alors directement impliqué dans la culture de la vigne. Beaucoup plus sans aucun doute, si on admet que de nombreux vignerons-tâcherons s’occupaient des grands domaines.

Nous pouvons donc affirmer que, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, en ville de Neuchâtel, la vigne jouait encore un rôle économique prépondérant puisque le quart de la population était directement touché. En appliquant ce même raisonnement pour Cressier, il est autorisé d’admettre que, dans ce village en particulier, la population en entier était concernée. Il devait en être de même dans tous les autres villages viticoles du Littoral.

Le vignoble neuchâtelois s’étendait alors sur plus de 1’300 hectares ! Aujourd’hui, il n’en recouvre plus qu’environ 600.

La Compagnie des vignerons

Le fait que tant d’hectares soient couverts de vignes n’impliquait pas que la culture soit optimale. Bien au contraire, nombreuses sont les notations qui dévoilent des parchets laissés à l’abandon, des cultures mal conduites, des vignes presque sans ceps.

De plus, entre les ceps, des arbres croissaient, acceptés ou non par les propriétaires. Noyers, pommiers, poiriers s’intercalaient au milieu des vignes, portant sans aucun doute de l’ombrage au raisin.

Avec les siècles, cette pratique allait être combattue, sans toutefois disparaître complètement. Il suffit d’observer attentivement des estampes du début du XIXe siècle telles les gouaches que Joseph Landers et a commises en 1808 à l’est et à l’ouest de Cressier pour s’en convaincre.

Mais les vignes n’accueillaient pas seulement des arbres fruitiers. Des légumes tels des choux, des raves, des courges y étaient régulièrement semés si bien que défense expresse fut rapidement faite à tous les tenanciers moiteressiers et autres de continuer de telles pratiques sous peine d’être déchus de leurs cultures. Ces interdictions figurent systématiquement dans tous les contrats d’amodiation de vignes dès le XVIe siècle. Ces derniers précisent encore l’interdiction des plantations de chanvre et d’autres fruits.

L’état de lamentation dans lequel se trouvait le vignoble quelques années après la fin de la guerre de Trente Ans fit que les propriétaires voulurent réagir pour que les vignes retrouvent un aspect soigné et surtout pour que les vignerons puissent être guidés et surveillés dans leur travail. Pour atteindre ces objectifs, les Quatre Ministraux de la ville de Neuchâtel demandèrent le pouvoir d’ériger et d’établir une compagnie des vignerons, ce qui leur fut accordé par un acte donné à Versailles le 7 juillet 1687 par Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé. Suite à cette concession, la Compagnie prit corps. On élut un avoyer et on invita les bourgeois qui avaient des vignes à s’associer et à apporter une légère contribution financière afin de constituer la base d’une fortune, qui s’est accrue par la suite. Grâce aux rentes perçues, la Compagnie put établir des surveillants et des visiteurs qui avaient pour tâche de faire des inspections circonstanciées du vignoble après chaque saison et de rapporter à la Compagnie les défauts et fautes commises par les vignerons. Ceux-ci étaient alors mis à l’amende et contraints de dédommager les propriétaires lésés. Toutefois, la juridiction de cette compagnie ne s’étendait que sur le vignoble appartenant à ses membres. Au cours du XVIIIe siècle, des récompenses furent accordées aux vignerons méritants (pour les encourager). Ainsi, tout au long de l’année vigneronne, des experts-vignerons, mandatés par la Compagnie, surveillaient les travaux. Leurs rapports, conservés dans les archives de la Compagnie, permettent de suivre les points de culture auxquels ils attachaient une très grande importance.

Avec le temps, la Compagnie prit une telle importance que tous les vignerons se devaient de suivre ses prescriptions. Ils ne pouvaient entreprendre tel ou tel travail sans son accord. L’annonce qui autorisait le début d’une saison se faisait officiellement le dimanche à la fin du culte. Les réfractaire pouvaient être mis à l’amende ; en cas de récidive, ils encouratent des peines de prisons (trois jours et trois nuits) et dans les circonstances les plus graves, pour ceux qui n’étaient point bourgeois, le bannissement pur et simple de la ville était prévu !

Jusqu’au XIXe siècle, la Compagnie des vignerons de Neuchâtel fut la seule association corporative du genre. Puis dans les années 1830 virent conjointement le jour tant l’Association des viticulteurs de la Côte que la Compagnie des vignerons de Saint-Blaise.

Actuellement, la noble Compagnie des vignerons existe toujours et tient chaque année ses bordes.

La culture de la vigne traditionnelle

Depuis la plus haute antiquité jusque dans la deuxième moitié du XlXe siècle, la culture de la vigne n’a subi que fort peu de modifications. Le travail du vigneron est resté immuable. Dès les premiers actes où il nous est décrit, jusqu’aux contrats les plus précis des XVIIIe et XIXe siècles, les travaux à accomplir demeurèrent identiques. Les gestes se transmettaient de père en fils selon un empirisme de plus ou moins bon aloi. Comme la population en entier était concernée par la vigne, chacun avait sa conception du travail tout en étant inégalement capable. Ces disparités toutes naturelles firent que l’état des vignes allait de l’abandon pur et simple aux parchets les mieux soignés. Qui étaient donc les « bons vignolants » auxquels on se référait dans les contrats ? Quelles étaient leurs techniques et leur savoir-faire ? Nous ne le saurons jamais faute de textes.

Les archives de la Compagnie des vignerons ne recèlent aucune pièce sur la manière d’accomplir ces travaux. Le premier texte connu qui aborde ce sujet date des environs de 1778 ; il s’agit du « Traité sur la vigne » dont on possède deux manuscrits. La démarche de l’auteur, un habitant anonyme d’Auvernier, entre dans la ligne des physiocrates du XVIIIe siècle. Il fait part au gré des chapitres de ses observations, de ses expériences et de celles de ses voisins. Il parle successivement des plants, de la taille, de la distance des ceps ; il émet quelques remarques au sujet des échalas ; il aborde le problème « des provins appelés par les vignerons fosses », des labours, du relevage, des causes et des effets de la brûlure, des entes ou greffage, des urbecs et des vers, du portage des terres, des engrais, de l’usage des graviers. Un chapitre entier est consacré aux plants de rouge. Ainsi, sur plus de 128 pages, on découvre l’art de la culture neuchâteloise de la vigne.

Ce traité, qui est resté inédit, fut suivi d’autres ouvrages dus souvent à l’initiative de la Société d’émulation patriotique, créée en 1791. Aux questions de concours qu’elle proposa, elle reçut différents mémoires dont elle fit imprimer les meilleurs, tels ceux de Jean-Antoine Roulet (Mémoire sur la culture de la vigne, Neuchâtel 1808) et de Charles Junod (Mémoire sur la meilleure manière de traiter les vins de ce pays, Neuchâtel 1823).

Sur proposition d’autres associations, des exposés furent présentés et publiés, tel celui d’Henri-Alphonse de Sandoz-Rollin eu égard au grappillage, qui fut interdit par un arrêté du Conseil d’Etat du 26 septembre 1811 ; celui de Frédéric-Alexandrede Chambrier (De la culture de la vigne d’après Columelle, Olivier de Serres et les auteurs modernes, Neuchâtel 1844) et sous l’auspice de la Société pour l’amélioration de la culture de la vigne dans la juridiction de la Côte, un Traité sommaire sur la culture de la vigne (Neuchâtel 1847).

Avec la seconde moitié du XIXe siècle, le nombre des ouvrages consacrés aux vins et à la vigne neuchâteloise s’accrut encore. Citons pêle-mêle les ouvrages de Jean-Louis Roulet, Louis-Philippe de Pierre, Charles Kopp, Charles-Alfred Petitpierre-Steiger, Georges de Coulon, Eugène Rousseaux, John Jeanprêtre et Henri Lozeron.

Finalement, pour faire face aux bouleversements subis par les fléaux du XIXe siècle, l’État lui-même prit en charge l’impression en 1907 d’un manuel du viticulteur qui permet de mesurer l’écart qu’il y a entre les techniques ancestrales et celles du début du XXe siècle.

Jusqu’à l’apparition des fléaux du XIXe siècle, soit le mildiou, l’oïdium et le phylloxéra dont nous parlerons plus loin, la culture traditionnelle comportait les obligations « de pouer, fossurer une fois du croq et deux fois du fossieux et provigner et fumer les fosses à raison d’un demi char par homes, d’ébourgeonner, relever, passeler chaque année les dites vignes en y mettant 50 échalas par homes et d’y porter les séseaux, faire creux pour y cacher les pierres, mettre terre nouvelle lorsqu’il y sera nécessaire ». Tel était le travail du vigneron-moiteressier, défini dans un bail à moiteresse passé le 20 novembre 1662.

1.

Tailler ou « puer » » la vigne

« Tailler la vigne, c’est retrancher en entier tous les sarments superflus et raccourcir les autres ». De la taille va dépendre la récolte de l’année et tout l’art du vigneron consiste à bien tailler les ceps afin qu’ils ne produisent ni trop, ni trop peu. Ce travail doit se faire par un temps sec. « Il ne faut pas tailler la vigne trop tard, il faut le faire avant que la sève monte. »

Il semble que le temps choisi pour tailler les vignes était principalement le mois de février. Le journal d’Abram Chaillet mentionne à de nombreuses reprises qu’au cours de ce mois, « des hommes puaient la vigne sans pourpoint ».

 

2.

Le premier labour

Fossurer du croc ou fossurer de la première sont les termes principalement utilisés pour définir ce travail au que les vignerons d’autrefois attachaient la plus grande importance. Roulet précise qu’il faut commencer ce travail lorsque s’annonce le retour du printemps et que la terre est maniable, soit vers fin mars ou au commencement d’avril.

Toutefois un labour hâtif est toujours profitable afin d’éviter de vendanger avec le croc comme dit le peuple. Différents règlements précisaient encore la longueur des pointes que les fossoirs devaient avoir.

Une vigne bien labourée se reconnaissait par l’absence des marques de pieds que pouvait laisser le vigneron. L’habitude voulait qu’après chaque coup de fossoir, d’un coup de talon, le vigneron efface la trace de ses pas.

 

3.

Le provignage

Jusqu’à l’apparition du phylloxéra, les vignes étaient principalement renouvelées par le provignage. Rares étaient les défonçages complets et les plantations nouvelles.

Le provignage ou marcottage consiste simplement à coucher en terre un cep vigoureux ayant deux ou trois sarments dans un creux ou fosse, de disposer au fond du creux un peu de fumier avant de le reboucher en prenant soin de laisser sortir de terre les extrémités des sarments conservés. Ces derniers développent des racines qui favorisent la croissance d’un nouveau cep. Lorsque le provin a pris de la vigueur, le vigneron pouvait le transplanter pour boucher les trous laissés vacants par des ceps trop vieux.

L’art du vigneron à réussir ses provins dépendait beaucoup de la connaissance que celui-ci avait des sols. En effet, selon les qualités des terres, des subtilités techniques devaient être prises en compte. L’auteur anonyme d’Auvernier les précise avec détails.

Généralement les provignages étaient un travail du printemps. Dans certains cas pourtant, des vignerons provignaient en automne pour éviter entre autre, disaient-ils, que des ceps ne périssent par des gelées. Les auteurs de traités attachent beaucoup d’importance au provignage car ils considèrent que ce travail était primordial pour que les vignes soient toujours bien garnies en ceps.

Dans quelques rares circonstances, les vignerons recouraient à l’utilisation d’entes soit de plants greffés pour renouveler les parchets.

4.

L’échalassement

Il fallait effectuer ce travail, nécessaire au développement des jeunes ceps, presque simultanément au premier labour. Dans nos régions, vu l’irrégularité des vignobles, le vigneron échalassait plutôt juste après les provignages.

À l’inverse du Pays de Vaud où on laissait en terre toute l’année les échalas, on les retirait dans notre pays peu après les vendanges en prenant soin de bien boucher les trous pour éviter que de l’eau ne s’y infiltre et qu’au cœur de l’hiver, elle n’y gèle. Seuls les ceps trop faibles conservaient leur tuteur. Les échalas retirés étaient laissés à la vigne, rangés en chevalées.

5.

Le second labour ou binage

Roulet nous dit : « Quand le hêtre verdit jusqu’au haut de nos montagnes, époque où les nouvelles pousses ont cinq ou six pouces de longueur, c’est une indication que l’on doit commencer le binage. »

Roulet poursuit en disant qu’un binage hâtif était souvent salutaire. L’outil employé était le bident plutôt que le fossoir plat, soit une sorte de bêche dont le fer est plat, à peu près carré, un tant soit peu recourbé et très peu épais. À Neuchâtel, on parle de « rablet ».

Comme pour le premier labour, il était préférable de biner une terre sèche. Par ce travail, le vigneron ameublit la terre et détruit à nouveau les herbes qui y ont poussé. Il supprime ainsi tous les jets superflus.

6.

L’ébourgeonnement

Entre toutes les plantes, la vigne est celle qui a peut-être le plus de sève. Cette montée abondante de sucs tend à faire proliférer une foule de jets inutiles et plus ou moins nombreux selon les tailles appliquées. « Ce sont des jets qui n’ont pas poussé aux sarments que l’on a taillés et qui sont superflus, qu’on retranche en ébourgeonnant », dit Roulet. En supprimant des pousses sans apparence de fruit, on permet à la sève de se rapporter aux branches qui en supportent. La maturité et la prospérité des fruits dépendent de l’efficacité de ces effeuilles.

Roulet ajoute : « Si en rompant un de ses jets, il ne fait aucun bruit, le moment d’ébourgeonner la vigne n’est pas encore venu : son bois est trop délicat encore, et trop peu avancé. On risquerait en ébourgeonnant de faire tomber des jets utiles, d’enlever même des raisins de la seconde pousse. Si en échange le jet crie en se rompant, il faut ébourgeonner sans interruption, dans tous les moments où la feuille de la vigne est sèche. »

7.

Le relevage ou attache

Ce travail consiste à assujettir le cep à l’échalas avec des liens faits avec de la paille de seigle. Il faut relever lorsque la floraison se manifeste et n’utiliser qu’une paille assez souple afin d’éviter de blesser les sarments trop tendres. En relevant par la pluie, les risques de coulure ou brûlure sont augmentés.

8.

Le rebinage ou le troisième labour

C’était un léger labour qui permettait d’extirper les herbes qui s’étaient développées dans les vignes depuis la période du relevage. Comme pour tous les autres travaux, les auteurs recommandent d’exécuter ce travail par temps sec. Et comme dit le manuscrit d’Auvernier : « C’est le dernier ouvrage principal des vignes ; il doit être fini avant le mois d’août, il ne faut rien faire aux vignes dans ce mois et comme l’on dit les laisser en repos. » Cet auteur ajoute que ce labour laisse mieux pénétrer en terre les pluies de l’été. Il précise que certaines années, il convenait de requarter soit de faire un quatrième labour, qui avait pour objet la destruction des herbes. Ces labours se faisaient avec des rablets.

Toutefois les avis divergeaient et les polémiques battaient leur train.

Avec ce dernier travail, le vigneron pouvait remettre les clés des vignes au propriétaire. Mais les physiocrates du Pays pensaient qu’à l’inverse du proverbe local qui disait : « au mois d’août, laisse la vigne en repos », il fallait, lorsque l’année était humide et peu chaude, décharger en effeuillant presque toutes les vignes pour favoriser les branches porteuses de fruits. En revanche, lors d’années sèches et chaudes, il ne fallait rien faire.

De tout temps, des propriétaires ont engagé des vignerons pour cultiver leurs parchets. Le premier qui a recouru à une telle pratique fut évidemment le comte qui était, rappelons-le, le plus grand propriétaire de vignes du pays.

Le bail à moiteresse

Le type de contrat le plus fréquemment utilisé alors était le bail à moiteresse. À l’origine, le principe était très simple : contre la culture, le vigneron recevait la moitié de la rosée, soit la moitié des fruits crus sur le parchet. Avec le temps, les contrats précisèrent les droits et les devoirs de chacun. Nous prendrons à titre d’exemple un de ces innombrables contrats, celui passé en 1662 entre Jacques d’Estavayer, gouverneur du Pays au nom d’Henri II de Longueville, prince de Neuchâtel et Abram Gosset de Bevaix, portant sur la culture de deux parchets dépendant du domaine de l’abbaye de Bevaix.

Les mises à moiteresse de la Seigneurie étaient à l’origine des accords d’homme à homme. Par la suite, elles furent étendues au preneur et à ses héritiers. En l’occurrence, ledit Gosset et ses hoirs s’engageaient tout d’abord à cultiver de toutes les saisons les parchets décrits ; à ne point y planter autre chose que de la vigne ; à clore les parchets et à ne point y entrer entre la remise des clés en août et les vendanges – soit de respecter le ban des vendanges ; à vendanger que lorsque le receveur leur en intimait l’ordre ; à fouler les raisins et à conduire la part du Prince aux pressoirs de l’abbaye. Le texte dit encore : « Il ne pourra amoindrir, diminuer et diviser lesdites vignes, les charger, les hypothéquer, aliéner et mettre hors de ses mains soit par mariage, partage, échange, vendition, engagère, cession, donation, testament n’y par quelqu’autre façon et manière que ce soit sans le consentement de sa dite Altesse. » Le preneur devait encore payer les censes foncières des parchets.

Pour son salaire, après le prélèvement de la dîme, « il titrera et percevra la juste moitié du reste de ladite vendange par partage qui se fera entre ledit receveur ou autres qui en auront droit et action de son Altesse par ferme monte (enchères) ou autrement en rendant à la cave comme de pratique la moitié et part qui sera advenue à son Altesse ».

Le prince se réservait le droit de retirer la culture au tenancier si celui-ci ne respectait pas les conditions de la mise.

Si jusqu’au XVIIe siècle, il fut facile à la Seigneurie de trouver des tenanciers pour la culture de son domaine, avec le XVIIIe siècle, des premières difficultés de recrutements apparaissent. Les Manuels du Conseil d’Etat témoignent de cet état de fait. Les vignerons n’acceptent plus d’assumer tous les frais de culture contre uniquement la moitié de la vendange. Ils demandent une participation aux frais ou des exonérations de certaines charges. Souvent même, ils cherchent à modifier leurs baux à moiteresse en contrats à la tierce, pour retirer à leur profit les deux tiers de la récolte.

Avec le XlXe siècle, les difficultés pour recruter des vignerons vont encore en s’accroissant à tel point que l’État se résout à mettre en vente, aux alentours de 1845, presque la totalité de ses vignes moiteresses ou tierces.

État de ce qu’ont produit pendant 25 ans
les vignes moitresses de la Seigneurie (1682–1702)

Neuchâtel La Côte £ 3415.9.4
Auvernier £ 32975.5.4
Colombier £ 21425.11.4
Boudry £ 2344.17.4
Valangin £ 9445.2
Total £ 69606.5.8
Total divisé par 25 ans : soit environ 6000 livres faibles.  

 

Si les grands propriétaires remettaient aussi jusqu’au XVIe siècle leurs vignes à la moiteresse, avec l’importance croissante du commerce des vins et des grands encavages, ils préférèrent les contrats où le vigneron devenait un véritable salarié ou ceux ou le vigneron était intéressé à une partie de la récolte, qui lui était payée au prix de la Vente de la Seigneurie, selon un pourcentage défini.

Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, le chancelier Georges de Montmollin employait des vignerons qui se chargeaient de cultiver chacun entre dix et une trentaine d’ouvriers. Tous habitaient le vignoble et étaient originaires du pays. En analysant les rapports que le Chancelier entretenait avec eux, on remarque qu’il pratiquait avant tout une économie d’échange et de troc. Par exemple, lorsque Etienne Botteron s’engage à « dequipiller », soit à nettoyer le haut d’une vigne à la Rochette et y construire un mur en pierre sèche pour un salaire de dix écus, il est payé « parle moyen de huit escus que mon grand-père luy rabatra sur le louage de la maisonet deux escus que ie luy ay déllivré ce iour d’huy » (20 novembre 1656). Quant aux vignerons, ils recevaient souvent en acompte tantôt des émines de froment, d’orgeat, de seigle, tantôt des fromages voire même des outils. Ils pouvaient aussi obtenir le droit de prendre le foin d’un champ tel Jonas Fornachon de Peseux en 1661. Ces multiples échanges avaient pour conséquence que le Chancelier ne déboursait finalement que peu d’espèces sonnantes et trébuchantes.

Les contrats qu’il commettait étaient généralement de ce type :

« Le 3 janvier 1666, j’ay mis à labourer aud Jonas Fornachon, moitié en argent, moitié à moiteresse les vignes suivantes : 9 hommes aux Draizes ; 7 hommes à Boubin ; 3 hommes aux Chansons, soit vingt hommes de vigne à raison de 6 £ 1/2 par homme et un creutzer par fosse dont je payerai la moitié. Je fournierai 2 ouvrières pour les vendanges, mais je ne fournierai rien pour la paille et les aisements. Il fourniera 14 chars de fumier et moi autant qui est en tout 28 chars qu’il sera obligé de charrier et porter à ses frais. Nous fournierons chacun un millier de passels (échalas), les séseaux se porteront par moitié, mais toutes les autres tâches extraordinaires, je les payerai. »

Le fait que des Fornachon, Colin ,Froschet, Grillon, Bonhôte, Maridor, Mellier, Desaules, Guyot, Favre, etc., prennent en culture des vignes du Chancelier, montre bien que ces cultures étaient pour eux des appoints. De même, vu qu’ils se faisaient payer en partie en nature, tout laisse supposer que chacun d’entre eux possédait quelques biens qu’ils pouvaient ensemencer grâce aux graines délivrées par Montmollin. Les foins qu’ils engrangeaient leur permettaient de nourrir leur bétail ou celui qu’ils prenaient à chédal.

Les comptes de Georges de Montmollin dévoilent sur un demi-siècle ces pratiques d’échanges où des bourgeois du cru s’adonnent encore pleinement à la viticulture et à l’agriculture, prenant en culture quelques ouvriers de vigne pour augmenter leurs revenus.

Malgré le développement fulgurant de son domaine, le Chancelier n’employa toute sa vie que des vignerons des villages du Littoral ou du Val-de-Ruz où il possédait des terres agricoles.

Avec le XVIIIe siècle, bon nombre de bourgeois vont abandonner la culture de la vigne, la laissant entre les mains de vignerons originaires du canton de Berne ou de la rive sud du lac. Cet état de fait transforme la pratique des contrats. Désormais, le statut de vigneron-tâcheron, complètement salarié, devient de plus en plus fréquent. Par exemple, la Communauté d’Hauterive avait laissé cultiver ses vignes à la moiteresse pendant des siècles. En 1771, elle se résout à engager Pierre Laubscher du bailliage de Nidau, en tant que vigneron pour cultiver les 25 ouvriers de son domaine. La culture proprement dite lui est payée 38 batz par ouvrier ; les fosses, 25 batz le cent ; le portage des terres et les séseaux (fossé creusé au bas des vignes dans lequel la terre des ravines vient s’amasser), 7 batz par ouvrier ; pour la mise en place des échalas, il reçoit 5 batz par millier. Laubscher est encore logé gratuitement et exonéré de la taxe de séjour.

Nous pouvons estimer le salaire annuel de Laubscher à environ 1500 batz, soit l’équivalent de 60 écus, ce qui est relativement peu. Toutefois, le contrat de Laubscher n’était pas exclusif si bien qu’il put prendre à tâche d’autres vignes.

Pour pouvoir relativement bien vivre, les vignerons-tâcherons cultivaient des domaines de 40 à 60 ouvriers, ce qui correspondait à des salaires annuels s’élevant environ à 140 écus, soit des paies tout à fait normales pour l’époque.

Avec le XVIIIe siècle, les contrats se précisèrent encore et les devoirs du vigneron allèrent en augmentant, suivant l’esprit du temps où l’absolutisme se répandait sur toute l’Europe.

Par exemple, les vignerons employés par la famille d’Estavayer-Mollondin servaient de domestiques lorsque les propriétaires séjournaient à Cressier ; d’autres, vignerons de familles patriciennes bernoises, devaient en pleines vendanges faire conduire des corbeilles de raisins à Berne.

Ces obligations ajoutées aux clauses traditionnelles témoignent de la mise en place d’un prolétariat vigneron à partir du milieu du XVIIIe siècle.

L’affinement des contrats montre encore le souci des propriétaires à améliorer la qualité des vignes. En 1782, lorsque Pierre Joseph Michel signe son contrat, il s’engage auprès de Laurent d’Estavayer à extirper dans les trois ans tous les ceps de rouge. Le vin rouge était alors jugé à Cressier comme fort mauvais si bien que de manière générale, tous les grands propriétaires du lieu demandaient à leurs vignerons d’arracher les plants de rouge pour les remplacer par des plants de blanc.

Nous pouvons dire qu’entre 1650 et 1750, ils sont restés relativement stables n’ont augmenté que de 6 batz, passant de 24 à 30 batz par ouvriers. Une période inflationniste se fait ensuite sentir entre 1760 et 1770 puisqu’en l’espace d’une quinzaine d’années, les frais de culture augmentent d’environ 8 batz soit de 25%. Par la suite jusque dans les années 1850, ils s’accroissent encore à nouveau d’environ 20%.

C’est l’apparition des grands fléaux du XlXe siècle qui vont faire augmenter fortement les frais de culture. En l’espace d’une dizaine d’années, ceux-ci vont doubler, conséquence des traitements nécessaires pour lutter contre le mildiou, I’oïdium puis le phylloxéra.

Au frais de la culture proprement dite, il convient d’ajouter toutes les dépenses dues aux travaux annexes et aux fournitures, ce qui fait que le coût réel de la culture d’une vigne s’ascende à environ 15 francs par ouvrier (116 batz) vers 1820. Le sulfatage entraîna à lui seul une augmentation de 3 fr. 50 par ouvrier.

Pour la seconde moitié du XVIIe siècle, le rendement moyen du vignoble neuchâtelois correspond à 2,16 gerles à l’ouvrier (environ de 210 litres de vendange par 352 m2). Si ce chiffre est significatif en tant que moyenne, il est nécessaire de l’encadrer de ses extrêmes afin de montrer que des écarts moyens importants de rendement pouvaient séparer des parchets pourtant proches géographiquement.

Les rendements maximaux pour les meilleures vignes tournent autour des 3,5 gerles à l’ouvrier tandis que les minimaux se situent aux alentours de 0,9 gerle. Ces écarts sont non seulement dus à l’emplacement des parchets envisagés mais surtout au savoir-faire des vignerons qui restait souvent très aléatoire.

C’est aussi durant cette période que le vignoble neuchâtelois a atteint son extension maximale. L’État, à plusieurs reprises, dut promulguer des interdictions de nouvelles plantations et faire procéder à des arrachages de vignes illicites, tels que le montrent des arrêtés du Conseil d’État de 1666, 1667 et 1668 entre autres.

Si les rendements moyens restèrent à peu près stables tout au long du XVIIIe siècle, on assista à une baisse généralisée du rendement au début du XIXe siècle.

Avant d’entrer dans un peu plus de détail pour le XIe siècle, nous pouvons dire que la période allant de 1750à 1804 fut une suite d’années heureuses pour la viticulture à l’exception toutefois de 1769 qui connut une récolte désastreuse due à de fortes grêles. Le début du XIXe siècle connut entre 1813 et 1817 des années où les conditions atmosphériques laissèrent présager le retour à une petite période glaciaire. 1816 en particulier eut un rendement pratiquement nul.

Dès 1884, le rendement du vignoble neuchâtelois peut être suivi dans les rapports annuels de gestion du Département de l’agriculture. Pour les années précédentes, nous pouvons nous référer à la thèse présentée en 1931 par Pierre Parel devant la Faculté de droit et intitulée Contribution à l’étude de la rentabilité du vignoble neuchâtelois. Pierre Parel détermine pour les années 1837 à 1896 un rendement moyen de 2,2 gerles à 1’ouvrier, calculé sur un domaine dont la superficie est supérieure à 100 ouvriers plantés tant en rouge qu’en blanc.

Toutefois, il faut rester très circonspect eu égard au rendement d’autrefois. Les notions de production moyenne n’ont que peu de signification. Les aléas météorologiques étaient si fréquents dans nos régions que les années où les récoltes étaient minimes ne sont pas exceptionnelles. Il convient aussi de souligner que la viticulture d’hier poussait souvent à la productivité au détriment de la qualité. Les principes fondamentaux de la vinification restaient empiriques et n’étaient pas compris si bien que la qualité des vins dépendait dans bien des cas du hasard.

La typologie des vignes d’autrefois

Si le rendement moyen d’autrefois correspond à celui des cinquante premières années de notre siècle, la typologie des vignes d’avant le phylloxéra est totalement différente de celle d’aujourd’hui. Lorsque M. Maupin publia à Neuchâtel en 1785 « L’art de faire les vins » et « L’art de la vigne », il préconisait de limiter fortement le nombre de ceps par unité de surface car, disait-il, des vignes aux ceps bien espacés produisent tout autant voire plus que celles très serrées.

Jusqu’à l’apparition de la mécanisation et du travail à la charrue, les vignes contenaient un nombre impressionnant de plants. Notre auteur d’Auvernier nous apprend : « La distance des ceps doit varier suivant le plant et la bonté du terrain. » Selon ce principe, il propose que les plants de blanc doivent être à 2 pieds et demi de distance, ce qui correspond à 655 ceps par ouvrier. Pour le rouge, il nous dit qu’on pouvait dénombrer jusqu’à 1820 ceps à l’ouvrier ! Il rappelle aussi que la durée de vie d’un cep de rouge était d’environ huit ans tandis que celle d’un plant de blanc était de vingt à trente ans à moins qu’il ne périsse lors de gelées.

Rares étaient les parchets à avoir moins de 455 ceps à l’ouvrier ce qui correspond à une distance de 3 pieds entre les plants !

Si, après un défonçage, lors de la reconstitution d’un parchet, on alignait les plants, par le provignage, les vignes reprenaient rapidement un aspect pêle-mêle, dit en foule, qui exigeait que le vigneron serpente entre les ceps lors de labours. Le vignoble n’avait donc point l’aspect ordonné qu’on lui connaît aujourd’hui. Il était aussi fréquent de trouver en plein milieu des vignes des arbres fruitiers. Le Chancelier Montmollin nous apprend qu’il avait dans sa vigne de Trois-Portes « au haut devers bize, un court pendu, au milieu, un bon chrétien d’hiver et devers vent une renette ».

Lorsqu’il fallut reconstituer les vignobles après les attaques dues au phylloxéra, on limita encore le nombre de ceps par ouvriers à environ 350, ceci pour des vignes taillées traditionnellement en gobelets comme ce fut l’usage chez nous pendant des siècles.

Actuellement, les vignes en taille Guyot comptent environ 180 ceps à l’ouvrier. Elles produisent en moyenne davantage qu’autrefois en exigeant bien moins de travail, eu égard à la mécanisation.

Il faut peut-être préciser que celle-ci ne se généralisa qu’après 1956 dont le sinistre hiver fut cause de terribles gelées qui détruisirent le vignoble. Mais cette destruction permit enfin qu’un remaniement parcellaire fut entrepris. Celui-ci autorisa la création de grandes parcelles qui se prêtèrent désormais à la mécanisation, impliquant ainsi l’abandon d’un bon nombre d’outils traditionnels.

Les vignes d’autrefois, souvent fort petites, étaient très souvent closes, soit avec des murs en pierre sèche, soit avec des haies d’épineux. Ces cloisonnements étaient dus au mode même de culture qui exigeait que les clés des parchets soient rendues aux propriétaires dans le courant du mois d’août. Pour protéger les récoltes des maraudeurs et autres prédateurs, il fallait que les accès soient protégés.

Le maître-bourgeois en chef de la vigne

Comme la vigne et le vin faisaient intimement partie de la vie quotidienne, des attributions fort précises échurent au chef des Quatre Ministraux de la Ville eu égard au vignoble. Tout au long de l’année, il devait s’occuper de certaines tâches comme d’ordonner la vérification des mesures ; de renouveler la « défense faite et publiée en 1754 pour les vignerons d’apporter en Ville les souches et les échalas des vignes » ; de publier les ordres de chasse aux urbecs et hannetons ; d’entendre les rapports des visiteurs des vignes moiteresses et tierces ; d’agréer la liste des brévards établie par deux capitaines et de leur intimer le serment traditionnel ; de faire dresser la liste des vignes cultivées par des étrangers. Avec août, il exigeait que tous les propriétaires de vignes et de possessions sises dans le territoire de la mairie les fassent fermer sous peine aux contrevenants d’être mis à l’amende.

Avec septembre, les Quatre Ministraux convoquaient le Conseil Etroit soit le Petit Conseil de la ville, pour établir les prud’hommes ou visiteurs jurés des vignes. Ils en choisissaient quatre : deux du Conseil des Vingt-quatre et deux du Conseil des Quarante. Ceux-ci entraient directement en fonction. Après leur première visite du vignoble, ils présentaient un rapport aux Quatre Ministrauxsur l’état du raisin par rapport à sa maturité. On leur ordonnait alors de procéder à une seconde visite pour qu’ils se prononcent sur « le jour auquel il convient de mettre le ban ». Par là, il faut entendre la levée du ban soit le début des vendanges. Dès que cette visite était faite, on assemblait à nouveau le Conseil Étroit où les quatre prud’hommes étaient invités à présenter leur rapport général et détaillé sur l’état de maturité du raisin. Les deux membres du Conseil des Quarante devaient ensuite se retirer. Seuls les membres du Conseil Etroit étaient habilités pour se prononcer sur le jour de l’ouverture des vendanges.

Avant ce jour-là, deux des Quatre Ministraux, en compagnie de quelques membres du Conseil Étroit, experts en vin, et de l’Intendant de l’Hôpital allaient visiter les vignes faisant partie de la dîme de Saint-Blaise, les moiteresses et les tierces gerles.

Le receveur de la Maladière visitait sa dîme particulière. Des ordres concernant la future mise aux enchères des dîmes étaient donnés à l’Intendant de l’Hôpital afin que celui-ci les transmette au sous-hôpitalier qui devait afficher les billets de publications aux lieux ordinaires. Cette procédure permettait aux futurs enchérisseurs de la dîme de s’informer.

Dans les derniers jours de septembre, on avertissait le cabaretier de l’Aigle Noir de préparer le repas du ban que l’on commandait pour environ trente personnes.

Avec octobre, le ban des vendanges « était mis » soit choisi. Le jour où la décision se prenait, mais quelques heures avant, après avoir encore une fois examiné les parchets, les visiteurs des dîmes rendaient compte aux Quatre Ministraux de leurs dernières observations recueillies lors de leur ultime visite et donnaient leur avis sur le prix auquel il convenait de laisser échoir les mises aux enchères des dîmes.

Ensuite, Monsieur le Maire, les membres de la Justice et les Ministraux s’assemblaient. Le Maître-bourgeois en chef demandait que les prud’hommes soient à nouveau entendus après avoir prêté serment. Dès que leu rapport était lu, il requérait alors que « le ban des vendanges soit mis et crié suivant la coutume et conformément à nos franchises et libertés. Monsieur le Maire demandait alors la connaissance à l’aîné de la Justice ». Il faut entendre par connaissance la présence entre les mains du maire d’une grappe de raisins bien mûre qui attestait ainsi que la récolte pouvait débuter.

Ensuite, à l’exception des Quatre Ministraux, tous se rendaient au logis de l’Aigle Noir pour délibérer encore sur le cas. La délibération faite et la décision prise, tous les membres de la Justice retournaient à l’Hôtel de Ville où le doyen de la Justice annonçait le jour fixé pour le début de la récolte pour les divers quartiers du vignoble. Ceci fait, les quatre Maître-bourgeois, précédés des sauthiers, allaient faire les proclamations publiques de ban des vendanges aux endroits coutumiers.

Les Quatre Ministraux devaient ensuite s’occuper de l’organisation de la mise aux enchères des dîmes en vin dépendantes de l’Hôpital, communément appelées dîme de Saint-Blaise. Comme les habitants de Saint-Blaise avaient obtenu du Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 16 janvier 1733 le droit de décider eux-mêmes de leur ban des vendanges pour autant qu’ils en avertissent à l’avance les Quatre Ministraux, ces derniers devaient souvent attendre que les dates des vendanges de Saint-Blaise soient définies pour exposer aux enchères ces dîmes.

Et juste avant que le ban ne soit rompu, on établissait quatre gardes du quartier des Repaires, qui était vendangé en dernier, pour surveiller et empêcher que les vignes vendangées ne subissent des dommages par des grappilleurs non autorisés. Leur office durait jusqu’au jour où l’on publiait le ban des Repaires et celui du grappillage.

Précisons que les vendanges de la ville suivaient un ordre bien établi. D’abord, il était possible de vendanger les vignes dites privilégiées et cela deux jours avant l’ouverture générale du ban. Ensuite, les vendangeurs pouvaient se rendre dans les autres parchets à l’exception de ceux des Draizes, Tombet, Dœurs et Repaires.

Nous donnons ici la relation des événements tels qu’ils ont été vécus par Samuel de Marval, maire de Neuchâtel en 1700. « Ceste année encor a eu une montre assez médiocre et des froids jusque au moys de juin ce qui donna un peu de bruslure, on a encor mis le ban soubs ma présidence le jeudi 26 7bre, pour les privillégiées au vendredy et samebdy 4e et 5e octobre et le lundy suivant partout hors les Repaires, Deurs, Tombet et Draize, au vendredy lle suivant, mais comme il a toujours pleu dempuis le bans, nous en parlasmes avec Messrs les Quatre qui firent encor faire une visite par Messrs les Prud homes, Messrs du Conseil Etroit s’estant rassemblé, nous trouvasmes qu’il falloit le ravancer a cause de la pourriture de deux iours ,savoir les privillégiées au mercredy et jeudy 2e et 3e et les autres à proportion ce qui fut publié sur mon ordre par le grand sauthier et par celluyde Messrs les Quatre. »

La vente

Chaque année, dans le courant de novembre ou de décembre, le Conseil d’État fixait un prix de référence pour le vin, la Vente, qui servait de prix officiel pour l’année courante lors des transactions. Les Quatre Ministraux étaient généralement appelés à cette délibération du Conseil d’État. Ils opinaient les premiers mais leur voix n’était que consultative. Ensuite les membres du Conseil d’État donnaient leur avis avant qu’à la majorité, ils se déterminent pour un prix. Pendant ces délibérations, les Quatre Ministraux devaient rester debout.

En 1556 et 1581, les Quatre Ministraux avaient été exclus de ces délibérations concernant la Vente si bien qu’en 1582, ils organisèrent leur propre vente. Dès 1583, ils purent à nouveau y prendre part même s’il leur a fallu attendre 1587 pour être autorisés à rester pendant tous les débats.

Avec la fin du XVIIe siècle, le Conseil d’État prit même des contacts avec Soleure pour fixer les modalités de la Vente et au cours du XVIIIe siècle, il demanda l’avis des différentes justices du pays.

De 1484 à 1836, cette institution perdura.

Entre 1558 et 1573, la vente fut faite par les Quatre Ministraux en tant qu’amodiateurs du comté.

En analysant les montants auxquels la Vente était fixée, on remarque que le prix de référence du vin fluctuait d’année en année dans des proportions qui pouvaient aller du simple au double sans pour autant que l’on puisse attribuer ces écarts à des événements significatifs.

En 1616 cependant, le prix du pot fut fixé à 2 creutzers seulement tellement la récolte de cette année-là fut abondante. Abram Chaillet en fait la relation dans son Journal. Les vendanges débutèrent le 26 août selon le calendrier julien, soit dans les premiers jours de septembre selon le calendrier grégorien. Il n’était pas rare, relate-t-il, de voir que des vignes avaient produit entre 12 et 14 gerles de vendange par ouvrier. Une pénurie de tonneaux se fit vite sentir à tel point que tous ceux qui apportaient deux tonneaux en recevaient gratuitement un plein. Tous les récipients possibles et imaginables servirent de barriques. Cette abondance générale provoqua un sursaut d’ivrognerie «que les enfants de neuf à dix ans semes loient d’aller aux tavernes…».

À l’inverse, l’année 1709 fut sans aucun doute une des plus terribles de l’histoire. Le prix du pot à la vente atteignit les 20 creutzers. À l’époque des vendanges, Peters qui fut chargé de visiter les vignobles dépendant de sa recette nous dit : « Nous n’y avons pas trouvé tant de raisins comme on n’en voyait d’autres années après vendange dans le temps du grappillage. » Personne ne voulut se porter acquéreur des quelques dîmes proposées aux enchères sauf pour celle de l’Hôpital qui fut adjugée 5 setiers ! (153 litres).

Dès que le prix de la Vente était connu, toutes les transactions basées sur les vins pouvaient s’effectuer. Les officiers et les pasteurs recevaient leur dû; les vignerons qui retiraient en argent une partie de la récolte à laquelle ils avaient droit, étaient soldés; ceux qui avaient vendu sur pied leur vendange, étaient payés.

Toutefois, le prix de la Vente ne correspondait que rarement au prix de détail des vins.

La vente au détail

Tous les propriétaires de vignes avaient le droit de débiter à pot et à pinte le vin de leur cru. De cette situation découla une situation confuse à propos de la vente au détail des vins, car il se fit rapidement une confusion entre les cabaretiers et ceux-là.

Chez ces derniers, il était interdit de consommer sur place à moins que les débiteurs de vin n’aient solennellement prononcé le serment des cabaretiers et fussent agréés comme tels.

C’est surtout avec la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle que le Conseil d’État tenta de légiférer et de mettre en place une réglementation stricte, eu égard à la prolifération des cabarets. Disons simplement que toutes les grandes familles propriétaires et productrices de vin possédaient leur pinte où des tenanciers débitaient au détail les vins de leur cru. À l’actuelle rue Fleury à Neuchâtel, on en dénombrait au début du XIXe siècle une quinzaine !

Si le prix du vin était déterminé par la Vente, son prix réel était majoré de quelques creutzers appelés outre-ventre. Par exemple, si nous suivons les prix de vente du vin blanc de 1665, nous savons qu’à la Vente un pot valait 3 creutzers 3/4. Lorsque le Chancelier de Montmollin mit en vente à partir de fin novembre le vin de ce millésime, il l’offrit à un batz le pot, soit 4 creutzers. Comme l’année avait été généreuse et la récolte abondante, il fut difficile de tout écouler rapidement. Le prix de un batz fut tenu jusqu’à fin avril. De mai à juin, le pot fut vendu 3 creutzers 11/2 pour tomber à 3 en juillet puis à 2 en août et septembre. Plus on s’approchait de la récolte 1666 qui s’annonçait belle et prometteuse, plus les prix chutaient.

En revanche, en 1675, plus les vendanges s’approchaient, plus le prix du pot augmentait passant au cours de l’année de 2 batz1/2 à 3 batz 3/4 alors que la Vente avait été faite en novembre 1674 à 2 batz 1/3.

Donc, tout au long de l’année, en fonction du marché, le prix du vin fluctuait. Il fallait aussi essayer d’écouler tout son stock avant que le nouveau soit sur le marché. Peu nombreuses étaient les années ou le vin vieux était apprécié et recherché. Avec l’usage de la bouteille qui était occasionnel chez nous avant le premier tiers du XIXe siècle, les vignerons purent faire vieillir les vins. Toutefois, rare était le vin, un tous les six ou sept ans, qui méritait un tel traitement! Cela prouve que la qualité générale des vins d’autrefois était bien inférieure à celle que nous connaissons.

Le vin

Dans ses Annales, après avoir relaté les événements de l’année, Jonas Boyve donne des renseignements météorologiques et fait des commentaires sur les vendanges et les vins.

Par exemple, pour 1372, il dit : « À la veille de Pentecôte 1372, il tomba une grande quantité de neige qui brisa les arbres : le vin renchérit d’abord de deux tiers. Cependant les vendanges ayant été très abondantes, le vin baissa tellement que six pots se vendaient un denier. Mais comme il fit un très grand froid avant les vendanges, le vin ne put fermenter ; il demeura doux jusqu’à Pâques, et ensuite il devint si vert qu’on ne pouvait pas le boire. »

Quelles étaient ses sources ? La question reste ouverte. Nous savons toutefois que Boyve a eu accès à de nombreux documents dont beaucoup restent actuellement introuvables. Si nous accordons du crédit à ses dires, nous pouvons alors essayer de se représenter, très subjectivement il est vrai, comment les anciens jugeaient leur vin.

Nous avons tenté cet exercice pour le XVIIe siècle. Le résultat est peu probant mais montre que la qualité des vins dans l’esprit allait souvent de paire avec les quantités récoltées, ce qui est paradoxal. Dans son Demi siècle de l’histoire économique de Neuchâtel, Alphonse Petitpierre reproduit une pièce curieuse que le « Messager Boiteux de Neuchâtel » avait publiée en 1838 : « Remarques sur la vendange, le prix et la qualité du vin à différentes époques. » Les observations débutent au XIIIe siècle mais sont fortement lacunaires jusqu’en 1570 environ. Par la suite, la qualité du vin est plus régulièrement décrite mais de manière laconique. Mauvais, médiocre, bon très bon sont encore les qualificatifs les plus utilisés. Le vin des trente premières années du XVIIIe siècle est dit 13 fois mauvais, 2 fois médiocre, 11 fois bon et 4 fois très bon. Il n’y a pas de commentaire pour 1705. Ceci montre bien que les moyens de vinification étaient très empiriques et ne permettaient pas d’obtenir des vins d’égales qualités. Les différences d’une année à l’autre étaient souvent fort grandes. De nos jours, nous avons stabilisé la qualité vers le haut grâce à la compréhension et la maîtrise des principes fondamentaux de la vinification.

Avant les travaux de Pasteur sur la fermentation, les connaissances chimiques n’autorisaient que de dissocier dans les vins l’eau de vie d’un résidu dont l’ignification n’apportait rien. Le hasard et un empirisme plus ou moins maîtrisé permettaient aux cavistes de réussir leur millésime. Tous ceux-ci avaient des secrets qui nous sont dévoilés quelques fois dans les livres de raison. Ces recettes, toutes stupéfiantes qu’elles soient, montrent que par tâtonnements, les vignerons avaient saisi l’utilité de tel ou tel traitement sans pour autant en avoir compris la raison d’être. Des principes étaient définis : « pour rompre la violence du vin qui bouillit au tonneau », « pour rendre un vin plaisant à boire », « pour vin tourné », « pour clarifier le vin », « pour ôter l’odeur du moisi au vin », « pour lutter contre les vins gras », etc.

Si les techniques du collage et les principes du soufrage étaient connus, les traitements contre les diverses maladies des vins restaient plus qu’hasardeux. Mêmes les dires de Charles Junod rassemblés dans son « Mémoire sur la meilleure manière de traiter les vins de ce pays » dévoilent l’incompréhension des vignerons face à la vinification.

C’est Eugène Rousseaux, sur demande de la Compagnie des vignerons, qui mena la première étude scientifique sur les vins de Neuchâtel. Son travail intitulé Études sur la vinification dans le canton de Neuchâtel faites aux vendanges de 1897, suivies d’un appendice sur l’analyse sommaire des moûts parut en 1898.

Avec le XXe siècle, les connaissances acquises sur la chimie des vins s’affinent tellement qu’il est maintenant possible de corriger presque tout à tel point que certains vins, d’année en année, ne connaissent presque plus de variations de goût ! Aujourd’hui, avec des raisins de qualité, les vins ne font que s’améliorer.

L’absence d’eau courante dans les caves favorisaient le développement de nombreuses maladies, faute de pouvoir nettoyer totalement le matériel vinaire.

Si beaucoup de tonneaux, « lègrefass », étaient en chêne, fort nombreux aussi étaient ceux en sapin. Ces derniers devaient sans doute communiquer au vin un léger goût de résine.

Comme l’usage de la bouteille n’était pas très fréquent, les vins étaient principalement conservés en tonneaux, tant dans de grands foudres que dans de petites barriques. Dès qu’un tonneau était mis en perce, il fallait le boire assez rapidement car les risques d’oxydation er de piqûre allaient en s’accroissant.

Qu’il soit bon ou mauvais, le vin devait être vendu et bu. De manière globale, il ne nous est pas possible de dire comment et où les vins du pays étaient écoulés.

Il est clair que la plus grande partie était bue sur place, tant dans les auberges que dans les cabarets. Les habitants des Montagnes en faisaient grande consommation comme nous le montrent les livres de raison du Chancelier Montmollin.

Toutefois, la grande partie des exportations se faisaient en direction de la Suisse, surtout vers Berne et Soleure qui étaient dépourvus de vignobles.

Dès 1406, les Bernois sont autorisés à acheter du vin à Neuchâtel même et le commerce avec LL.EE. de Berne fut fructueux jusqu’en 1536, date de la conquête du Pays de Vaud. Par la suite, les Bernois mirent des entraves à ce commerce qui nécessitèrent de nombreuses interventions à tous les niveaux dans le troisième quart du XVIIe siècle.

En 1678, LL.EE. de Berne interdirent totalement l’exportation des vins de Neuchâtel sur leur territoire, allant ainsi à l’encontre des traités de combourgeoisie. Ces difficultés commerciales portèrent lourdement atteinte aux négociants en vin qui durent chercher des débouchés vers les autres cantons.

À l’intérieur même du pays, des arrêtés furent décrétés à de nombreuses reprises pour limiter et interdire les vins étrangers, tant du Pays de Vaud que de Bourgogne et de Franche-Comté dont les habitants des Montagnes étaient fort amateurs. Ce sont les bourgeois de Valangin qui s’opposèrent avec force contre cette entrave à la liberté de commerce qui leur était reconnue dans les Articles généraux de 1707.

Ainsi, à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, des mesures protectionnistes issues du Colbertisme entravent le commerce des vins neuchâtelois. Celles-ci firent l’objet de nombreuses suppliques tant auprès du Roi que vers LL.EE. de Berne.

Avec le régime Berthier furent introduits les certificats d’origine qui garantissaient la provenance et le cru. Ceux-ci furent utilisés entre 1809 et 1847. Ils permettent de se faire une idée sur l’exportation des vins du pays. En moyenne, durant cette période, 700’000 litres de vin étaient exportés chaque année ce qui correspond à un apport financier d’environ 177’000 francs annuel.

Avec le XIXe siècle, des essais d’exportation des vins de Neuchâtel au-delà des mers furent aussi tentés, à l’instar de l’encavage de Bellevaux qui expédia du Neuchâtel aux États-Unis. Certains commerçants audacieux essayèrent même d’établir un commerce avec l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Rappelons pour mémoire que le vin d’honneur servit lors de l’ouverture officielle du canal de Panama était du Cortaillod portant l’étiquette de « Cratalup, Sandoz frères, négociants à Bogota ».

Les maladies de la vigne

Jusqu’au XIXe siècle, la vigne connut son âge d’or même si les vignerons devaient entreprendre des chasses organisées pour lutter contre les urbecs, les hannetons, les pyrales et autres insectes.

Dès 1847, année où l’oïdium fut découvert en Europe, les vignes furent attaquées par diverses maladies tant végétales qu’animales en provenance des États-Unis.

L’oïdium fut la première. Champignon microscopique, il émet des filaments qui puisent la nourriture dans les tissus de la vigne et d’autres qui supportent les spores. Pour lutter efficacement contre ce parasite, les vignerons ont recouru au soufrage qu’il convient de faire juste avant la fleur, après celle-ci, puis lorsque les raisins ont atteint la grosseur d’un pois.

La seconde fut portée par le mildiou qui fut découvert en France en 1878. Toutefois, la maladie était connue à cause des dégâts qu’elle avait provoqué aux États-Unis. Le champignon (algue) du mildiou attaque les parties vertes de la plante dont il se nourrit.

Pour lutter contre ce fléau, le vigneron dut utiliser le sulfate de cuivre sous forme de bouillie bordelaise ou bouillie berrichonne. Soufrage et sulfatage firent ainsi partie des nouveaux travaux dont le vigneron dut se charger.

La dernière, et la plus mortelle pour le vignoble européen, fut lancée par le phylloxéra. Découvert pour la première fois en France en 1863, ce puceron attaqua le vignoble neuchâtelois en 1877. Grâce à des mesures préventives énergiques, le vignoble fut préservé d’une destruction rapide catastrophique. Le phylloxéra dévaste la vigne en piquant au moyen de son suçoir les racines sur lesquelles il provoque des boursouflures qui occasionnent une pourriture des extrémités. La plante qui ne peut plus absorber de nourriture dans le sol finit par périr.

Dès l’apparition de ce fléau, on s’est ingénié à chercher le moyen de la combattre. « Des remèdes sans nombre ont été proposés, expérimentés puis abandonnés comme inefficaces ou impossibles à employer. De ces différents moyens, quelques-uns seulement sont entrés dans la pratique. Ce sont, parmi les plus importants : la submersion des vignes attaquées, le traitement des vignes au sulfure de carbone et le greffage des vignes du type « vinifera » sur des plants de vigne résistants. »

Cet extrait est tiré du Manuel du viticulteur publié par l’État en 1907. Les deux premières solutions ont vite été abandonnées. Seul le greffage des plants indigènes sur des porte-greffes américains résistants a permis de vaincre ce terrible fléau. Ainsi, il a fallu entièrement reconstituer le vignoble en cépages résistants. Cette entreprise débuta chez nous en 1891 par l’autorisation d’introduire des cépages étrangers et de créer des pépinières destinées à fournir les plants pour les vignes d’essai. Les vignerons, avec l’appui de l’État, purent ainsi conserver au Littoral neuchâtelois son caractère viticole bimillénaire. Une culture nouvelle était née, celle de notre modernité.

Que d’édits oubliés, que d’arrêtés ignorés, que de proclamations laissées à part ! Ces quelques pages n’entrouvrent qu’une portion congrue de l’histoire du vignoble neuchâtelois.

Pour situer l’importance du sujet, disons simplement que les Manuels du Conseil de Ville renferment 268 articles portant sur la vigne et le vin entre 1580 et 1828. Les Manuels du Conseil d’État entre 1620 et 1815 en contiennent plus de 900 ! Ces chiffres parlent d’eux-mêmes.

La vigne était dans ce pays la principale ressource pour les habitants du Littoral. L’étudier, c’est rendre hommage à tous ceux et à toutes celles qui ont vécu pour elle et par elle.

Patrice Allanfranchini