Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Le domaine Bovet d’Areuse

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Il y a quelques mois, le Musée de la vigne et du vin a reçu un extraordinaire livre de compte tenu par la famille Bovet d’Areuse. Ce petit registre permet de suivre le rendement d’un certain nombre de vignes depuis la fin du XVIIIe siècle jusque dans le deuxième tiers du XIXe siècle.

À nouveau, pour pouvoir découvrir et suivre l’histoire de la vigne dans notre pays, il convient de mettre la main sur des manuscrits tenus par les propriétaires de vigne dans lesquels ceux-ci ont pris soin de noter tant les superficies que, année après année, les rendements des parchets dont ils étaient détenteurs. Ces types de documents sont rares dans les archives publiques si bien que la découverte de l’un d’entre eux constitue toujours une source de satisfaction. Grâce à eux, il est possible d’affiner notre connaissance du vignoble d’hier et ainsi de mieux comprendre son économie.
Le livre qui nous intéresse a tout d’abord été tenu par Henry Louis Bovet (1767-1814). Il est l’un des fils de Jean-Jacques Bovet (1728-1793). Celui-ci est l´initiateur de l´indiennnage dans la famille. Quittant Fleurier, il commence sa carrière dans la fabrique de toiles peintes du Bied à Colombier. En 1750, à 22 ans, il s´associe à son patron Claude Abram DuPasquier sous la raison DuPasquier, Bovet & Cie et fonde avec lui la Fabrique Neuve à Cortaillod.

En 1782, Jean-Jacques Bovet acquiert la fabrique de Vauvillers à Boudry (fondée en 1741) à la tête de laquelle il place son fils aîné. Ayant perdu cette même année son épouse, il quitte Cortaillod pour s´installer à Areuse dans une maison achetée en 1779 autour de laquelle constitue peu à peu un domaine viticole.

À sa mort en 1793, Jean-Jacques Bovet lègue somme conséquente à chacune de ses filles et fait de ses deux fils héritiers du solde, incluant les immeubles. Dès lors, Henry-Louis va aussi s’occuper des vignes héritées, puis les transmettre à son fils Louis Bovet (1794-1869) qui fait de même avec son fils Louis (1840-1906).
Si Henry-Louis est l’initiateur du livre qui nous intéresse, c’est surtout son fils Louis qui va le compléter et développer une politique viticole totalement nouvelle dans le pays de Neuchâtel. On lui doit en effet un développement de l’encépagement en rouge.

Traditionnellement, le vignoble neuchâtelois était prioritairement complanté en blanc. La part de rouge était la portion congrue. Il faut aussi rappeler que personne à l’époque ne maîtrisait vraiment les techniques de vinification qui permettaient d’élaborer des vins rouges fortement teintés. On parlait plutôt de vin clairet à moins qu’il ne soit possible d’ajouter des grains de teinturier qui offraient des possibilités de coloration. Rappelons que succinctement que les principes colorant des pinots noirs se trouvent dans la peau du grain et non sa pulpe. Pour que l’anthocyane passe dans le jus, il faut qu’un cuvage ait lieu durant plusieurs jours. Pour de nombreux viticulteurs, cette opération présentait de grands risques et une peur aiguë de piqûre acétique.

Toutefois avec les améliorations amenées par Melle Gervais et la maîtrise des chapeaux flottants lors du cuvage, il a été possible dans notre région au cours du XIXe siècle d’obtenir désormais de vrais rouges comme ceux que l’on connaît aujourd’hui.

Sans aucun doute, Louis Bovet fut un précurseur dans l’expansion de l’encépagement en rouge du vignoble. Pour s’en convaincre, il suffit de se rapporter aux comptes de vendanges qu’il a tenus durant quelques décennies et de suivre en quantité de gerles la production de rouge. On remarque à l’envi que celle-ci ne fait qu’augmenter. Cette constatation est corroborée par quelques remarques en marge qui apportent des renseignements sur ces intentions. On y relève bien sa volonté d’accroître sa production de rouge. Certaines vignes même ne contiennent désormais que du rouge alors que l’habitude voulait que quelques ceps de rouge côtoient les cépages blancs.

À titre d’exemple : la vigne des Peleuze

En donnant ci-après, un graphique présentant la production en blanc et en rouge de cette vigne, on se rend aisément compte que la part en rouge augmente de façon significative à partir des années 1826, 1827, résultat d’une modification de l’encépagement.

Il est évident que ce tableau indique les écarts de rendement d’une année à l’autre. Le pic le plus significatif est celui de l’année 1834 considérée partout en Europe comme l’année la plus exceptionnelle tant en quantité qu’en qualité.

En ayant choisi cette politique, Louis Bovet s’est aussi vu confronter à la commercialisation de ses vins. Afin de les valoriser, il a favorisé la vente de vin en bouteilles au détriment des tonneaux. Pour ce faire, il a fait imprimer très rapidement des étiquettes à son nom. Mais surtout, on lui doit la plus ancienne étiquette d’oeil-de-perdrix conservée dans le canton. Celle-ci porte le millésime 1861. Il distinguait donc alors clairement les vins rouges des rosés !

Quelques vignes à Cortaillod

Arrêtons-nous encore sur les quelques vignes que Bovet possède à Cortaillod. Le tableau ci-après en donne le rendement sur dix-sept ans. On constate que pour un ensemble de 21,25 ouvriers, soit une surface de 7480 m2, le rendement total de ces parchets a été pour la période donnée de 627 gerles environ, soit en moyenne annuelle 39 gerles un quart, correspondant à une moyenne annuelle de 1,84 gerle.

Mais ce qui est le plus intéressant avec ce tableau, c’est de se rendre compte des proportions entre le blanc et le rouge : à savoir deux tiers, un tiers.

Nom Lachat Maladière Longue-prise Grande Poissine Petite Poissine
surf. 8 4.25 1 5.75 2.25 ouvriers
     
  blanc rouge blanc rouge blanc rouge blanc rouge
1851 13.5 4.75 1   6 8 2.08 0.5
1852 22.5 4 1   5.75 7 1 1
1853 5.75 2.5 0.75   2.75 6.25 0.25 0.75
1854 6.25 3.12 1.25   3.5 3.5 0.5 0.5
1855 23.5 3.5 1.5   5 4 0.5 0.5
1856 27.25 5.25 0.33   3.33 7.75 0.33 1
1857 21.2 4.12 1   4.75 5.75 0.75 1
1858 28.5 10.5 0.5   8 11 2 3
1859 20.33 6.2 1   4.25 4.75 1.75 1.75
1860 10.25 3.75 2   5 3.25 1.75 0.75
1861 24.66 5 0.66 0.25 3 4 0.5 1
1862 10.25 6.25 3 0.25 7.56 6.75 3.75 1.75
1863 34 8.5     7.33 8.5 3.33 1.5
1864 15.75 4.75   0.25 6 6 2 1.5
1865 15.25 7.33   1 5.25 8.5 1.5 1.5
1866 34.25 7.5   1 5.5 7.5 2 1.5
1867   6.5   1 2.75 8.25 1 1.5

Et lorsque l’on sait qu’en 1885 dans le vignoble neuchâtelois, la part du rouge est de 9,78% et celle du blanc de 90,22%, on se rend compte qu’avec un 30% de rouge dans ses parchets, Louis Bovet est donc un des pionniers de l’essor du pinot noir en terre neuchâtelois.

%

Proportion entre le blanc et le rouge en 1885 pour l'ensemble du vignoble neuchâtelois

  • rouge 9.78% 9.78%
  • blanc 90.22% 90.22%

Aujourd’hui, chacun sait que le vignoble est désormais plus complanté en pinot noir qu’en chasselas. On doit à Louis Bovet d’avoir été un précurseur de ce changement, tout en rappelant aussi que les prix des raisins rouges ont toujours été supérieurs à ceux des blancs, ceci sans doute pour compenser leur rendement moindre.

Un bref appel

Tout en étant resté fort succinct, nous espérons que la lecture des lignes qui précèdent puissent vous rendre attentifs à l’importance des documents historiques viticoles, aussi banaux puissent-ils paraître. Mais pour l’histoire du vignoble, ils sont capitaux. Mais, comme ils appartenaient à la vie quotidienne, à la vie ordinaire, souvent après usage, on ne leur accordait pas de valeur, rendant ainsi leur conservation aléatoire. Le rôle du Musée est d’essayer de les répertorier, de les conserver pour que peu à peu l’histoire viticole du Pays puisse s’écrire. Ainsi, que chaque personne qui aurait connaissance de tels documents en fasse part au Musée, tel est notre souhait !

Patrice Allanfreanchini
Conservateur.