Œnothèque et gastronomie

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Pinot-noir

Avec ses sols caillouteux et calcaires, le vignoble neuchâtelois offre au Pinot noir une terre de prédilection. Issu d’un clone indigène, le Pinot noir de Cortaillod permet l’épanouissement de vins de grande classe, pleins et généreux, aptes à vieillir plusieurs années.

Peu cuvé, il est vinifié en Œil-de-Perdrix ; immédiatement pressé, on l’appelle Perdrix blanche. Le pinot noir donne des souches vigoureuses, au débourrement précoce et à jeunes bourgeons quelque peu blanchâtres aux touches de carmin clair. Au début, les feuilles sont blanches avec une infime bordure carmin. Elles glissent ensuite au vert clair, devenant glabres sur la face supérieure. À maturité, elles jaunissent, voire rougissent. Elles sont les premières à tomber.

Les sarments sont menus, cylindriques, plutôt châtain clair, voire violacé après l’aoûtement. Les jeunes sont fragiles, sensibles aux coups de vent qui peuvent les rompre. Les grappes sont petites, tassées. Leur rafle est verte, avec des pédicelles courts et gros. Les grains ovoïdes sont serrés dans la grappe et d’une couleur violet foncé. Ils peuvent se recouvrir d’un voile nacré. La pulpe est incolore. C’est l’anthocyane contenue dans la peau qui donne par cuvage sa couleur au vin.

L’Œil-de-Perdrix

L’œil de perdrix n’est pas qu’une petite tumeur douloureuse de l’orteil, c’est avant tout en Suisse l’extraordinaire vin de Neuchâtel tiré d’un pinot noir légèrement cuvé qui faisait dire au comte d’Escherny dans une lettre à Jean-Jacques Rousseau: « Les vins de Cortaillod, dans les bonnes années sont aussi bons que les meilleurs vins de Bourgogne. »

Aujourd’hui, cette remarque paraît totalement déplacée et quiconque de quelque peu sensé n’oserait une telle comparaison. Au 18e siècle pourtant, cette assertion était tout à fait plausible. En deux cents ans, l’art de la vinification a fait des progrès considérables et les goûts ont évolué. À l’époque, les Pommard et les Volnay n’étaient que légèrement teintés et fort légers à l’instar des vins rouges de Neuchâtel. Et comme les uns et les autres proviennent de pinot noir, la confrontation se comprenait et se justifiait !

En Bourgogne comme en Champagne, ainsi que l’attestent quelques anciennes étiquettes, le nom « Œil-de-Perdrix » fut utilisé au 19e siècle pour présenter des vins rosés ou clairets, soit des rouges peu ou pas cuvés, voire des rouges mêlés de pinot blanc, comme le dit Pigerolle de Montjeu. De plus, dans certains encavages bourguignons, lors du pressurage, on alternait sur la table du pressoir des lits de paille et des lits de raisin, de peur que le vin ne soit encore trop rouge.

En Bourgogne donc, pour obtenir cet Œil-de-Perdrix, on assemblait généralement moût de rouge et moût de blanc alors que dans le canton de Neuchâtel, on n’emploie que du pinot noir sans cuvage. On appelait aussi autrefois ce vin « blanc de rouge ». L’Œil-de-Perdrix, avant de prendre une majuscule et ses lettres de noblesse en terre neuchâteloise, est un vin qui de rose à ses débuts, acquiert avec le temps une nuance plus sombre – l’oeil de la perdrix – puis, en vieillissant davantage un ton mordoré qui rappelle certains muscats.

Dans le canton de Neuchâtel, pour le millésime 1861, Louis Bovet, propriétaire encaveur à Areuse, fit imprimer une étiquette particulière portant la mention « Œil de Perdrix ». Sans que l’on sache si celle-ci est la plus ancienne ou la première qui atteste de la différence que les viticulteurs faisaient entre leurs vins rouges, elle prouve en tout cas que la tradition de l’Œil-de-Perdrix en pays de Neuchâtel n’est pas récente et qu’elle remonte à des temps immémoriaux, comme les amis de Rousseau nous le prouvent.

Quant à l’appellation « Œil-de-Perdrix », elle ne s’est propagée dans le public qu’avec la généralisation de l’usage de l’étiquette pour les vins, soit une pratique somme toute moderne puisque les vins du canton de Neuchâtel n’ont commencé à être systématiquement habillés qu’avec les années vingt de ce siècle ! Par parcimonie, pour l’Œil-de-Perdrix, la plupart des vignerons se contentèrent tout d’abord d’utiliser des étiquettes traditionnelles, rajoutant simplement sur la bouteille une mention spécifique.

Les étiquettes spécialement imprimées pour des Œil-de-Perdrix restèrent donc fort rares avant les années soixante. Ce n’est que dans les années d’après-guerre que l’Œil-de-Perdrix a commencé son irrésistible ascension vers la notoriété hors des frontières cantonales, avant il était bu sur place ! Les Neuchâtelois de l’époque auraient dû en faire une marque déposée propre à un produit typique de leur terroir.

Avec l’emploi d’un terme anecdotique et marginal de la viticulture du passé, les premiers, ils avaient élaboré un vin racé portant haut le nom de Neuchâtel. Victimes d’un excès de confiance, ils avaient supposé qu’ils seraient les seuls à utiliser ce joli nom. Quelle ne fut pas leur stupéfaction de le voir attribué à d’autres vins rosés, et cela même par voie fédérale officielle, suite au refus d’accepter au début certaines dénominations locales comme, pour le Valais, « Dole blanche » ! Mais les œnophiles ne s’y trompent pas. Aujourd’hui, même si des vins d’ailleurs portent cette appellation, le véritable Œil-de-Perdrix reste avant tout un produit caractéristique du terroir neuchâtelois, comme un champagne n’est pas un mousseux !
L’Œil-de-Perdrix, une spécialité neuchâteloise

Depuis des temps immémoriaux, les encaveurs du pays de Neuchâtel ont produit des Œil-de-Perdrix provenant exclusivement de pinot noir légèrement cuvé. Si l’analyse de textes du 18e siècle prouve cette assertion, une étiquette millésimée 1861 en apporte une preuve matérielle. Cette étiquette d’Œil-de-Perdrix de l’encavage Louis Bovet d’Areuse est pour l’instant la plus ancienne connue pour ce type de vin en terre neuchâteloise.

Patrice Allanfranchini