Le musée de la vigne et du vin
Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée
Le mesureur-juré

1995
Vieux métier exposé au Musée de la vigne et du vin à Boudry
Le vin à sa juste mesure
De chaque grappe de raisin, l’État a toujours pris son grain de sel, la dîme en vin. Autrefois, elle remplissait jusqu’au tiers de ses tonneaux à sous. C’était l’affaire du mesureur-juré, un métier aujourd’hui presque disparu. À l’aube d’une nouvelle récolte, le Musée de la vigne et du vin de Boudry en rappelle les ficelles.
Le mesureur juré, c’était l’empêcheur de frauder en rond, celui qui, avec ses mesures de référence, vérifiait la contenance des récipients, gerles et tonneaux dans les caves, pots, demi-pots, tiers et quarts de pot sur les tables des aubergistes. «C’était la caution de l’État, la garantie que les récipients étaient correctement étalonnés», souligne Patrice Allanfranchini, conservateur Musée de la vigne et du vin à Boudry.
Dans le canton de Neuchâtel comme ailleurs, le travail ne manquait pas. On ne dénombrait pas moins d’un bistrot pour une soixantaine d’habitants. Et, au début du I8e siècle, l’État retirait un tiers de ses revenus par la dîme en vin. «C’est énorme», fait remarquer l’historien.
Dés lors, le mesureur-juré et son matériel méritaient bien une vitrine. Avant d’inaugurer, le 1er septembre, sa nouvelle exposition intitulée « Et que ça saute ! », expo qui s’annonce pétillante, le conservateur a choisi d’en exposer quelques exemples: les mesures de l’Ancien Régime qui définissaient la contenance du pot neuchâtelois (environ 1,9 litre ou deux bouteilles) et celle la gerle qui comptait 58 pots.
Le clou du vin
En 1857, le système métrique des poids et mesures a été unifié au plan suisse. Avec l’avènement de la République, chaque commune viticole s’est vu doter d’un mesureur-juré assermenté chargé de l’étalonnage des gerles et tonneaux. Et d’un numéro: 1 pour Neuchâtel, 11 pour Boudry, 14 pour Auvernier, etc. Par la même occasion, toutes les communes ont reçu de l’État du matériel dûment étalonné: colonne en cuivre graduée et récipients de 5, 10 et 50 litres, ainsi que des marques à feu. Dans la gerle à hauteur donnée, on plantait un clou à côté duquel on frappait dans le bois de sapin; les armes de la République. Et plus question de déplacer le clou, en l’abaissant furtivement par exemple.
Un métier, un seul homme
«Évidemment, relève le conservateur, avec la disparition des gerles remplacées par des cuves en plastique, en aluminium ou en fibre de verre, étalonnées d’office, et par le fait qu’aujourd’hui, on les pèse à l’entrée des caves, le métier a disparu »
Disparu? Pas tout à fait: il reste un mesureur-juré. Dans le canton: André Tüller. Il fonctionne toujours pour la commune d’Auvernier où quelques viticulteurs travaillent encore avec des gerles. Et ceux d’autres communes viennent contrôler leurs gerles sur place, dans son local. Comme ses anciens collègues, il a suivi le cours de l’Office fédéral de métrologie.
Ailleurs, le métier a vraiment disparu. À Boudry, par exemple, la dernière gerle a été étalonnée en 1991. Mais planqué ici ou dans un grenier, il doit rester quantité de matériel. Un matériel qui intéresserait bien sûr le Musée de la vigne et du vin, comme celui de M. Francis Monnard que sa famille a remis au Musée suite au décès de l’ancien mesureur-juré de Boudry. Restauré, il est aujourd’hui exposé.
Mesureur-juré, drôle de fonction, drôle de « métier ». Tant qu’il y aura des gerles, on en aura besoin. Et même si, comme le relève M. Tüller, « la commune ne veut pas que j’arrête ! », il lui faudra bien à terme trouver une relève. Il en ira de son honneur, elle qui s’offre comme le dernier cetre du vin à sa juste mesure.
Anecdotes frauduleuses ?
Où il y a dîme et impôt, il y a, en général, un peu de fraude par-ci; , par-là. «Il y a dû y en avoir», note Patrice Allanfranchini, conservateur du Musée de la vigne et de vin. Sans doute, mais elle n’a pas transpiré dans les archives.
Et aujourd’hui ? La question brûlait la langue de la scribouillarde de service: en plus de 20 ans de métier, combien de cas de fraude décelés au fond, des caves? Le dernier mesureur-juré en fonction dans le canton de Neuchâtel est catégorique: «Je n’ai jamais rien repéré, assure-t-il. Ils sont honnêtes ». Ils, ce sont les vignerons. Et tant pis pour les petites anecdotes frauduleuses. «Mais il faut quand faire attention !», ajoute aussitôt M. Tüller: «Quand une gerle a été réparée, il y a des gagnants et des perdants… » le vendeur, l’acheteur et/ou l’État.
Le coup du clou planté à la hauteur donnée a perduré et lorsqu’un fond de gerle a été rénové, sa position peut varier. C’est pourquoi, les gerles sent contrôlées tous les cinq ans.
Simone Ecklin