Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Vignes sous la loupe

2005

Le vernissage de cette nouvelle exposition du Musée de la vigne et du vin au Château de Boudry a eu le lieu le 29 septembre dernier à la suite de la vendange du Clos du Musée. Les personnes présentes ont donc pu immédiatement comprendre la différence qu’il y a entre les vignes d’aujourd’hui plantées de manière ordonnée et régulière et celles d’hier aménagées en foule et fort serrées.

En effet, le visiteur qui arrive dans l’exposition se trouve face à la reconstitution d’un parchet tel qu’il en existait autrefois, soit avant l’arrivée du phylloxéra en terre neuchâteloise. Il s’agit donc d’une vigne en mars avec des ceps taillés en gobelet plantés fort près les uns des autres, un premier labour effectué, des provins assujettis à des échalas, une chevalée…un oiseau…

Le pourquoi d’une telle reconstitution est à chercher dans un détail d’une ancienne vue présentant la Favarge. Celui-ci met en exergue quelques ceps au devant de la maison, montant bien les provins attachés à leur tuteur, les échalas en chevalée et que rien n’est ordonné !

La réalisation du livre « Neuchâtel 1642-1942, trois siècles d’iconographie » a permis la sélection d’un certain nombre de vue sur lesquelles des faits de vignes étaient présents. Par leur mise en évidence grâce à des agrandissements, il est devenu possible d’aller à la rencontre des anciennes pratiques vitivinicoles en usage dans le pays et surtout de montrer à quel point la ville de Neuchâtel était une cité à vocation vigneronne.

Ainsi, dans la partie du bas, le visiteur peut se familiariser avec les travaux que les vignerons devaient donner à la vigne, en commençant par l’enlèvement des échalas après les vendanges, la taille en février, le provignage en mars, le labour du croc du même mois, la repose des échalas, la nécessité selon les années de « buementer » les parchets, soit leur apporter du fumier, de creuser les céseaux en bas des vignes pour y recueillir les terres ravinées suite aux orages, qu’il fallait ensuite remonter en haut des parchets avec l’oiseau. Avec le printemps revenu et la croissance de la plante, on devait commercer les attaches pour lesquelles on employait de la paille de seigle. Un deuxième labour avec les rablets devenait dès lors nécessaire. Les ébourgeonnements s’ensuivaient, puis un troisième labour, voire un quatrième tant on pensait qu’il fallait que les terres soient libres de toutes autres plantes.

Tous ces travaux sont là, rappelés, évoqués, montrant à l’envi que le vigneron avait un emploi du temps fort occupé même si à partir d’août l’habitude voulait que son travail se termine. En effet, c’était durant ce mois que la mise à ban du vignoble se faisait et que les brévards, les gardes vignes, entraient en fonction afin d’éviter que des déprédations aient lieu et surtout que, à l’approche de la véraison, des vendanges non autorisées se fassent, privant ainsi l’État de la part en dîme qui lui revenait.

Deux grandes vues de la ville datées de 1794 viennent soutenir le propos en montrant comment la ville était cernée par les parchets. Dans les vitrines, on rappelle l’existence de l’honorable Compagnie de Vignerons de la ville de Neuchâtel,  et que, dès la fin du 18e siècle, des écrits ont été rédigés et publiés afin d’améliorer tant les techniques de cultures que la qualité des vins, but toujours poursuivi de nos jours.

En gravissant l’escalier, on se heurte tout d’abord à une extraordinaire scène de vendanges aux Parcs. Due à Moritz, cette représentation montre la typologie de vignes qui seraient situées en plein cœur de la ville actuelle. Elle confirme que les parchets d’hier pouvaient être complantés aussi bien rouge qu’en blanc. On remarque aussi que les vendangeurs utilisaient des corbets pour couper les grappes, que le foulage se faisait avec de simples pilons, que l’atmosphère était à la joie, surtout lorsque les teintes mordorées de l’automne accompagnaient une récolte qui s’annonçait prometteuse.

On arrive ensuite dans une salle aux couleurs chaudes de l’automne, soit le temps où la vendange bat son plein. Pour se mettre dans l’ambiance, vendangeuse et brandard côtoient un char à brecet. Sur le mur, à droite en entrant, est visible une des plus extraordinaires scènes de vendanges jamais peintes à Neuchâtel, la première version de la célèbre aquarelle de Lory prise du Mail en 1815. En la regardant dans le détail, on se rend compte que cette période de l’année avait une importance considérable pour la population. Tous étaient convoquées à arpenter les parchets. Tous étaient concernés. Cette manière de voir la chose est confortée par l’extraordinaire panorama qui s’ensuit. Celui-ci, tout en montrant que la ville s’étend désormais le long des faubourgs, témoigne que la présence viticole reste importante. La grande vue suivante montre une scène de liesse. Un cortège emmené par un violoniste déambule entre l’hôtel de ville et l’actuel hôtel communal. Ce bâtiment avait alors en ouest une annexe qui abritait un pressoir. On repère parmi les personnages un homme déguisé, un autre qui boit directement à la bouteille, d’autres qui se laissent entraîner dans des farandoles, des enfants qui s’amusent. Il convient simplement de rappeler qu’en temps de vendanges, il était possible de se masquer, de danser, de s’amuser sans avoir à côté de soi la présence d’un gendarme ou d’un pasteur!

Les vitrines évoquent encore le moment du pressurage, l’élevage et la mise en bouteilles des vins, avant que ceux-ci ne soient commercialisés et vendus tant dans le pays que dans d’autres régions. Et là il convient de rappeler le rôle primordial du lac dans le commerce des vins, de cette route royale qui s’ouvrait vers Soleure en faisant fi des quelques ivresses qui ont pu en résulter!

« Vignes … sous la loupe! », une manière de prendre conscience que la vigne et le vin ont forgé le paysage local, développé certaines mentalités et modelé l’architecture vernaculaire. À consommer avec modération! Quant au prolongement possible, il peut se faire en feuilletant l’ouvrage qui a servi de fil rouge à cette exposition.
Patrice Allanfranchini