Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Des certificats d’origine: indice d’exportation?

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Des certificats d’origine: indice d’exportation?

Est-il possible de quantifier combien de litres de vin de Neuchâtel sortaient des frontières de la Principauté au début du XIXe siècle? C’est à cette question que nous allons essayer de répondre.

La tradition veut que les vins de Neuchâtel étaient de tous temps appréciés hors des limites territoriales de leur aire de production. Grâce à leur caractère soufré, les vins de Neuchâtel supportent bien les transports. Quant à leurs vertus curatives, elles sont suffisamment connues depuis que le Dr Prince les a démontrées en 1743 en soutenant sa thèse devant l’université de Bâle!
La tradition affirme aussi que l’apport pécunier provenant de l’exportation des vins était loin d’être négligeable et entrait pour une bonne part dans les ressources générales du pays.

Quelques calculs et hypothèses

Sandoz-Rollin, dans son «Essai statistique sur le canton de Neuchâtel» paru en 1818, nous apprend que le vignoble recouvrait alors une étendue de 1293 hectares ce qui fait approximativement 36.000 ouvriers de vigne.

Nous savons aussi qu’il faut cinq gerles de vendange pour obtenir un muid de vın, soit 365,62 litres.

En admettant que le rendement moyen du vignoble est de deux gerles à l’ouvrier, on peut estimer que le vignoble neuchâtelois produisait au début du XIXe siècle environ 5,2 millions de litres.
Toutefois, les travaux spécifiques conduits par Mlle Patricia Canonica, MM. André de Montmollin, Pierre Parel et votre serviteur montrent que la première moitié du XIXe siècle connut des rendements souvent inférieurs à deux gerles par ouvriers.

Mlle Patricia Canonica, dans son mémoire de licence intitulé « L’Hôpital Pourtalès en regard de son histoire viticole, 1811-1912 » présente en page 78 un tableau comparatif du rendement 1813-1912, par tranche décennales où on relève que le domaine de I’Hôpital Pourtalès à Cressier eut un rendement moyen entre 1813-1826 (14 ans) de 0,73 gerle/ouvrier; de 1827-1836, de 2.15 gerles/ouvriers (sans 1830); de 1837-1846, de 1,96 gerle/ouvrier. Parel propose pour cette dernière décennie un rendement de 2,81 gerles/ouvrier pour le domaine qu’il a étudié.

De ces divers travaux, il est possible d’estimer que les mauvaises années, le vignoble neuchâtelois devait produire moins deux millions de litres alors que les années exceptionnelles, huit millions de litres devaient être mis sur le marché.

Les certificats d’origine

Le 7 août 1809, le Conseil d’État établit des certificats d’origine pour les vins afin de contrôler les exportations et le commerce des vins.

Les difficultés rencontrées alors avec le canton de Berne en particulier ont nécessité la mise en place de ce système de certificats. « Certifier signifie l’affirmation de l’existence d’un fait. D’après cette définition, les expéditeurs des certificats d’origine pour les vins affirment que telle expédition de vin hors de leur arrondissement est véritablement du crû du vignoble de ce même arrondissement; ils doivent nécessairement être certains de l’existence de ce faıt. Pour avoir cette certitude affirmative, deux choses nous paraissent indispensables; la première est la reconnaissance de la vendange récoltée sur le vignoble dont il s’agit sur le certificat et l’encavage de cette même vendange sans mélange quelconque; la seconde, qu’après l’encavage, les propriétaires n’introduisent dans leurs cuves aucun vin étranger pour faire des mélanges. »

Ce texte, daté du 9 janvier 1810, montre quel était le but de ces certificats et à quelles obligations étaient soumis les préposés à leur délivrance.
Le contexte de l’époque voulait pour maintenir en usage les anciennes prérogatives et coutumes, que les vins puissent être garantis d’origine afin d’éviter que les vins étrangers soumis à de nombreuses taxes voire des interdictions n’envahissent un marché soumis à un protectionnisme rigoureux.

Les comptes des préposés

En 1809, six préposés étaient chargés de cette tâche de contrôle. Il y en avait un pour Neuchâtel, Thielle, Le Landeron, La Côte, Boudry et Gorgier. A partir de 1820, leur nombre passa à seize. Chaque village viticole important eut dès lors le sien. Un dix-septième entra en fonction en 1837 à Bôle.

Chaque préposé devait tenir une comptabilité exacte des délivrances qu’il effectuait au cours de l’année dont il devait rendre compte au Conseil d’Etat.

Ainsi les dossiers VIII et suivants de la série Vigne et Vins des Archives de l’Etat renferment toutes les pièces qui ont permis de dresser le graphique suivant qui, de 1809 à 1847, indique le nombre de pots de vin qui ont fait l’objet de certificats.

Sans affiner les résultats selon des moyennes décennales, nous pouvons dire que la moyenne annuelle de ces certificats d’origine correspond à une exportation de 366.500 pots, soit environ 700.000 litres. Ceux-ci équivalent à un peu plus d’un treize pour cent de la production globale du vignoble neuchâtelois.

Toutefois, cette valeur tend à diminuer au cours du siècle.

Cette situation montre bien que les vins étaient avant tout bus sur place, débités dans les auberges et les cabarets. La consommation des vallées et des montagnes neuchâteloises ne peut pas être appréciée.

Le rapport financier

Nous avons pris pour nos estimations les prix du pot définis à la Vente de la Seigneurie, en centimes, tels que Quartier-La Tente les donne (Le canton de Neuchâtel: le district de Boudry, p. 39). Ces prix sont donc tout à fait artificiels car les prix réels étaient toujours plus élevés que ces prix officiels de référence. Toutefois, ils nous servent de prix de base.

Entre 1809 et 1847, dernière année où les certificats d’origines furent utilisés, le prix moyen de la vente de la Seigneurie équivaut à 48 centimes le pot, soit 25,5 centimes le litre, ce qui fait pour une exportation moyenne de 700.000 litres une somme arrondie de 177.000 francs.

Rappelons qu’à cette époque, le salaire annuel d’un ouvrier en filature était de 144 francs, celui d’un instituteur de 480 francs, celui d’un professeur d’université de 1440 francs et celui d’un haut fonctionnaire public de 1920 francs.

Nous pouvons donc dire que ce produit de l’exportation des vins est loin d’être négligeable.

En guise de conclusion

Ces certificats d’origine garantissaient la provenance et la qualité des vins. Leurs établissements ont permis d’avoir des contrôles sur les exportations. Toutefois, nous ne pouvons point affirmer s’ils représentent les exactes quantités de vins exportés des rives neuchâteloises. Est-ce que les vins appartenant aux riches familles soleuroises et bernoises propriétaires de vignobles neuchâtelois étaient aussi soumis à ces mesures lorsque les propriétaires les faisaient conduire chez eux? nous ne pouvons point répondre.

Les résultats présentés ici restent fragmentaires et aléatoires. Il faut les interpréter avec prudence en sachant qu’ils méritent d’être affinés et précisés. Pour mieux les considérer, il faudrait prendre en compte les relations que les cantons ont connues tout d’abord jusqu’en 1815 puis dès le pacte fédéral de la même année.

L’étude du commerce des vins neuchâtelois reste encore à faire!

Tableau des délivrances des certificats d’origine

Année Nb. de pots Nb. de litres Prix selon la vente en francs Qualité du vin
1809 1.555.572 2.963.187 623.823 mauvais
1810 798.367 1.516.897 582.807 médiocre
1811 602.895 1.145.500 313.505 excellent
1812 1.229.675 2.336.382 479.573 mauvais
1813 1.080.044 2.052.083 680.427 mauvais
1814 283.984 539.569 247.066 mauvais
1815 308.722 586.571 302.547 bon, agréable
1816 13.218 25.114 7.402 très mauvais
1817 4.897 9.304 5.141 année nulle, sans récolte
1818 5.096 9.683 3.363 bon
1819 25.391 48.243 8.379 bon, surtout le blanc
1820 348.211 661.600 156.694 assez bon
1821 455.649 865.733 255.163 mauvais
1822 661.923 1.257.654 417.011 très bon
1823 427.530 812.307 149.635 mauvais
1824 349.806 664.631 157.412 médiocre
1825 135.277 257.026 85.224 bon, le rouge excellent
1826 223.398 424.456 78.189 bon, surtout le blanc
1827 367.292 697.854 83.150 bon, année très abondante
1828 760.082 1.444.155 159.617  
1829 460.017 874.032 110.404 bon, année abondante
1830 425.549 808.543 221.285 bon, année abondante
1831 248.266 471.705 146.476 bon
1832 76.376 145.114 48.116 très bon et fort
1833 112.991 214.682 39.546 agréable
1834 279.889 531.789 78.368 excellent et abondant
1835 414.829 788.175 99.558 médiocre et faible
1836 287.503 546.255 92.000 assez bon
1837 281.871 535.554 250.865 médiocre et très dur, récolte moyenne
1838 398.047 756.289 95.531 assez bon, récolte moyenne
1839 364.756 693.036 116.721 passable, vin rouge mauvais
1840 360.694 635.318 119.029 bon, récolte faible
1841 162.371 308.504 68.195 bon, récolte abondante
1842 123.928 235.463 52.049 bon, récolte abondante
1843 160.377 304.716 44.905 mauvais, récolte faible
1844 166.475 316.302 93.226 bon, récolte faible
1845 36.039 68.474 12.612 médiocre, récolte moyenne
1846 94.735 179.996 53.051 très bon et fin, récolte ordinaire
1847 52.561 99.865 11.037 mauvais et faible, récolte abondante

Communauté de Cressier KK 6/2 Enregistrement des certificats d’origine des vins du cru du Pays

Année VD SO BS FR BE LU AG SZ UN
1823   3129   2040 25838        
1824   3622 326 1795 15383,5        
1825   6798   477   90      
1826   17645   100 6395        
1827   26671   8920 6291   874    
1828   29519   9557 12780   1061    
1829   19652   11839 37870        
1830   11982   4000 17648        
1831   1386   75     508    
1832   5820 145 4612     469    
1833 92 6707 201 772 8101   1056    
1834   8994   1745 17953   1806    
1835   7506   3080 11571 336 186 3902  
1836 50 2977   14872 14938        
1837   7149   4584 1614     1334  
1838   7993   22804 14295   1312    
1839   12412   1875 10564   4885    
1840   1249   24505 19590        
1841   1079   858     6537    
1842   10497   7176          
1843   1205   18805 4557        
1844   90   695 1990       326
1845   1549   247 2192   904    
1846   6066              
1847       513          
1848 11356     21111 1860