Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

La commune d’Hauterive et son vignoble

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Hauterive et la vigne

« Chacun sait que les vignes sont l’unique bien desdits habitants [du Vignoble]. Si le débit des vins leur manque, tout leur manque, par ce secours ils se procurent des grains & les autres choses nécessaires à la vie ainsy tout ce qui va à empêcher entièrement ou seulement à diminuer ou a resserrer la consomption de leurs vins soit au dedan ou au dehors du pays ne peut que tourner à leur ruine totale »

Cet extrait est tiré d’une copie d’une lettre adressée au roi de Prusse en 1710((AEN ACH Série KK 6 Vins 2.)). Son ton quelque peu inquiet est lié aux circonstances, à savoir les difficultés rencontrées par les habitants du Vignoble, bourgeois internes et externes de Neuchâtel, en lien avec la volonté de quelques bourgeois de Valangin de se prévaloir au nom de la liberté de commerce, qui leur a été reconnue, d’introduire des vins étrangers sur le territoire de la Principauté mais aussi aux restrictions émises par Berne pour autoriser l’entrée des vins de Neuchâtel sur son territoire.

Pour les bourgeois de Neuchâtel :

« l’introduction des vins étrangers causeroit cette ruine d’un côté elle empêchera le débit de vin du pays dans le pays même puisque si le peuple qui habite les montagnes font leur provision de vins chez les voisins, les habitants du vignobles ne peuvent que se trouver surcharger des leurs dont quelques uns font tous les efforts pour verser de leurs vins dans des pays fort éloignés avec beaucoup de risque et dépense pour en décharger le pays. De l’autre côté & c’est notre plus grande raison nous nous sentons infailliblement privés ainsy que nous en sommes menacés du peu de liberté qu’il nous reste de débiter nos vins dans le canton de Berne, Nous aurions mauvaise grâce de nous plaindre à Berne que nous sommes surchargés de nos vins pendant que l’on permettrait l’entrée de ceux du dehors. Cette tolérance déscriditerait nos plaintes. LLEE de Berne craindroyent d’ailleurs avec raison qu’à la faveur de nos vins l’on ne fit entrer dans leur Etat des vins dont ils déffendent l’usage à leur sujet.

Si donc que les bourgeois de Neuchâtel et les autres peuples du Vignoble ne peuvent vendre leurs vins ny dans le pays ny dans le canton de Berne, leurs vignes, leur unique bien leur seroit à charge et ils seroient obligés de les abandonner & pour la plupart de se chercher une autre patrie. »

Cette description toute alarmiste qu’elle soit témoigne de l’importance que la vigne revêtait pour les habitants du Bas. Une communauté telle que celle d’Hauterive s’est sans doute développée au gré du temps en parallèle avec l’extension des vignes sur son territoire. La toponymie revêt alors une importance capitale pour comprendre comment les cultures ont évolué au gré des siècles puisque les documents font défaut pour les périodes antérieures au XVIe siècle, à quelques exceptions près.

Arrêtons-nous sur quelques termes tels que Champreveyres, Les Longschamps, Les Dazelets. Le premier témoigne d’un champ appartenant à un prêtre (campus presbyterii), le second aux techniques de l’assolement triennal et le troisième de terre inculte ou friche.

Avec le XVIe siècle, la vigne s’est étendue, occupant désormais des terres primitivement réservées aux céréales. Régulièrement, dans les livres de reconnaissance((AEN Reconnaissance Thielle No 25 et Reconnaissance Fontaine André No 10.)), on trouve des mentions de vignes désignées autrefois comme étant des champs ou des prés. De manière globale, le vignoble neuchâtelois atteignit son expansion maximale durant le XVIIe siècle. En parallèle, la structure des propriétés s’est modifiée durant ces deux siècles, avec la création de grands domaines appartenant tant à la bourgeoisie neuchâteloise qu’à des aristocrates bernois ou soleurois. Sur le territoire d’Hauterive, leur présence est attestée par les résidences qu’ils se sont fait construire. Citons tout simplement les noms des Watteville, des Bonstetten, des Sinner, des Tscharner, des Bondeli.

En revanche, les habitants du lieu, soit les membres des familles Breguet, Clottu, Doudiet, Hinzely, Jacottet, L’Écuyer, Peter, Veillard pour ne citer que les principales, ne sont propriétaires que de quelques vignes, champs, prés, ouches et curtils, à quoi s’ajoute une ou deux maisons, grange et place qu’ils tiennent prioritairement de la recette de Fontaine-André.

Les habitants d’Hauterive reconnaissent donc leurs biens tant de la recette de Fontaine-André que de celle de Thielle. Dans la plupart des cas, ils paient les cens de leurs maisons auprès du receveur de Fontaine-André avec quelques vignes, champs et curtils sur La Coudre et Hauterive et leurs terres agricoles et viticoles qui s’étendent sur les territoires de Saint-Blaise, Voëns, Marin et Epagnier à la recette de Thielle. De manière générale, les possessions sont très dispersées et peu étendues. A la fin du XVIIe siècle, sur le plan viticole, les Altaripiens ne possèdent que de quelques ouvriers de vigne. Ceux qui en détiennent plus de dix sont déjà bien nantis. Rare sont ceux qui se targuent d’en cultiver plus de trente ! Ceci met en évidence le morcellement des propriétés en de multiples parchets dont l’étendue ne dépasse que rarement deux ouvriers (704m2). Il est vrai que la lecture des reconnaissances montre que les vignes décrites proviennent souvent de parcelles plus grandes qui, au gré des héritages, ont été plusieurs fois divisées.

Au cours du XVIIIe siècle, la situation ne change guère. Seules quelques familles telles les Peters et les Clottu par exemple s’enrichissent et deviennent de fait des propriétaires fonciers importants. En réalité, si presque tous cultivent de la vigne, peu conduisent des vinifications. La plupart des propriétaires vendent leur récolte au moment de la vendange à certains particuliers, heureux détenteurs de pressoirs. On peut supposer qu’il s’agit des mêmes qui enchérissent pour se porter acquéreur de la récolte de la communauté.

Une communauté, un domaine

Chaque communauté villageoise s’est dotée au gré du temps d’un domaine viticole. Celle d’Hauterive se l’est constitué de la manière suivante. En fait, le plus ancien parchemin conservé dans ses archives raconte justement l’histoire de la plus vieille vigne altaripienne connue: celle dite du Port ou de la Comba. Elle avait été donnée à la Fabrique de l’Église de Saint-Blaise par Estevenin Guiant, en 1425((AEN ACH Série FF 9 Vignes Parchemin 1.)), pour le repos de son âme et celle de sa femme.

En 1519, la paroisse de Saint-Blaise la remet à cens aux habitants d’Hauterive. L’acte d’accensement((AEN ACH Série FF 9 Vignes Parchemin 2. On retrouve aussi cette liste dans la Série DD Ressortissants 1. Rôle des familles d’Hauterive mentionnées dans l’acte d’accensement de la vigne du Port en 1548 ; de même dans les cahiers L’Écuyer No 2.)) dresse la liste des personnes qui forment le noyau de la Communauté((Voir page XX, article de Rémy Scheurer.)).

Le cens demandé par la paroisse s’élevait à « ung barraut de bon vin blanc refait mesure de Neufchastel».

Par la suite, les nouveaux communiers d’Hauterive peuvent participer à la jouissance de cette vigne s’ils acquittent d’une redevance de cinq livres faibles.

Étant donné qu’il est inconcevable que la Communauté en entier s’occupe de la culture de ce parchet de 9 ouvriers, celle-ci charge immédiatement Bendit Peter et ses héritiers de «donner la miteresse de ladite vigne chascun an en temps de Vendanges ès dessus nommés dudit hault rive et à leurs hoirs.»((AEN ACH Série FF 9 Vignes Parchemin 3.)) Un contrat de moitresse correspond à un métayage où celui qui cultive retire pour sa peine théoriquement la moitié des fruits((Les contrats de moitresse évoluent au gré du temps. D’un pur contrat de métayage à l’origine, ils divisent peu à peu la part de chacun différemment.)). Communier d’Hauterive, Bendith Peter reconnaît tenir deux maisons, quelques et champs et curtils et 18 ouvriers de vignes. Avec ce bail à moitresse, il agrandit de 25% ses possessions viticoles. Cela témoigne d’une certaine aisance !

Lors de la sécularisation les biens du clergé après la Réformation, les héritiers d’Estevenin Guiant tentent de retirer cette vigne. Un procès s’engage mais ils sont déboutés. Depuis, la Communauté tient directement cette vigne de la Seigneurie comme l’atteste l’acte d’accensement du 9 novembre 1548((AEN ACH Série FF 9 Vignes Parchemin 4.)).

La deuxième vigne

Le 8 novembre 1565, les Gouverneurs de la Communauté acquièrent de Guillaume Henzely «un morcel de vigne gesant es champs, vignoble de Fontayne André contenant environ deux hommes de vigne le tout par les boines mises»((AEN ACH Série FF 9 Vignes Parchemin 6.)). Ce parchet de vigne, communément appelé les Longschamps, était déjà entre les mains des gouverneurs «par gaigère»((AEN ACH Série FF 9 Vignes Parchemin 7.)) pour soixante-deux livres et cinq sous. C’est pour la somme de six cent cinq livres faible que la vente est conclue, y compris l’engagère. À son tour, la culture de ce parchet est conduite à la moitresse.

Les vignes de l’École

La Communauté reçoit sa troisième vigne lorsqu’elle crée une école au village. Jusqu’en 166O, les écoliers altaripiens, de même que ceux de La Coudre et de Marin, fréquentaient l’école de Saint-Blaise. Cette dernière était dotée de revenus et de terres. Le retrait d’Hauterive et de La Coudre nécessite une redistribution des biens. Hauterive et La Coudre renoncent à leurs droits sur le bâtiment d’école proprement dit moyennant une somme de cent cinquante livres faibles. Pour les vignes, ceci se fait de la manière suivante: elles obtiennent une vigne gisant au territoire d’Hauterive au lieudit «derrière chez Heinzely» d’une superficie d’un tiers d’ouvrier et une autre d’un ouvrier et deux tiers sise à Monsoufflet((Cahiers L’Écuyer No 23 Reconnaissance de cens de la vigne de Montsoufflet (1686) (No 23) ; série FF9 vignes parchemins 8 et 9 : État de collocation en faveur de la Communauté pour une vigne aux Longschamps (1690) ; item pour une vigne à ChampTrottet (1690).)). En mars 1690, La Coudre et Hauterive se séparent à leur tour. Le partage se fait dans la proportion suivante: un tiers pour La Coudre, deux-tiers pour Hauterive, qui conserve les vignes, dédommageant financièrement La Coudre.

La quatrième

Le partage d’une vigne que la paroisse de Saint-Blaise possédait aux Prises de Marin entre les communautés d’Hauterive, Marin, La Coudre et Voëns d’une part et celle de Saint-Blaise d’autre part est à la base de cet acquêt.
Les gouverneurs de ces communautés ont tout d’abord partagé la vigne en deux puis ont tiré au sort les deux parts. Saint-Blaise obtient la parcelle côté vent. Sur-le-champ, les quatre autres communautés procèdent au reste du partage. Quatre parts sont désignées. La communauté de Marin conserve la sienne mais La Coudre et Voëns cèdent les leurs à la communauté d’Hauterive qui entre ainsi en possession d’une vigne de deux ouvriers et demi en février 1741((Série FF 9 Vignes : 1) Acte de cession à Hauterive par La Coudre et Voëns de leurs parts à la vigne des Prises de Marin (1741) (provenance paroisse de St Blaise) ; 2) Acte de partage entre les Communautés de la Paroisse de la vigne appelée « Les Guinchardes) appartenant à la paroisse (1741) ( déterminé après un plus du 8 janvier 1741) des morceaux sont déterminés mais l’un est de moindre valeur donc celui qui l’aura après tirage au sort devra « cent bat à manger et à boire pour la Compagnie et évitation de frais à la Paroisse ». Repris dans Cahiers L’Écuyer No 60 et 61.)).

Voilà donc quel est l’état du vignoble de la Communauté vers le milieu du XVIIIe siècle. Aucune politique délibérée n’avait conduit jusque-là la communauté dans la constitution d’un domaine viticole. Il fallut que le domaine que celle-ci possède à Chaumont nécessite de grands frais d’entretien((Série FF 9 Vignes : 3.- Copie de la lettre par laquelle Hauterive demande au Conseil d’État l’autorisation d’échanger la Métairie de Hauterive à Chaumont contre la vigne de Champreveyre et autorisation du gouvernement (septembre 1748). 4.- Convention entre Hauterive et Abram Matthey de Savagnier au sujet du dit échange (19 septembre 1748) : pour le prix de mille & huit écus petits & huit batz. 5.- Lettre du Conseil d’État pour demander les conditions de faveur pour les lots et la cense foncière avec arrêt du Gouverneur (25 septembre 1748), brouillon et copie ; 7.- Acte d’échange entre Hauterive et Abram Matthey (27 septembre 1748) ; 8.-Plan de la vigne de Champreveyres (cette vigne est bordée au nord par le chemin tendant de Neuchâtel à Saint Blaise, au sud par le lac, en ouest par les vignes de Fischer (24 hommes). En Goutte d’Or ; 9- Quittance des émoluments payés pour l’acte d’achat de la dite vigne (21 janvier 1749) ; 10.- Quittance du prix de la dite vigne signée par le receveur Peter agissant au nom de l’hoirie de Bonstetten (1 août 1749).)) pour qu’elle tente de s’en débarrasser au profit de terres plus attrayantes financièrement et que l’hoirie du Bailli de Bonstetten mette aux enchères des vignes du domaine de Champreveyres pour qu’un agrandissement notable du domaine viticole de la Communauté ait lieu.

En 1748, les gouverneurs d’Hauterive obtiennent la permission du Conseil d’État d’échanger le domaine de montagne de Chaumont, qui intéresse un certain Abram Matthey de Savagnier, contre ces vignes sises « rière le vignoble de Champreveyre» en Gouttes d’Or que celui-ci s’engage à acquérir lors de la mise aux enchères de ces parchets.

Situation en 1748

Grâce à cet échange, le domaine communautaire s’étend dorénavant sur vingt-cinq ouvriers de vignes((Un ouvrier de vigne = 325 m2. Avec un domaine de 8800 m2, il devient intéressant d’engager un vigneron. Pour vivre, celui-ci n’aura à prendre en sus que quelques vignes supplémentaires.)) répartis de la manière suivante: 9 ouvriers pour la vigne du Port; 4 ouvrier 1/3 pour celles des Longschamps et Champverdet; 2 ouvriers 1/2 pour celle de la Paroisse en Monsoufflet; 9 ouvriers pour celle de la Goutte d’Or. Un tel domaine peut justifier l’engagement d’un vigneron évitant ainsi le recours aux moiteresses.

De 1748 à 1794, il ne semble pas que la Communauté acquiert de nouveaux parchets; le 25 juillet 1794, elle procède à un échange avec David Henri Favre. Celui-ci propose un « morcel de vigne gisant au vignoble de St Blaise lieu dit à Rouge Terre, 5 ouvriers, 8 pieds, 10 minutes, 4 oboles» sans les murs, une autre vigne en Champ Rondet à Hauterive d’une superficie de «5 ouvriers, 6 pieds, 3 minutes, 3 oboles et 3 Lausannois» et une autre vigne au vignoble de St Blaise au lieu-dit les Paroisses, soit aux Prises de Marin, contiguë à celle que la Communauté possède déjà dans ce quartier. En échange, elle cède « un morcel de vigne avec un petit verger y contigu gisant rière Hauterive appelés vigne et closel du Port, contenant en totalité compris le terrein en gravier derrière la Battue non en vigne et sans comprendre les murs 11 ouvriers, I pied, 6 minutes, I obole, 4 Lausannois»((Série FF vignes : 16.- Acte d’échange de la vigne du Port (11 ouvriers) cédée par Hauterive à David Henri Favre de Coffrane contre trois vignes à Rouges-Terre (cinq ouvriers huit pieds, dix minutes, quatre oboles sans comprendre les murs), Champs-Verdets ( cinq ouvriers, six pieds, trois minutes, trois oboles) et Prises de Marin (trois-quarts d’homme) (25 juillet 1794).)). Avec cet échange, la vigne qui était à la base du domaine communautaire sort du patrimoine communal.

Les dernières vignes

En 1810, Georges Favarger de La Coudre établit une engagère avec la Communauté d’Hauterive sur «une vigne au lieu-dit sous l’Abbaye, contenant environ quatre ouvriers et demi, (…) un morcel de verger, avec les arbres sus assis, lieudit aux Berthoudes, contenant trois ouvriers (…) et une vigne située à Montruz dessus contenant trois ouvriers. » Cette engagère((Série FF vignes : 17.- Lettre de permission pour acquérir trois vigne, l’une sous l’Abbaye (4 hommes et demi), la deuxième à Montruz-Dessus (2 ouvriers) , la troisième Dessous l’Abbaye(2 ouvriers et demi) (28 avril 1823), le tout provenant d’un acte d’engagère. 18.- Lettre du 25 février 1824 du Château concernant l’autorisation d’acquérir ces vignes ; 19.- Facture des émoluments dus à l’État pour cette autorisation (15 mars 1824) ; 20.- Acte de vente à la Communauté d’une vigne sous l’Abbaye (22 mars 1824).)) est conclue pour la somme de 1703 livres 14 sols et 6 deniers tournois. Favarger reconnaît avoir reçu ce montant comme paiement d’un arriéré dû par son frère Isaac Henri Favarger suite à l’adjudication d’une enchère échute en 1802 que ce dernier n’avait jamais honorée. Cette présente engagère est établie pour une durée de neuf ans pendant lesquels il est possible à Favarger d’en faire le rachat en remboursant «le capital et tous légitimes accessoires suivant coutume. Mais ledit terme expiré, lesdits trois fonds de terre demeureront en pleine propriété à ladite Commune.» En attendant l’expiration du terme, Favarger jouit de ces fonds en s’acquittant annuellement d’une rente de septante francs et dix batz.

En 1823, la Communauté demande au Conseil d’Etat la permission d’acquérir définitivement les fonds énumérés dans l’acte d’engagère de 1810 et une troisième vigne afin de récupérer les intérêts non payés que doit Favarger. Le Conseil d’État accueille favorablement cette requête si bien qu’en 1824, la Communauté devient légitime propriétaire de trois nouvelles vignes d’une superficie globale de dix ouvriers. Elle avait toutefois renoncé à acquérir le verger mentionné.

Cette description du domaine viticole d’Hauterive présente quelques lacunes volontaires. En effet, quelques petits parchets, qui n’ont fait que passer dans le patrimoine communal et que des minutaires de notaires avaient révélés, n’ont pas été présentés.

Et comment cultiver et que faire du raisin ?

Les ressources financières de nos anciennes communautés étaient peu importantes. Il faut simplement admettre que nos ancêtres ne payaient pas d’impôts communaux mais certaines taxes en fonction de leur statut social. Quant à ceux qui étaient communiers, ils bénéficiaient d’avantages et de privilèges comme des droits de bois ou de pâture. Il est aussi vrai que les charges imputables aux communautés n’étaient pas conséquentes ; les routes ne demandaient que peu de frais d’entretien, généralement assurés par des corvées ; l’école était dotée de revenus propres qui assuraient le traitement du régent ; les charges des gardes étaient payées par ceux qui en bénéficiaient. Par exemple, chaque propriétaire de vignes versait quelques batz par ouvriers pour indemniser les brévards.

De plus, il convient de rappeler que les deux gouverneurs de la Communauté engageaient leurs propres biens en remplissant cette charge puisque lors de la reddition des comptes, ils devaient prendre sur leur propre cassette les déficits potentiels.((Voir à ce propos: Allanfranchini (Patrice), Les Gouverneurs, conseillers communaux d’hier, in Le Vignolant, 1997.))

Si la grande majorité des propriétaires cultivaient eux-mêmes leurs vignes, d’autres les donnaient à tâche, la plupart du temps à la moitresse, à savoir un contrat de métayage qui attribuait au vigneron une part à la récolte. Au début, comme dit plus haut, la Communauté pratiquait ainsi avec ses parchets. Toutefois, dès 1771, elle engagea un vigneron, Pierre Laubscher((Série FF Vignes (2ème partie) 47 Marché avec Pierre Laubscher pour la culture des vignes de la commune (1771).)) du bailliage de Nidau, pour la culture de ses vignes. Pour six ans, celui-ci s’engageait à cultiver les 25 ouvriers de la Communauté en promettant « de travailler & cultiver les dittes vignes en toutes bonnes saisons requises & nécessaires s’abstenant d’i travailler en tems pluvieux & pendant les rosées de matin, à dire de bon vigneron et aux raport des gouverneurs de la ditte comunauté & a tel autre personnes que la communauté trouvera à propos d’i ajoindre afin que s’il s’y trouvait des deffaut ils lui fussent rabattu sur la culture ».

Comme son contrat n’était pas exclusif, Laubscher prend encore à tâche d’autres vignes. En venant s’établir à Hauterive, il appartenait à ce mouvement représentatif d’un prolétariat viticole naissant qui caractérise l’arrivée en terre neuchâteloise de nombreux nouveaux vignerons alémaniques qui feront souche et dont les noms aujourd’hui perdurent à la tête d’encavages((Voir exposition du Château de Boudry : Vignerons de là, vignerons d’ici. Cf. www.chateaudeboudry.ch .)).

À titre d’exemple, la liste suivante donne les noms des vignerons et tonneliers non neuchâtelois actifs à Hauterive vers 1790((Idem note précédente.)).

Perrotet

David

vigneron

Nant, Vully

Rosin

Gaspard

vigneron

Bailliage de Cerlier

Boukler

Jean-Rodolphe

vigneron

Bailliage de Morat

Bioley

Jean-Jacques

vigneron

Motier, bailliage de Morat

Beney

Daniel

vigneron

Salavaux, bailliage d’Avenches

Martig

Salomon

tonnelier

St Stephan, bailliage de Zweisimmen

Laubscher

Pierre

vigneron

Bailliage de Nidau

Rouff Samuel

Vigneron / charretier

Bailliage de Rougemont

Dyens Samuel vigneron

Bailliage de Concise

Dutoit Samuel

vigneron et pêcheur

Bailliage d’Aarberg

Cuanillon Jean vigneron

Sugy, bailliage d’Aarberg

Seyla Samuel

vigneron

Sugy, bailliage d’Aarberg
Couchaud Jean vigneron

Praz, bailliage d’Aarberg

Et la récolte ?

Qu’advenait-il ensuite de la récolte qui croissait sur les vignes de la Communauté ? Et bien celle-ci était mise aux enchères((BB 2 Règlements et autres documents : 1.- Serments et ordres de la communauté de Hauterive dès 1587 et conditions des montes de la vendange et herbes.)). Les conditions de ces montes étaient en substance les suivantes :

« Conditions des montes de la Vendange

  1. Que le monteur fournira caution suffisante au gré de la Communauté.
  2. Qu’il vendangera les dittes vignes de la communauté à ses frais et dépends, fournira des gerles juste et talonnés de la Seigneurie et cela à son premier ordre, en paiera le montant à deux termes le premier à la foire de la Chandeleur prochaine et le second à la foire de la St Jean de Neuchâtel et cas de contravention ou retard sera chatiable de quatre batz par chaque gerle en outre l’intérêt se payera dès la perception de la vendange.
  3. Que cas arrivant que le monteur ne vendangeât pas les dites vignes de la Communauté à son premier ordre, il sera amendable pour quatre écus neufs, sera responsable du dommage & s’il arrivait qu’elle fut montée chère par les événements elle fera aucun rabais au monteur.((EE 2/2 Journal, caisse, grand livre : 8.- livre des montes de l’honorable communauté d’Hauterive commencé le deuxième juin 1776 (jusqu’en 1858).))»

En fait, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, ces conditions n’ont que peu changé. Grâce à ces livres d’enchères, il est possible de connaître dès 1734 le rendement des vignes de la Communauté mais aussi les prix d’adjudication des récoltes((EE 2/2 Journal, caisse, grand livre 7. Livre des montes commencé en 1734, 8. Livres des montes (1776-1858) et 15. Livre pour les vignes de 1838 à 1897.)). Durant le XVIIIe siècle, ce sont prioritairement des habitants d’Hauterive qui se portent acquéreurs de la vendange de la Communauté. Citons à titre d’exemple les noms d’Elie Doudiet (1734), Jean-François L’Écuyer (1736), Pierre Clottu (1744). Si ces gens-là achètent de la vendange, c’est qu’ils la vinfient montrant à l’envi qu’ils font commerce de vin ou qu’ils sont aubergistes ou cabaretiers. Signalons la construction en 1756 de la cave Clottu à la rue des Chasses-Peines et la présence dans les maisons des familles d’Hauterive de portes de cave laissant supposer la présence de pressoirs. Mais faute d’archives privées, il n’est pas possible de connaître l’importance de leur négoce.

De plus, en observant les graphiques donnés ci-dessous, on se rend compte que les variations de production d’une année à l’autre étaient importantes. Pour compenser ces écarts, le Conseil d’État attribuait chaque année un prix de référence aux vins, la Vente, ce qui permettait, sans que cela ne soit réellement lié à la productivité des vignes elles-mêmes, de réguler les différences au niveau pécunier pour éviter, dans les années de récoltes chétives, que les vignerons en pâtissent trop.

En fonction des techniques en usage, les vignerons avaient tendance à privilégier la production au détriment de la qualité si bien que les vignes souffraient davantage des conditions climatiques qu’aujourd’hui et qu’au delà des cycles végétatifs traditionnels, les rendements subissaient d’importantes variations.


Les vendanges

Comme partout sur le territoire neuchâtelois, la vendange était soumise au ban. Primitivement, la mise du ban dépendait de la seigneurie de Thielle qui voulait que les vignes d’Hauterive et de La Coudre soient liées à celles de Saint-Blaise. Ce n’est qu’en 1724 que le Conseil d’Etat concède aux Communautés d’Hauterive et de La Coudre « de pouvoir mettre le bamp des vendanges pendant les six années suivantes indépendamment de celles de St Blaise.((Série FF Vignes (2ème partie) 21 Rôle de ceux qui doivent mettre de ban des vendanges (1725 à 1773).))» Cette cérémonie est emprunte de solennel et est conduite « sous la présidence de Monsieur le Châtelain ou de son lieutenant, à leur absence du plus ancien des justiciers desdist Hauterive & la Coudre avec les justiciers et ceux du Renfort en choisissant 12 personnes, de chacune communauté six et chacune un prudhomme.((Idem note 21.)) » Pour effectuer cette tâche, les membres de la communauté d’Hauterive recevaient chacun quatre batz((AC Hauterive. Livre des dépenses de la Communauté commencé le 13 janvier 1798 par Jean-Jacques Heinzely et Jonas Rossel, gouverneurs.)).

En fait, en nommant des prudhommes, on attribuait à des propriétaires vignerons l’expertise de la maturité du raisin. Ceux-ci accompagnés des brévards((Pour leur peine, les brévards recevaient un demi-batz par ouvrier de vigne qu’ils surveillaient et 2 pots de vins, une miche de pain et une livre de fromage. Voir note 26.)) (les gardes vignes) devaient parcourir tous les parchets pour évaluer l’état sanitaire des grappes afin de décréter les jours de récolte. Par exemple pour 1751, les prudhommes rapportent : « qu’ils n’avaient pas trouvé du dépérissement dans les vigne, qu’à la vérité, il y en a quelqu’unes aux Bréls dont les rouges offensés pourrissent un peu, mais les blancs ayant encore toute apparence d’augmenter, ceux des vignes hautes étant encore verds, et qu’ils seroit très à propos de les laisser encore quelques quelques jours, pour le bien du public en général, estimant que les Privilèges pourroyent être fixées à lundy et mardy prochain 25 et 26 du courant et le mercredy partout.((Série FF Vignes (2ème partie) 38 Rapport sur la maturité du raisin (1751) du 18e octobre 1751.)) » La délibération se faisait ensuite à huis-clos.

Dès que les jours de vendanges étaient désignés et annoncés publiquement, la récolte pouvait commencer. Celle-ci se faisait quartier par quartier afin de permettre aux enchérisseurs((Le dernier enchérisseur devenait le percepteur de la dîme.)) de la dîme de percevoir leur dû au bas même de chaque vigne vendangée. Comme une partie des vignes d’Hauterive dépendait de la dîme de l’Hôpital de Neuchâtel, il fallait que tous soient correctement informés pour que la récolte s’effectue dans l’ordre prescrit. Par la suite, cette autorisation fut renouvelée((Série HH5 police rurale. 9. Autorisation accordée à Hauterive et à La Coudre de fixer elles-mêmes le ban des vendanges (1737).)).

Les vendanges achevées, on peut lever le ban du grappillage((L’annonce du ban était rétribuée trois piécettes. Voir note 26.)). Le règlement de la Générale Paroisse de St-Blaise sur le grappillage de 1751 rappelle que six jours après le début des vendanges, l’on doit mettre le ban du grappillage, lequel fixe le jour à partir duquel il est permis de grappiller les vignes. Celui-ci est annoncé par le son de la grosse cloche de Saint-Blaise. Avant cela, quiconque qui se trouve dans les vignes doit être amendé, y compris les propriétaires à moins qu’ils ne s’annoncent auprès des brévards tenus alors de les accompagner. Quant à ceux qui plantent dans leurs vignes «courges, raves, choux, herbes et autres plantes qu’il pourrait y avoir semé((Série FF Vignes (2ème partie) 37. Règlement de la Générale Paroisse de St-Blaise sur le grappillage (1751).)) », ils ont la nécessité d’attendre le début du grappillage pour les cueillir.

Les vins

Comme partout dans le Vignoble, les habitants d’Hauterive sont fiers de leurs crus. Par voie de conséquence, ils cherchaient à en définir ce qu’il convient de nommer aujourd’hui l’appellation d’origine. Ainsi à plusieurs reprises, ils se sont offusqués que certaines personnes fassent entrer dans leur village des vins d’ailleurs et tentent de les commercialiser sous le nom de vin d’Hauterive. Les archives conservent une lettre des gouverneurs au Conseil d’État pour protester contre l’introduction dans la commune de vendanges d’autres territoires vendues comme vendanges provenant d’Hauterive. Pour eux :

« Cet abus va si loin que des gens qui ne sont ni habitans ni des terres, s’émancipent de tenir un négoce de cette nature qui ne tend uniquement à tromper les gens de cet Etat même, soit ceux des Etats voisins car tel qui croira acheter du vin d’Hauterive, se trouvera fourni, ou en tout de la vendange et vin de ces quartiers et plantées dont la qualité est assez connue de vos Seigneuries ou en partie de vin falcifié et mêlé. Ce négoce décrédite totalement le lieu, et sous prétexte que ceux qui le tiennent achètent quelque peu de vendange du crû d’Hauterive ou qu’ils y amodient des caves ou des pressoirs, ils le mettent avec l’autre pour avancer mieux leurs intérêts et plus impunément tromper ceux qui l’achètent quelque fois plus cher que celui ou il n’y aurait aucune falcification.((Série KK6 Vins/ 8.)) »

À leurs yeux, ceci leur porte gravement préjudice dès qu’ils souhaitent vendre leurs vins dans les cantons circonvoisins. À ce titre, les gouverneurs mettent aussi tout en oeuvre pour bénéficier des mêmes droits que les Bourgeois internes de Neuchâtel dans leurs relations commerciales avec Berne. Aussi s’associent-ils aux requêtes adressées par les bourgeois externes de la Châtellenie de Thielle et ceux de la mairie de la Côte à Leurs Excellences de Berne pour leur demander de bénéficier des mêmes faveurs accordées aux bourgeois de Neuchâtel pour le commerce du vin (1742).

Quant à la vente du vin, elle est réservée prioritairement aux communiers du lieu, à savoir ceux qui étaient bourgeois internes ou externes de Neuchâtel. En 1784, un bourgeois de Valangin, Elie Robert((AEN, MCE, 5 juillet 1784 et suivants.)), établi à Hauterive, se voit interdire par la Seigneurie de vendre au détail du vin sans marque de vendage sous peine de contraventions. La Bourgeoisie de Valangin émet immédiatement des réclamations, considérant qu’une telle défense est contraire à ses franchises et coutumes, se référant à l’article premier des Articles généraux de 1707((« Que d’autant plus le commerce est libre et plus un Etat s’enrichit, qu’il y ait un commerce libre pour ceux de Valangin au dehors de l’Etat, pour toutes sortes de denrées, sans qu’à cet égard il ne se fasse de nouveautés, soit pour le vin étranger, soit pour d’autres denrées que l’on achète et que l’on vend, conformément à leurs franchises et usances. »)). Le 5 juillet 1784, le Conseil d’Etat lui répond qu’elle donne à cet article une interprétation contraire à la pratique de cet Etat. Les bourgeois de Valangin n’ont le droit d’aucune façon d’exercer le commerce du vin en détail en vendant à pot et à pinte dans les districts des communautés, dont ils ne sont pas membres à moins qu’ils n’obtiennent la permission de la Seigneurie. En conséquence, le Conseil ne peut pas lever l’interdiction faite à l’égard d’Elie Robert. Ceci témoigne encore une fois du protectionnisme en usage dans le domaine du vin.

Vers les encavages modernes

Avec le XIXe siècle, le travail de la vigne devient financièrement moins intéressant. Par trois fois, les vignerons voient s’abattre sur leurs épaules des fléaux jusque-là inconnus. Oïdium, mildiou puis phylloxéra bouleversent les modes de cultures et surtout augmentent fortement les coûts de culture, tant par les traitements qu’ils nécessitent que par les reconstitutions exigées. Ainsi, peu à peu, nombreux sont ceux qui abandonnent la culture, qui vendent leurs parchets au profit souvent de quelques-uns qui se lancent alors de manière professionnelle dans l’aventure de la vigne. Citons à titre d’exemple la famille Peters((Jusqu’au 18e siècle, le nom s’écrivait sans un « s » final. Voir à ce propos Hauterive, Editions Gilles Attinger, 1991, Dr Olivier Clottu, Les familles principales anciennes d’Hauterive, p. 100.)) qui vend tous ses biens en 1888 et qui part s’installer à Bordeaux((Idem note 34)). Parallèlement, l’essor démographique induit une diminution des surfaces de culture.
Du début du 19e siècle à nos jours, le vignoble altaripien a vu sa superficie diminuer de plus de 7073 ares à 1522 ares, soit globalement une perte d’environ 70%. C’est évidemment l’essor du patrimoine bâti et du réseau routier qui est la principale cause de cette diminution. À titre d’exemple, lors de la construction de la première route cantonale, les vignes expropriées étaient payées Fr. 470 l’ouvrier((Série F 2. 2 -9 problèmes liés à la construction de la route cantonale, qui nécessite des expropriations de vignes (prix admis Fr 470 l’ouvrier de vigne) 1854/1855.)). Il est intéressant de relever, comme le graphique ci-dessous le démontre que la diminution devient significative dès 1890 suite à l’apparition du phylloxéra qui fit que de nombreux parchets ne furent pas reconstitués. En revanche, le développement d’encavages dans les années trente eut comme conséquence une augmentation durant une bonne décennie des surfaces encépagées. Par la suite, l’essor des constructions au détriment des parchets induisit de nouveaux arrachages stabilisés par la loi sur la viticulture de 1976.


De manière plus particulière, le rôle((ACH à Hauterive. Sans cote. Rôle des propriétaires de vignes. Cadastre d’Hauterive)) des propriétaires de vignes sises sur le territoire d’Hauterive, établi au moment de la constitution de l’assurance mutuelle contre le phylloxéra, qui recense 175 propriétaires de vignes entre 1890 et 1910 environ, permet de se faire une idée de l’importance des propriétés.

En pourcentage, cela montre que 46% des propriétaires possèdent moins de 1500 m2 et qu’à l’inverse 7% se partagent des vignobles de plus d’un hectare. Parmi ces derniers, on relève les noms de familles traditionnelles d’Hauterive telles les Clottu, qui possèdent entre tous plus de 13 hectares, les Heinzely (1.8 ha), les l’Ecuyer (1.6 ha), les Peters (2.6 ha), les Rossel (1.4 ha) mais aussi ceux de familles bourgeoises de Neuchâtel telles les Dupasquier (environ 1 ha), les Faure (1.8 ha), les Rougemont (3 ha), auxquelles s’ajoute les Perrier de Saint-Blaise (2.6 ha). On constate aussi que quelques sociétés se portent acquéreurs de vignes. Citons à titre d’exemple la Société technique et la Société de construction mais surtout la Société des carrières d’Hauterive pour laquelle le banquier Charles Zumbach de Saint-Blaise se porte acquéreur au début du 20e siècle de plus de 3,4 hectares de vignes.

Il découle de cela que la grande majorité des propriétaires n’ont en fait qu’une ou trois parcelles.