Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

La Compagnie des Vignerons de la Ville de Neuchâtel

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De ses Constitutions et de ses Opérations

Cette compagnie n’est pas ancienne. Sa première fondation est de l’an 1687. Jusques alors, la Ville de Neuchâtel n’étant pas aussi considérable ni autant éclairée qu’elle l’est devenue depuis, la plupart des Bourgeois cultivoient eux mêmes leurs vignes, ou les faisoient cultiver par des domestiques & des ouvriers qu’ils prenoient dans leurs maisons & à leur table dans la saison des travaux. Mais à la date que nous avons raportee, plusieurs ayant reconnu qu’ils pouvoient s’occuper eux-mêmes plus utilement à autres choses, & aussi que cette manière de tenir & de cultiver les vignes par des domestiques ou par des ouvriers souvent sans expérience, qui changeoient tous les ans & quelquefois à chaque saison, étoit sujette à bien des inconvéniens & beaucoup moins avantageuse que celle d’avoir des vignerons de profession, sur qui l’on se décharge de tout le travail, moyennant ou une portion qu’on lui laisse parvenir du produit des mêmes vignes, ou un tant en argent qu’on leur paye par arpent pour les ouvrages ordinaires; tout ce qu’il y avoit dans la Ville de gens d’un certain rang prirent ce dernier parti. Mais pour n’être pas dupper par les vignerons, qui pourroient être ou peu entendus, ou de mauvaise foi, une partie d’entre eux s’associèrent dans le dessein de faire établir une maitrise, qui par des experts, put instruire & former les vignerons, leur donner la loi sur le tems & la manière de faire les ouvrages, veiller chez eux & juger leur travail, comme les autres maîtrises jugent ce qui est de leur ressort. Dans cette vuë, ces particuliers s’adressèrent à la Seigneurie par le canal de MM les Quatre Ministraux, pour lui demander son consentement & son autorisation qu’Elle leur accorda. (…) MM les Quatre Ministraux à qui la Police de la Ville appartient, y donnèrent aussi les mains; et comme cette nouvelle société avoit besoin de fonds pour les dépenses qu’elle auroit à soutenir, ils lui firent un commencement, en lui faisant présent en lettres de rentes de la somme de huit cents francs.

En vertu de cette concession, la Compagnie se forma, en se choisissant un Chef ou Avoyer, un Maitre pour la recette de ses deniers, un secrétaire & un sergent. Chaque membre, à son entrée, contribua un Ecu blanc, et le produit de ces entrées, joint à l’obligation dont MM les Quatre Ministraux avoient fait présent, étoit tout le fond que cette Compagnie avoit dans ses commencements. Aussi n’employa telle d’abord que peu d’experts (Elle en établit tout d’abord six comme cela était prescrit dans l’acte de fondation et chacun d’eux avait trois écus blancs de gage). Dans sa suite, s’étant fortifiée, elle en eut un plus grand nombre & les paya mieux. Chaque membres de la Compagnie étoit obligé à tour de rolle de faire la maitrise, ou la recouvre des deniers: mais par la suite ceux qui vouloient être dispensés payoient deux écus blancs; ce qui fut une source d’autant-plus considérable de revenu, qu’après que le tour étoit fait, un et plusieurs s’en dispensoient par générosité: il fallait recommencer par la tête, ce que l’on a vu arriver plus d’une fois.

Nonobstant ce moyen, la Compagnie se trouvoit encore pauvre & hors d’état d’avoir de bons visiteurs suffisamment à son gré, lorsqu’en 1735 – ayant à sa tête pour avoyer la même personne, M. de Merveilleux, Conseiller d’État et maire de Bevaix, qui l’étoit aussi de la Compagnie des Tonneliers, autre confrérie qui depuis long terme ne servoit à plus rien & dont les recettes, assez considérables, n’étoient employées qu’à des repas inutiles, les membres des deux compagnies, étant d’ailleurs aussi à peu prés les mêmes, ces deux corps résolurent de s’unir & le firent en effet, toujours sous l’approbation de la Seigneurie; ce qui mit la Compagnie dans un état florissant. (…)

Des Officiers de la Compagnie

Les Officiers de la Compagnie sont un Président ou Advoyer, un Maistre, un Procureur, un Secrétaire & un Sergent.

Elle a à sa tête un Advoyer, qui est à son choix & tantôt un Conseiller d’Etat, tantôt un Conseiller de la Ville. C’est à lui que doivent s’adresser ceux qui ont quelque proposition ou quelque demande à faire à la Compagnie. C’est lui qui indique les Assemblées, qui y préside & qui y expose ce sur quoi elle a à consulter & à délibérer. Cette charge est purement honorable & sans gages, et suivant l’ancienne pratique, ne devoit être que biennale. Cependant Mr de Merveilleux, qui l’exerce aujourd’hui est demeuré en place depuis lors; la Compagnie s’étant si bien trouvée sous sa direction, qu’elle l’a engagé à la lui continuer jusqu’ici, nonobstant qu’il ait demandé son congé plusieurs fois.

Ce lui qu’on appelle le Maitre de la Compagnie n’en est proprement que le Receveur: et sa fonction est plutôt une corvée, qu’une Commission recherchable. Il est assis dans les Assemblées, à côté du Président & c’est lui qui cueille les suffrages. I1 n’est en charge que pour un an, au bout duquel il faut qu’il rende compte des deniers de sa Recette & en remette le solde à la Caisse, afin que l’argent se trouve toujours quand on en a besoin. On lui donne un successeur d’entre les membres de la Compagnie pris à tour de rolle. La Compagnie a pourtant soin, lorsqu’elle a des sujets à choisir, de piquer d’abord ceux dont elle croit qu’ils aimeront mieux payer le prix de l’exemption, qui est aujourd’hui d’une pistole, ou de dix francs, que de fonctionner.

Le Procureur doit être particulièrement au fait de tout ce qui a rapport à la Compagnie & qui peut servir à son but, pour l’en aviser. I1 est spécialement chargé de veiller à ses intérêts & à la conservation de ses capitaux, lesquels entre les mains des maitres, qui changent toutes les années, pourroient facilement dépérir. I1 avoit surtout été établi d’abord pour être principal visiteur & Directeur des autres, tant pour indiquer le tems des visites générales & les conduire, que pour les convoquer dans les tems extraordinaires & qui demandent consultation. Ses gages sont de nonante un francs.

Le Sergent ou huissier est aux ordres de l’advoyer, du Procureur & du maitre, pour citer la Compagnie & les Visiteurs & faire les recouvres généralement tout ce qui lui est commandé pour son service. Quand il fonctionne, il porte un manteau verd. Autrefois il étoit visiteur né: mais comme telle personne convient aux vues de la Compagnie pour les Visites, qui ne voudroit pas s’abaisser aux fonctions de sergent, le Sergent n’est plus aujourd’hui avec les visiteurs que comme servant, pour les citer & les accompagner dans leurs corvées. I1 a cependant des gages assez honnêtes, retirant annuellement en qualité de simple sergent, huit francs, et comme servant des visiteurs, douze francs, outre quoi, il a pour lui le tiers des châtois qu’on impose aux vignerons au profit de la Compagnie et dont il sera parlé plus bas.

On peut aussi mettre au nombre des Officiers de la Compagnie, ses Experts, que l’on nomme autrement visiteurs, puisque ce sont ses principaux agens, qu’ils en sont pour ainsi dire l’âme, & que c’est en vuë de leur établissement qu’elle s’est formée. Nous parlerons ci après en détail de leur Commission. Ils sont au nombre de six, le Procureur compris comme visiteur né. Les autres sont élus chaque année à la pluralité des suffrages dans la première Assemblée de la Compagnie, et ils restent en charge jusqu’à ce qu’on leur ait subrogé d’autres l’année suivante, supposé qu’on ne trouve pas à propos de les continuer. On choisit, autant qu’on le peut, pour cet Office, de bons Bourgeois, qui, à une connaissance exacte de ce qui est essentiel à une bonne culture, joignent une certaine autorité qui les fasse respecter, & qui aussi possèdent eux- mêmes une certaine quantité de vignes, qui leur fasse prendre intérêt au maintien de l’ordre. Leurs gages sont de six écus blancs pour chacun.

Des membres de la Compagnie

Tout bourgeois, honnête homme, en vertu de la Concession, qui demande à y entrer, y est reçu, moyennant certaine contribution & à la condition qu’il se soumettra à ses statuts. Cependant comme la Compagnie n’a pour objet & pour sujet de ses assemblées & de ses dépenses que ce qui sert à la Culture des Vignes, on ne voit guère dans ce Corps que des gens qui en possèdent une certaine quantité. Mais aussi, il y a peu de personnes de cet ordre qui ne s’y fassent agréger; en sorte que c’est sans contredit la plus considérable Confrérie de la Ville, tant par le nombre que par la qualité des personnes qui la composent.

La Compagnie, en recevant une personne dans son corps, s’engage à faire prendre soin de ses vignes, en quelle quantité qu’elles soient dans l’étendue de son district, à les faire visiter de tems en tems, à lui faire faire un rapport des défauts qui y seront trouvés quant à la culture & à lui adjuger les dédommagements compétents sans aucun frais, si ce n’est dans le cas de visites particulières, pour lesquelles, encore à cet égard, il est traité très favorablement. Chaque membre a d’ailleurs voix délibérative dans les assemblées, et lorsque la Compagnie fait le partage de quelques excédents de ses revenus sur les dépenses nécessaires, il en tire son contingent ou, si elle fait un repas, il a droit d’en être.

L’achat, ou l’entrée dans la Compagnie pour ceux dont les pères n’en sont pas ou n’en étoient point membres, coûte aujourd’hui quatorze francs (1735), et si celui qui entre est un nouveau bourgeois, il faut qu’il paye de plus ce qu’on apelle le florin d’or, dont la valeur a été déterminée à huitante deux batz.

Les fils de ceux qui sont ou ont été membres de la Compagnie y ont le droit qu’on apelle de Reprise, c’est à dire qu’ils peuvent s’y faire recevoir, en ne payant pour leur entrée que la moitié du prix d’achat qui est sept francs.

On reçoit aussi pour l’inspection de la compagnie les vignes des veuves et des filles Bourgeoises pour autant de tems qu’elles restent telles, – moyennant quatre francs qu’elles payent une fois pour toutes: mais elles ne bénéficient que des visites.

Quand un membre de la Compagnie vient à mourir, son droit pour la visite des vignes passe à sa veuve, laquelle en jouït pendant tout son veuvage. Mais si elle se remarie,

elle perd les droits qu’elle tenoit de son précèdent marry. Le droit passe aussi aux enfants orphelins.

Les étrangers ne sont point reçus dans la Compagnie comme membres. Si cependant ils veulent mettre leurs vignes sous l’inspection & jouir des visites de la Compagnie, elle s’en charge moyennant un sol pour chaque homme par annee & à condition que le Propriétaire s’établisse en ville un domicile & gens pour y répondre en son nom sur les relations & les demandes qu’on pourroit avoir à lui faire.

Des Sujets de la Compagnie

Tout vigneron quel qu’il soit, Bourgeois ou Étranger, qui cultive des vignes autres que les siennes propres dans l’étendue de la Mairie de la Ville, est sujet de la Compagnie, soit que son maître en soit membre, soit qu’il ne le soit pas.

Cette sujétion ou dépendance consiste premièrement, en ce que la Compagnie est le seul juge établi par l’autorité publique de toutes les difficultés qui peuvent survenir au sujet de la culture entre les maitres & les vignerons; et deuxièmement, en ce que ce raport à certain ordre général au sujet des tems & des heures auxquelles il ne convient point de travailler les vignes, chacun est obligé de se conformer aux ordres & à la décision de la Compagnie, soit de ses agens, à défaut de quoi les contrevenants peuvent être gages & mis à l’amende; et en cas de récidive & d’obstination, ils sont dénoncés à Messieurs les Quatre Ministraux, lesquels procèdent contre eux selon leur pouvoir. La raison en est que si les vignerons de ceux qui ne sont pas membres de la Compagnie osoient & pouvoient impunément, sous prétexte que leurs maîtres les autorisent, travailler dans les tems defendus, il seroit impossible à la Compagnie de contenir les autres; et les Visiteurs se morfondroient inutilement, en courant de côté & d’autre, dans l’incertitude si ceux qu’ils verroient de loin travailler, sont dépendant de la Compagnie ou non.

C’est afin que les vignerons ne puissent pas ignorer cette dépendance que, dés qu’il s’en trouve en Ville un nombre un peu considérable de nouveaux venus, qui pourroient ignorer ou ne vouloir pas reconnaitre ce qui en est, la Compagnie les fait tous appeler & leur fait prêter ou réitérer un serment, dont on leur remet une copie imprimée.

Tous les Vignerons des membres de la Compagnie en sont sujets d’une manière particulière, en tant qu’ils sont responsables du détail je leurs ouvrages, dont elle fait prendre connaissance par se visiteurs aux décisions desquels ils sont censés s’être soumis tacitement, quand ils ne l’auroient pas fait expressément, lors de la mise qui leur a été faite des vignes qu’ils cultivent.

Du pouvoir de la Compagnie

Le pouvoir de la Compagnie résulte de la Concession du Souverain, – des engagements de ses membres & de ses sujets & enfin de l’usage.

Par la Concession du Souverain, elle est devenue juge pertinent & compétent devant lequel doivent être portés tous les différents qui pourroient survenir au sujet de la culture des vignes; et ce qu’elle a décidé à cet égard est souverain & sans appel. Mais de plus, par l’engagement que prennent ses membres en y entrant, elle peut leur

prescrire & aux leurs telles loix qu’elle juge convenable pour leur avantage commun. Elle a enfin pour elle des usages, que l’insigne utilité dont on a reconnu qu’elle étoit au Public, & la qualité des personnes qui la composent, font respecter comme des titres.

Mais premièrement, son autorité ne s’étend qu’à ce qui est de la culture; car dés que ce dont il s’agit intéresse un peu la propriété, le Juge de Police le revendique, comme étant de son ressort. C’est ainsi que la Compagnie des Vignerons ayant jugé qu’il conviendroit, pour l’ordre & la distinction des vignes, qu’il y eut deux pieds de vuide entre deux, c’est à dire un pied de distance de chaque coté entre le pied des seps & la ligne des bornes, il fallut un arrêt du Conseil pour donner ce jugement force de loi, & que même le Conseil s’est réservé de prononcer sur les contestations que l’exécution pourroit occasionner.

Deuxièmement, le Pouvoir de la Compagnie n’est que judiciaire, et pour faire exécuter ses arrêts & ses ordres, en cas de r-entende, il faut qu’elle ait recours au magistrat, en qui réside le pouvoir coercitif. Et enfin, il faut dire que l’autorité de la Compagnie ne s’étend pas jusqu’aujourd’hui plus loin que les bornes de la Mairie, ou ce qu’on apelle la Brévarderie de la Ville.

Sous ces explications, la Compagnie est en possession de déterminer les tems auxquels il convient ou ne convient pas de travailler à certaines ouvrages, de faire faire visite du vignoble, de juger des ouvrages, d’imposer des amendes assez considérables, même à son profit, d’adjuger aux propriétaires des dédommagements proportionnels au tort qui leur arrive.

Des Assemblées de la Compagnie, de ses opérations & surtout des visites du Vignoble

Le tems des Assemblées de la Compagnie n’est point fixe ni réglé, non plus que leur nombre; elles varient suivant que les affaires le demandent. I1 est cependant de pratique qu’il s’en tienne une dés que l’on commence à tailler la vigne, parce que c’est alors qu’on doit établir les visites: et il doit aussi s’en tenir une après chaque visite générale pour entendre la lecture de la relation & décider les difficultés auxquelles elle peut être sujette: hors de ces cas, la Compagnie ne s’assemble que lorsque les parties en conteste le demandent, ou lorsqu’il s’agit de délibérer sur les finances, pour lesquelles même, à moins qu’il ne s’agisse de plus de mille francs, elle s’en raporte à un Comité.

On ne sauroıt mieux ranger & exprimer ce que la Compagnie fait pour les vignes, qu’en suivant l’ordre des tems et des ouvrages.

L’Assemblée pour l’élection des visiteurs étant formée, on invite ceux des membres qui peuvent être en l’état de la servir en cette qualité, à se montrer & à donner place, pour qu’on puisse choisir en liberté. Le choix fait, comme on l’a dit devant, on lit aux élus l’office des visiteurs. Le Président leur fait ensuite faire, en touchant sur la main, la promesse de s’acquitter de leur devoir de bonne foi.

Les fonctions de visiteurs sont de deux sortes. Les unes regardent tout le vignoble de la Ville, & les autres, les vignes des membres de la Compagnie en particulier. Les premières consistent à veiller à ce que personne ne travaille qu’en tems propre &

convenable, et les dernières à faire en différents tems la visite des ouvrages les plus importants.

C’est en vue de pouvoir remplir les fonctions générales, que les visiteurs, du jour où ils ont été établis, se partagent entre eux, soit par le sort, soit de gré à gré, les divers quartiers du Vignoble, afin que chacun sache sur quel quartier il doit particulièrement avoir inspection: ce qui n’empêche pas que, lorsqu’ils se trouvent dans le département les uns des autres, ils ne doivent, lorsqu’ils en ont l’occasion, parler et agir comme ils feroient dans leur propre département.

Pour dire quelque chose de l’objet de cette inspection générale, elle commence au tems du premier labour; car pour ce qui est de la taille, on permet à chacun de tailler quand il veut, parce qu’à cet égard, il n’y a de péril que dans le trop grand retard. C’étoit autrefois la Compagnie même en corps qui limitoit le tems auquel il devoit être permis de commencer le labour. Mais des contretems survenus depuis la délibération, en ayant souvent fait sentir l’inutilité, elle est depuis plusieurs années dans l’usage de s’en raporter entièrement à ses visiteurs. Ce à quoi ceux ci regardent, est que les grands froids soient passés, que la saison soit assez avancée pour qu’on ait plus, suivant les apparences, de fortes gelées à craindre, & principalement que les terres soient sèches. S’il survient des nuits froides, accompagnées de frimas, on fait suspendre le travail jusqu’à que ces frimas soient dissipés. On en use de même pour les pluyes & la neige. On souhaiteroit fort, lorsqu’on commence le labour à tems, de pou voir obtenir des vignerons qu’ils ne commençassent à travailler que lorsque le soleil seroit déjà un peu haut & qu’ils cessassent dés que le froid revient vers le soir. Mais le nombre d’ouvriers étrangers qu’ils ont alors sur les bras, ne permet guères cette exactitude. Quant aux autres labours, qui se donnent dans les tems de la chaleur & à la provignaison, il suffit pour l’ordre général que l’on ne s’y mette que lorsque la terre est sèche, et tout au moins fleurie, comme on parle, c’est à dire, blanche dans sa superficie.

Mais c’est surtout dans la saison de la feuille, qui se prend depuis la sortie du bourgeon hors de sa bourre, jusqu’à ce que le verjus est formé, qu’il est requis que les visiteurs soient au guet & en campagne, pour qu’on ne travaille pas que la rosée & la pluye ne soient dissipées, la rosée surtout étant extrêmement dangereuse.

Les vignerons ne doivent point non plus passer à l’ébourgeonnement & à la Relèvaison avant que la permission en ait été donnée par les visiteurs. On fait que quelquefois, les fillettes, qui donnent les raisins les plus surs, sortent tard, & que les bourgeons qu’on lie trop tard & avant que le raisin soit en fleur sont sujets les uns à se détacher du vieux bois, les autres à se rompre & à se noircir sous la ligature, et tous à recouvrir la vigne excessivement. Enfin, lorsqu’on est soit à l’un soit à l’autre de ces derniers ouvrages, s’il survient des vents froids, – surtout de ceux du Nord, on doit les discontinuer.

Ce sont là des règles que l’on suppose connues de tous les vignerons. Ainsi ceux qui y contreviennent, étant trouvés par les visiteurs, sont tous, sans exception, mis de droit à l’amende, laquelle est assez à la discrétion du visiteur, mais ne doit pas néanmoins excéder deux batz par personne; et ces amendes que les visiteurs exigent dans leur inspection générale sont pour eux-mêmes.

Par l’établissement de cette inspection générale, tous les Propriétaires de vignes profitent également de l’érection de la Compagnie & de la vigilance de ses Visiteurs. Ce qui fait l’avantage particulier des Membres de la Compagnie sont les visites qu’on fait dans leurs vignes pour en examiner les ouvrages. I1 s’en fait quatre: la première après la taille; la deuxième, après le premier labour; la troisième, pour les provins; et la quatrième, après que les vignes sont fermées.

Ces visites se font le même jour par tous les visiteurs ensembles lesquels s’étendent pour cela de front, sur la hauteur, ou en travers de chaque vignoble, formant comme un râteau & marchant d’un pas égal, à peu de distance les uns des autres, afin que rien ne leur échappe & qu’ils soient à portée de se communiquer ce qu’ils remarquent. Ils employent généralement deux journées chacune de ces visites. – Quand elle est finie, ils se rassemblent pour joindre les remarques que chacun a faites en son particulier & ils dressent une relation qu’ils signent tous.

Ces relations expriment les défauts particuliers qu’ils ont reconnus dans chaque vigne. Si ces défauts ne viennent que d’un manque de connaissance & de jugement dans le vigneron, on se contente de le noter, pour que le maitre & le vigneron en soient avertis & que ce dernier ait à se corriger. Mais si les défauts reconnus viennent de paresse ou de mauvaise foi & en général d’un manque de volonté, on attache à la note l’imposition d’une amende plus ou moins forte au profit de la Compagnie; et si le défaut est d’un préjudice notable au propriétaire, on lui adjuge un dédommagement proportionnel, lequel il lui est après cela libre d’exiger ou non. Mais quant à l’amende qui est au profit de la Compagnie, comme les Vignerons faisaient souvent les rétifs lorsqu’il s’agissoit de la payer, outre que quelquefois on ne connoit pas les vignerons ou qu’ils ne résıdent pas en Ville, il a été dit que ce seroit le maitre qui en feroit l’avance sauf son recours sur son vigneron; et on fait tellement forme sur cet article, qu’en cas de refus de la part du maitre, on discontinue de visiter ses vignes jusqu’à ce qu’il ait satisfait.

Pour obvier aux difficultés que pourroit souffrir l’exécution des relations, soit pour raison de méprise d’une attribution d’une vigne à certain particulier, à qui elle n’apartiendroit pas, soit pour défaut prétendu de justice dans le jugement du visiteur: dés que la relation a été dressée & communiquée à l’Avoyer, celui ci indique une Assemblée où elle doit être lue & à laquelle on cite particulièrement les membres qui y sont intéressés. On communique à ceux ci par avance les articles qui les concernent, afin qu’ils en avisent leurs vignerons & que, s’ils ont quelque chose à opposer, ils puissent le faire dans l’Assemblée, car après l’Assemblée, ils n’y sont plus reçus. L’Assemblée juge du mérite des oppositions. Si les vignerons demandent des révisions, on les leur accorde en nommant un plus grand nombre de visiteurs pour examiner ce dont il s’agit; mais il faut que le vigneron fasse l’avance des frais de la révision, avant que les visiteurs s’assemblent.

Revenons aux visites, on ne sera peut être pas fâché que nous ajoutions ici quelque chose sur ce qui en est l’objet, & à quoi on fait particulièrement attention dans chacune.

Ce à quoi on regarde dans la visite de la taille, est que les seps soient bien nettoyées de tout ce qu’on apelle faux bois, de même que des ergots, de façon pourtant que les moëlles se soient pas trop découvertes, que les cornes qui doivent produire de nouveaux jets, soient en nombre & de longueur raisonnable, & proportionnés à la force, à l’âge, à l’espèce du sep & aussi à la qualité du terroir; que les cornes ne soient point les unes sur les autres, mais écartées, s’il se peut, à égale distance; que la première division des jeunes seps ne soit ni trop haute ni trop basse, mais communément à six pouces de terre; que les provins de l’année précédente soient bien déchaussés & charges raisonnablement; et enfin, que les seps qu’on destine à être provignés conviennent bien à cette destination & y soient propres & nécessaires.

Il peut se commettre dans la taille bien des défauts capitaux qu’il n’est pas possible de reconnaitre & qui sont irréparables quand l’ouvrage est fait, et cela tant par raport aux jets qu’il conviendroit de laisser ou de retrancher & à la tournure du sep, que en particulier & surtout par raport aux pieds qu’il conviendroit de réserver pour les provignures, le vigneron consultant souvent plus à cet égard la facilité de l’ouvrage que l’intérêt de son maitre. C’est pourquoi les visiteurs qui ont à coeur l’objet de leur commission, n’attendent pas que le mal soit fait, mais vont de tems à autre pendant la taille voir les vignerons à leurs ouvrages pour leur faire connaitre à tems en quoi ils pêchent.

Les conditions requises dans un bon labour sont qu’il soit profond, que la terre ait été bien soulevée, remuée & renversée par tout, principalement autour des pieds des ceps ce qu’on sent assez en marchant sur les terres; que tous les pieds aient bien redressés & surtout ceux des provins & jeunes ceps, qui étant sujets à être déranges par le mouvement des terres doivent être soigneusement reconduits à leurs échallats; et enfin qu’il ne paroisse sur la terre aucune herbe qui n’ait été bien déracinée, renversée & secouée, en sorte qu’elle ne puisse pas reprendre vie.

Dans la visite des provins, on examine si les fosses sont assez profondes, pour que, par la suite, on puisse labourer sans atteindre les racines mères; si le corps ~ pop couche, ou les provins mêmes, ne sont point coupés ou rompus; si on n’a point endommagé les seps voisins, soit en les couvrant de terre, soit en coupant les mères; si on a levé assez de provins, si on n’en a point trop levé; s’ils sont placés à une juste distance tant entre eux, qu’entre les seps voisins; s’ils sont assez coudés; s’ils ne sorte pas trop de terre; s’ils sont convenablement assujettis à leurs échalats; et enfin si le fumier que le maitre a fourni a été convenablement réparti entre les fosses. Il n’y a point de règles précises sur les divers sujets de ces questions: c’est le discernement & la prudence du visiteur qui en décide.

Depuis la provignaison jusqu’à la relevaison, que le tersage suit immédiatement, les bourgeons sont si tendres d’abord & par la suite si entrelacés, qu’il ne seroit pas possible de parcourir les vignes de nouveau pour les visiter, sans y faire trop de dégâts. I1 n’arrive cependant que trop souvent que les vignerons, soit à cause des mauvais tems, soit parce qu’ils sont surcharges d’ouvrages négligent de donner aux terres un second labour qui doit suivre la provignaison & qui est nécessaire pour détruire les levées d’herbe qui étoufferaient les raisins à la fleur. C’est le premier objet d’attention des visiteurs dans la quatrième visite, & ils jugent que la vigne a manqué de ce second labour, ou binage, quand les herbes que le premier labour ou terrage doit avoir renversées, sont d’une longueur à laquelle elles n’auroient pas pu parvenir dans l’intervalle du binage au tersage. Dans l’ébourgeonnement, le vigneron peut, en y travaillant trop à la hâte & in considérablement, arracher bien des bons bourgeons, qui par la suite ne sont plus reconnaissables. Tout ce qu’on peut juger dans la visite à cet égard, est si les seps ont été ébourgeonnés suffisamment ou non. Les fautes où

les vignerons tombent dans la relevaison sont de ne pas lier assez soigneusement tous les petits bois, de ne pas assez dégagé les feuilles de dessous la ligature, de ne pas la réitérer, ou de ne pas faire assez de ligatures à différentes hauteurs, de pincer ou de brouter trop ou trop peu les sommités. Enfin par le tersage, le vigneron doit avoir purgé la vigne d’herbes, sans n’avoir laissé aucune place où la houe, soit le bident, n’ait passé. Et s’il y a des raisins qui soient sur terre, ou prés d’y descendre en grossissant, il doit avoir fait au dessous des creux ou chambrettes, afin que le raisin ne pourrisse point. Voilà quels sont les objets de la quatrième & dernière visite.

Voilà aussi à quoi se terminent les opérations de la Compagnie qui n’a d’ailleurs point d’autre règlement par écrit, se raportant assez absolument à l’intelligence & à la bonne foi de ses visiteurs. Elle pourroit faire diverses autres choses qui contribueroient à son but & lui en faciliteroient l’obtention, comme seroit la quantité de vignes que chaque vigneron peut cultiver & de faire déclarer chaque vigneron à l’entrée de la campagne combien il en a entrepris afin de l’obliger à en remettre à d’autres, si l’on jugeoit qu’il s’en fut surchargé. Telle seroit encore l’établissement d’une marque publique, ou affiche, à laquelle les vignerons pussent s’assurer, dans la Ville même, de ce qui fait l’objet de l’inspection des visiteurs; de n’admettre aucun vigneron à cultiver des vignes, qui n’eut fait apprentissage & preuve de capacité; d’établir des prix annuels pour ceux des vignerons qu’on jugeroit avoir fait le mieux leur devoir, de distribuer une partie du revenu de la Compagnie en charité aux familles de vignerons nécessiteux, & autres semblables. On a déjà tenté une partie de ces moyens: peut être en viendra-t-on un jour à bout. En attendant, on peut dire que la Compagnie telle qu’elle est, n’a pas laissé de faire déjà un bien très notable au vignoble de la Ville: à telles enseignes qu’au lieu que ci devant on ne savoit ce que c’étoit de voir les vignes de la Ville produire autant que celles des villages voisins, il arrive aujourd’hui souvent que les premières l’emportent en quantité comme en qualité sur les dernières, & que ces villages voisins, jaloux & sentant la raison de ce changement, se disposent à imiter chez eux cet utile établissement. Mais pour cela, il faut du tems & des forces.