Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

La mode d’autrefois avant les vendanges

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Avec le mois d’août le vigneron laissait sa vigne au repos. Ceux qui cultivaient à la tâche ou étaient des moitressiers devaient même rendre les clés des parchets à leurs propriétaires. La saison des travaux de la vigne était donc close et seul Dieu, le soleil et le brouillard s’activaient pour que les raisins atteignent leur pleine maturité. À l’exception des propriétaires ou d’ayant- droits munis d’autorisations écrites, personne n’entrait dans les vignes dont les brévards assuraient la surveillance.

Toutefois, il fallait se préparer à la vendange. Présentement, nous ne nous attarderons pas sur les travaux de cave nécessaire comme les réfections des tonneaux et des cuves, ni sur les préparatifs de remise en état des pressoirs qu’il fallait laver avec soin avant de les remonter et de vérifier que vis et écrous soient utilisables. Nous ne parlerons point des étalonnages des gerles par les mesureurs jurés ni des divers travaux de boissellerie nécessités par la remise en état du matériel vinaire et de vendange.

Nous n’aborderons pas plus les mises aux enchères des dîmes et des vendanges de communautés.

Pratique usitée

Nous nous attacherons seulement à une pratique fort usitée qui nous est révélée par les minutaires des notaires: les «vendition de rosée de vin».

Citons pour présenter ce sujet deux exemples tirés des minutaires de David Borel, qui a été notaire entre 1673 et 1710.

«Abram ffeu le Sieur Abram Favre juré de Boudry, passé vendition à honn. Isaac ffeu Simeon Favre dud. Iieu, de sa part et portion de la rosée que par la bénédiction de Dieu croîtra sur un morcel de vigne gisant à es Lièvre vignoble dudit Boudry contenant environ 12 hommes, plus sa part d’un autre morcel de vigne gisant à Brassin vignoble dudit lieu que led. Abram Favre cultive et tient de la Seigneurie, qu’est pour dédommager led. Isaac Favre de la somme de 20 écus petits qu’il a payé au Sr. Jacques Lebet, ancien d’Eglise de Buzé, à la décharge dud. Abram Favre, laquelle rosée il ne pourra vendre distraire n’y plus outre engager sans le consentiment dud. Isaac Favre (…) :» 29 mai 1695.

En 1678

«Convention entre Monsieur Henry Chambrier et Madame Pury de la Croix Blanche pour de la vendange.

Noble Henry Chambrier donne 20 muids de vin à la vente de la Seigneurie de la présente année 1678 à Madame Pury de la Croix Blanche aux conditions et réserves suivantes. Premièrement luy en fournira 14 muids à prendre toute la vendange qu’il y aura à sa vigne de Monru et le reste à sa vigne du Sablon, et pour les autres six muids se prendront à la Coste. Et ne sera obligé de luy fournir cave, pressoir ny tonneau, mais sera obligé de luy faire charrier vendange chez elle. Et lad. veuve Pury s’oblige de payer la somme à quoy se montera led vin en deux termes, le premier aussitôt la vente faite et le dernier aux bordès prochaines. Et à deffaut de payement elle s’oblige ses biens suivant coustume, au choix dud Sr. Chambrier» 19 août 1671.

Deux formules

Ces deux exemples de vente de vendange sur pied illustrent les deux types les plus fréquents de ce genre d’acte. A savoir qu’un vigneron cède pour une année la récolte de ses parchets pour honorer une dette ou qu’un grand propriétaire vende directement sa vendange à raison de cinq gerles pour un muid de vin à un particulier qui se charge du pressurage, de l’entonnage et de l’élevage des vins.

La coutume préconise aussi que le prix du vin doit correspondre à celui fixé par la Vente de la Seigneurie, soit-celui qui détermine officiellement toutes les transactions vigneronnes en cours pendant une année. Comme le vendeur n’a pas de frais d’encavage, il n’exige pas d’outre-vente, soit une plus-value par rapport au prix officiel comme c’est normalement le cas pour les transactions qui portent sur les ventes de tonneaux de vin.

Risques partagés

Toutefois, il existe de fort nombreux exemples où les deux parties fixent un prix de vente bien avant que soit connu celui de la Vente de la Seigneurie qui est généralement établi dans le courant de décembre par les autorités. Celui-là découle alors des prévisions faites sur la récolte à venir et d’une estimation globale de la qualité et de la quantité du raisin à cueillir. Comme des risques de grêles ou d’autre calamités subsistent jusqu’à la vendange, les deux parties acceptent de se conformer aux pratiques en usage lors des mises aux enchères des différentes dîmes de vin du pays. Par exemple: «Est icy positivement réservé qu’en cas d’orvale, les parties se conformerons aux conditions que la Seigneurie réserve dans la monte de ses dîmes.» (3 septembre 1696) (not. Abram Boyne, 1677-1699, min. 11, folio 53).

Les risques de perte de la récolte n’incombent ainsi point totalement à l’acheteur mais sont partagés entre les deux parties.

Précieuses archives

Cette pratique montre donc que bon nombre de vignerons vendent sur pied la vendange de leurs vignes. Peut-être n’ont-ils point la possibilité d’encaver leurs récoltes! Dans certains cas même, les acheteurs des récoltes s’engagent de faire vendanger à leur frais les parchets dont ils ont acheté les fruits.

Ainsi, au gré des minutaires de notaires déposés aux Archives de l’État de Neuchâtel, il est possible de découvrir ces anciennes pratiques qui, soulignons-le, perdurent.

MS A 63 Neuchâtel, Mémoires divers (Extrait du journal de M. Frédéric Chambrier élu banneret de Neuchâtel, le 7 juin 1741)

(f.120) concerne: la vente

Les députés de ces différents Corps (communautés du Vignoble) ayant été très bien accueillis sur l’Hôtel de Ville, on leur servit un déjeuner solide. Tout se passa dans la conférence avec beaucoup de confiance & de zèle pour le bien et l’intérêt commun. Il y fut résolu deux remontrances séparées, l’un concernant led ventes et l’autre les abris: les Bourgeois de Valangin se chargèrent de rédiger cette dernière & la première projetée par le banneret Chambrier était fondée sur ce que les ventes de la Seigneurie servent de boussoles aux Corporations & aux

particuliers pour leurs marchés de vendange à remettre, en sorte que si ces ventes étaient abolies, il en résulterait beaucoup d’embarras pour tous les sujets de Sa majesté dans le Vignoble, & les corps et communautés se verraient obligés de faire des ventes après les vendanges, ce qui aurait encore des inconvénients à l’égard des corporations qui auraient remis de la vendange puisqu’elles en fixeraient elles-mêmes le prix par des ventes particulières, ce qui ne pourraient convenir aux acheteurs et les éloigneraient; que ces ventes de Seigneurie font la sûreté des tuteurs et curateurs, lesquels ne peuvent mieux convenir pour leurs pupilles qu’en se dirigeant sur les ventes qui sont réglées elles-mêmes sur la valeur réelle et le prix marchand du vin de l’année, et que les acheteurs étrangers attendent avant de venir s’approvisionner… »

Il faut procéder à la Vente un mois après les vendanges et consulter les gens du vignoble.