Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Le vignoble neuchâtelois dans son étendue maximale: la seconde moitié du XVIIe siècle. une tentative d’analyse économique et sociale.

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S’étendant d’un seul tenant tout le long du Littoral, entre lac et montagne, de Vaumarcus au Landeron, planté entre 400 et 700 mètres d’altitude, le vignoble neuchâtelois est à son apogée vers 1660, recouvrant presque 1400 hectares de terre.((La première statistique imprimée donnant la superficie du vignoble neuchâtelois date de 1818. Alphonse de SANDOZ-ROLLIN, Essai statistique sur le canton de Neuchâtel, Zurich 1818, réimpression édition Slatkine, Genève 1978. Sandoz dénombre 36,728 ouvriers de 352m2 (p.144), soit 1292,8 hectares. Il faut imputer aux arrachages et déjà aux constructions la perte de nombreux parchets entre le XVIIe et le XIXe. A Neuchâtel, de nombreuse maisons du Faubourg de l’Hôpital ont été construites à la place de vignes.))

Jusqu’au début du XVIe siècle, il montrait encore une certaine discontinuité attestée par la toponymie et des textes.((Rémy SCHEURER, Robert FORRET, Jean-Pierre BAILLOD, Vins et vignoble neuchâtelois, Hauterive 1975, pages 8 et 9. Histoire du Pays de Neuchâtel, tome 1, Hauterive 1989, Rémy SCHEURER, p. 269 et suivantes)). Le développement des cultures céréalières dans les vallées et les montagnes autorisa que tous les coteaux propices à la vigne en soient plantés. La nature du sous-sol poussait les habitants du Pays à opter pour une telle culture de même que son attrait financier.

Les causes de cette croissance.

Il faut imputer l’extension du vignoble dans la première moitié du XVIIe siècle à divers facteurs. Si la demande des clients habituels tels les Soleurois, les Bernois, les cabaretiers de l’Évêché de Bâle auxquels il faut adjoindre des habitants des autres cantons combourgeois((Neuchâtel et la Suisse , Nenchâtel 1969, carte p. 26.)), allait toujours en s’accroissant, les circonstances particulières dues à la Guerre de Trente ans jouèrent aussi un rôle important dans le développement du vignoble. Nombreuses sont les mentions durant l’occupation de la Franche-Comté qui montrent que les fourriers des troupes suédoises venaient se ravitailler à la frontière, épongeant ainsi tous les surplus de vin((Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel (BPU), Abram CHAILLET ( 1604-1685), Memoyres de plusieurs choses remarquees par moy, A.C. dempuits l’an 1614. A 580 Manuscrit en deux volumes. Voir les années 1637 et 1639)). Par voie de conséquence, l’impossibilité pour les Suisses d’importer des vins étrangers fit que les produits locaux virent leur demande augmentée. Ces facteurs conjugués favorisèrent l’essor du commerce, incitant de nombreuses personnes à vouloir augmenter la productivité de leurs terres en y plantant de nouvelles vignes. L’après-guerre.

La fin des hostilités ne stabilisa pas immédiatement la situation. Cependant, vers 1660, le Conseil d’État((Rémy SCHEURER, Louis-Edouard ROULET, Jean C0URVOISIER, Histoire du Conseil d’ Etat neuchâtelois: des origines à nos jours, Neuchâtel 1987)) promulgue de nombreux arrêtés((Archives de l’État de Neuchâtel (AEN), Manuels du Conseil d’État en date du 20.08.1652; 15,11,1653; 6.12.1653; 19.10.1664; 30.09.1668.)) pour interdire tant l’entrée que le transit des vins étrangers. Des autorisations((AEN Manuels du Conseil d’État en date du 4.9.1656; 0.12.1O53; 20.03.1571.)) parcimonieuses sont pourtant octroyées à des habitants des Montagnes, leur permettant de débiter ou d’avoir pour leur usage personnel((AEN Manuels du Conseil d’État en date du 19.01.1669 où les habitants des Montagnes obtiennent la permission d’acheter du vin de France pour leur usage seulement. Idem le 8.07.1679, le 9.11.1681,)) des vins étrangers. Ces autorisations sont données lorsque la production indigène est insuffisante et elles sont généralement limitées dans le temps, soit jusqu’aux vendanges.((AEN Manuels du Conseil d’ Etat en date du 4.09.1656 où on permet à Jeanne Lambelet des Verrières d’acheter du vin de Bourgogne jusqu’aprés les vendanges.)) Ces mesures protectionnistes provoquent à diverses reprises des conflits entre les bourgeois de Valangin et les habitants du Vignoble((AEN Manuels du Conseil d’ Etat en date du 13.12.1682, les cabaretiers de Travers refusent de prêter le serment concernant l’interdiction de vendre des vins étrangers; 17.12.1688, nouveaux ordres concernant la contrebande des vins étrangers; Jonas BOYVE, Annales historiques du comté de Neuchâtel et Valangin, cinq tomes, Berne et Neuchâtel 1859, 1668, vin de Bourgogne défendu, Valangin s’y oppose; 1676, Valangin plaide pour les vins étrangers.)). On relève aussi que des confiscations eurent lieu((AEN Manuels du Conseil d’ Etat en date du 20.08.1652, confiscation des vins introduits en fraude; 17.12.1692, fraudes punies par confiscation.)), surtout de vins dits de Bourgogne((Par vins de Bourgogne, il faut entendre vins de Franche Comté.)), saisies souvent faites à la frontière des Verrières.((C’est par les Verrières que passe une grande partie du trafic, voir Fernand LOEW, Les Verrières la vie rurale d’une communauté du Haut-Jura au moyen âge Neuchâtel, 1954, page 94 et suivantes)).

Des arrachages

En sus de cette politique protectionniste menée par le Conseil d’État, des arrachages de vignes nouvellement plantées furent ordonnés. Dès 1660, le Conseil d’État entame une lutte systématique contre toutes les nouvelles pIantations .1

Ces interdictions restèrent, semble-t-il sans effet à tel point que des mandements furent édictés((AEN Manuels du Conseil d’ Etat en date du 11.12.1666, la Seigneurie fait arracher les vignes plantées sans sa permission et 20.02.1667, mandement pour l’arrachage des vigne; voir Rémy SCHEURER opus cité note 2, page 9.)) qui stipulaient l’arrachage pur et simple des parchets incriminés. Les contrevenants persistèrent puisque le Conseil d’État constate en 1668 que des individus dans les châtellenies de Boudry et de Thielle et dans la mairie de Colombier procèdent encore à de nouvelles plantations. Ordre leur fut donné de les arracher dans les quinze jours.2 Cette situation conflictuelle perdura puisqu’en 1688, le Conseil d’ Etat renouvelle ces arrêtés d’arrachage.3

En résumé, la situation semble être la suivante: étant donné que le commerce des vins est florissant dans le second quart du XVIIe siècle, nombreux furent les habitants du Vignoble qui voulurent profiter de cette aubaine en augmentant la surface viticole, faisant fi du changement de situation survenu avec la fin des hostilités en Franche- Comté et oublieux que les vignobles détruits par la guerre étaient aussi en voie de reconstitution. De plus, la nature des terres choisies pour y planter de la vigne n’était point favorable à cette culture, se faisant au détriment de terres céréalières, céréales qui étaient toujours en déficit par rapport au besoin de la population. Le manque chronique d’espèces sonnantes et trébuchantes dans le Pays fit que beaucoup espéraient en obtenir grâce au commerce des vins. Il leur fallut déchanter.

La Compagnie des Vignerons

Même si le vignoble couvrait un nombre conséquent d’hectares, Ia culture était loin d’être optimale. Les descriptions dévoilent des parchets laissés à l’abandon, des cultures mal conduites, des vignes presque sans ceps.((Idem note 4; BPU, Journal Peters, Saint-Blaise, Volume manuscrit.)) Entre les plants, des arbres tels des noyers, pommiers, poiriers, s’intercalaient, acceptés ou non par les propriétaires.4 En sus, des légumes tels des choux, des raves, des fèves, des pois, des courges y étaient régulièrement cultivés bien que défense expresse fût systématiquement faite((AEN, Série domaine 3/1, contrat de moiteresse du 20 X1 1662; Fonds d’Estavayer dossier 121, bail à moiteresse en date du 23 octobre 1682:  » il ne pourra planter aucun melons ou autres semences »;)) à tous les tenanciers moiteressiers((Le bail à moiteresse est un contrat de métayage dont on trouve trace depuis le XIIIe siècle; G-A- MATILE Monuments de l’histoire de Neuchâtel, 3 volumes, Neuchâtel 1844-1848′ ‘p 125 doc. CLII)) ou autres de continuer de telles pratiques sous peine d’être déchus de leurs cultures.((Archives de la Ville de Neuchâtel (AVN), Manuel du Conseil de Ville, tome XIX, 19 août 1748: Jean-Henri Marthe expulsé de la Ville pour avoir mal cultivé les vignes.))

L’état de lamentation dans lequel se trouvait le vignoble fait que de nombreux propriétaires veulent réagir pour que les vignes retrouvent un aspect soigné et surtout pour que les vignerons soient guidés et surveillés dans leur travail.
Pour atteindre ces objectifs, les Quatre Ministraux((Exécutif de la Ville, voir Samuel de CHAMBRIER, Description topographique et économique de la Mairie de Neuchâtel, Neuchâtel 1840, page 263 et suivantes.)) de la ville de Neuchâtel demandent le pouvoir d’ériger une compagnie des vignerons((AVN Manuels du Conseil de Ville. tome III, 3 juillet 1606: résolu de s’adresser à la Seigneurie pour l’établissement d’une compagnie de Vignolans et la joindre avec celle des Tonneliers  » affin de y mettre quelques loy et ordre pour ceux qui font les vignes soit a moyteresse ou a tesche »; tome VI, 1 août 1666, le Conseil confirme le réglement fait par la compagnie des Tonneliers concernant les salaires; idem, le 15 août 1666, le Conseil consent à l’érection d’une compagnie des Vignerons qui sera jointe à celle des Tonneliers, moyennant qu’elle présente des règlements qui seront communiqués au gouverneur en le priant d’accorder l’acte d’érection; idem, 12 septembre I677, nouvelles demandes en vue de la création d’une compagnie; tome VII , le 4 août 1666, mêmes demandes; le 3 août 1687, l’accord de Son Altesse est arrivé à Neuchâtel; le ler février 1688, nomination de l’Avoyer et des Maîtres de la Compagnie. Voir aussi: Georges de COULON, Notice sur la compagnie des vignerons de la ville de Neuchâtel, Neuchâtel 1877 et Alphonse PETITPIERRE, Un demi-siècle de l’histoire économique de Neuchâtel, 1791-1848,Neuchâtel 1871, pages 180 à 188.)), ce qui leur est accordé par un acte donné à Versailles le 7 juillet 1687 par Henri de Bourbon, prince de Condé((Henri Jules de Bourbon fut le curateur de l’abbé d’Orléans, Louis duc de Longueville, prince de Neuchâtel de 1663 à 1668 et de 1672 à 1694. Voir Jean CCURVOISIER, Panorama de l’histoire neuchâteloise, La Baconnière, Neuchâtel 1972, Page 81 et suivantes.)). Suite à cette concession, la compagnie prend corps. On élit un avoyer et on invite les bourgeois qui avaient des vignes à s’associer et à apporter une légère contribution financière afin de constituer la base d’une fortune. Grâce à des rentes, la Compagnie peut établir des surveillants et des visiteurs chargés d’inspecter le vignoble après chaque saison et d’en rapporter les défauts de culture et les fautes commises par les vignerons. Ceux-ci sont mis à l’amende et contraints de dédommager les propriétaires.((AVN, les archives de la Compagnie des Vignerons y sont conservées. (Feuillets épars, règlements, livres de procès-verbaux et listes de membres)) La juridiction de la Compagnie ne s’étendait que sur le vignoble appartenant à ses membres. Dès le XVIIIe siècle, des récompenses viennent encourager les vignerons méritants.

Ainsi, tout au long de l’année vigneronne, des experts-vignerons mandatés par la Compagnie, suivaient les travaux. Avec le temps, le rôle de la Compagnie devient si important que tous furent contraints de suivre ses prescriptions. Personne ne pouvait entreprendre un travail à la vigne sans son accord. L’annonce qui autorisait le début de telle ou telle saison se faisait officiellement le dimanche à la fin du culte.((AVN, archives de la Compagnie des Vignerons , livres des procès-verbaux))

De la production au prix

Tentons d’établir une corrélation entre la production du vignoble neuchâtelois entre 1640 et 1670 avec le prix du vin tel qu’il était défini officiellement par la Vente de la Seigneurie.((BPU manuscrit A 1592:  » Devoirs généraux et particuliers du Maître Bourgeois en chef pendant sa préfecture « ; AEN, Fonds Marval G 28, livre de vendange de Samuel de Marval ( 1643-1733), commentaire pour 1700 et voir Patrice ALLANFRANCHINI, Le maître-bourgeois en chef et la vigne In le Vignolant No 26 , l988.)), Du point de vue quantitatif((Patrice ALLANFRANCHINI, Etude du rendement dans le vignoble neuchâtelois au XVIIe siècle et des principaux accidents météorologiques se répercutant sur la production, mémoire de licence, Université de Neuchâtel 1979. Etude du rendement des vignes neuchâteloises construite à partir des livres de raisons du Chancelier de Montmollin ( AEN, fonds Montmollin, dossier 179), le livre de vendange de la famille Barillier (AVN), le livre de vendange de la famille Osterwald ( BPU, Manuscrit A 72) à quoi il faut adjoindre AEN, Fonds Marval G 28 et Fonds d’Estavayer R 25 ( produits des vignes sises à Cressier et au Landeron, 1626-1643) et dossiers 161 à 181.)), nous savons que les années 1639 à 1642 furent très médiocres, que le reste de la décennie fut moyenne avec des excédents de production en 1645 et une mauvaise année en 1648. La décennie suivant connut un rendement moyen, sans années exceptionnelles. 1661 fut une année de forte production alors que des minimas furent atteints en 1663,1664 et 1668. Du point de vue qualitatif, il est impossible de porter un jugement objectif sur ces vendanges et le vin qu’elles produisirent. Nous possédons bien une série((voir Alphonse PETITPIERRE, opus cité note 24, pages 191 à 200)) dont nous ne connaissons pas l’origine qui qualifie sommairement les années. Par exemple, elle nous dit qu’en 1645, l’été fut sec et chaud et qu’il y eut abondance de vin; qu’en 1648, le récolte fut chétive et qu’en 1662, grandes pluies, peu de vin et vert…!

Les moyennes quinquennales du prix de la Vente nous donnent pour la période allant de

1620 à 1675:

 
1620-1624 94 livres((il s’agit de livres tournois, voir Eugéne DEMOLE et William WAVRE, Histoire monétaire de Neuchâtel, Neuchâtel 1939)) par muid((Le muid équivaut à 365 litres, voir Abram Louis RAMEL, Systéme métrique ou Instruction abrégée sur les nouvelles mesures, La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel et Lausanne, 1808)) de vin
1635 -1629 131
1630-1634 61
1635-1639 89
1640-1644 145
1645-1649 68
1650-1654 77
1655-1659 65
1660-1664 82
1665-1669 57

Le prix moyen du muid pour cette période est de 81 livres.((Les années où le muid vaut plus de 100 livres sont les suivantes: 1622,1627,1628,1629,1630,1639,1640,1641,1642, 1648,1649, 1663,1664 et 1658. Les années où le muid est inférieur à 60 livres sont: 1630, 1631, 1637, 1645, 1646, 1653, 1657, 1665, 1656, 1667, 1669.))

En mettant en parallèle ces diverses données chiffrées, nous constatons une certaine corrélation entre le rendement et le prix officiel. Relevons que les mauvaises comme les bonnes années vont souvent par série. Nous remarquons qu’après 1644, le prix moyen du muid est sensiblement inférieur que celui pratiqué les vingt-cinq années précédentes. Même si quantitativement, il y a eu moins de mauvaises récoltes à partir de 1644, nous ne pouvons pas expliquer cette baisse par cela ni imputer des aléas météorologiques.((Patrice ALLANFRANCHINI, opus cité note 29. Renseignements tirés des mémoires d’Abram Chaillet ( note 4) et du Journal Peters (note 18) )) Il faut plutôt admettre que des difficultés d’écoulement apparaissent. Sur le plan suisse, nous assistons à des difficultés commerciales croissantes avec Berne. Celles-ci vont tellement s’amplifier au long de cette fin du XVIIe siècle que les vins de Neuchâtel vont être considérés par les Bernois comme des vins étrangers, ceci au mépris des conventions et accords définis par les traités de combourgeoisies.((Jules JEANJAQUET, Traités d’alliances et de combourgeoisies de Neuchâtel avec les villes et cantons suisses, 129~1815, Neuchâtel 1923, pages 40 à 83)) En simplifiant, nous pouvons admettre que le commerce des vins, après une période « euphorique » entra dans une phase de régression. Signalons que les exportations en vin devaient correspondre au quart de la production si nous extrapolons par rapport aux séries chiffrées que nous avons pour le début du XIXe siècle.((Patrice ALLANFRANCHINI, Des certificats d’origine: indice d’exportation? In Le Vignolant No23, 19, AEN, carton bleu, série vigne et vin)).

Domaines et propriétaires

Le premier propriétaire de vignes dans le Pays de Neuchâtel est le prince lui-même. Au-delà des dîmes((Avec la sécularisation des biens du dergé survenu à la Réforme, les dîmes sont revenues à la comtesse Jehanne de Hochberg qui en a concédé quelques-unes. Voir Jonas BOYVE, opus cité note 10, 1529, 1531; AEN carton bleu, série dîme)) qui lui reviennent, excepté quelques-unes bien spécifiques qui appartiennent à des communautés ou à des particuliers((Par exemple, la dîme de Saint Blaise appartient à l’hôpital de la ville de Neuchâtel. Quelques jours avant les vendanges, elle est offerte aux enchères.)), le prince est à la tête d’un domaine viticole de plus de 42 hectares dans cette seconde moitié du XVIIe siècle. Ces vignes sont pour la plupart cultivées à la franche moiteresse.((Jusqu’au 17e, il est facile de trouver des vignerons-moiteressiers qui acceptent de céder la moitié des fruits en prenant à leur charge tous les frais de culture. Avec le 18e siècle, les vignerons demandent de plus en plus le passage à la tierce ( 2 gerles pour eux, une pour le Prince). Avec le 19e siècle, les moiteressiers abandonnent de plus en plus leur mise ou les cultivent mal.)) Selon un rapport((Jonas de CHAMBRIER, Mémoire sur les propriétés de l’Etat, le capital que l’on pourrait en retirer par la vente en 1703 Porrentruy 1833. AEN carton bleu, série vigne et vin: documents originaux.)) adressé au roi de Prusse, Frédéric 1er, par Jonas de Chambrier, ces vignes ont bon an mal an un rendement de 4%, ce qui est jugé comme bon pour des terres agricoles.

La propriété particulière n’est pas très étendue et est fort morcelée. Vers 1530, le plus important propriétaire de vigne semble être Pierre de Chambrier((Rémy SCHEURER, Pierre Chambrier 1542(?)-1609, Neuchâtel 1988 pages 29 à 45)) qui possède du domaine de 120 ouvriers ( environ 4,2 hectares). Avec la seconde moitié du XVIe siècle et le XVIIe siècle se constituent quelques grands domaines qui appartiennent pour la plupart tant à la bourgeoisie neuchâteloise fortune qu’à des familles patriciennes bernoises et soleuroises qui acquièrent de nombreuses terres en Pays de Neuchâtel. Soulignons que les bourgeois de Berne avaient le droit de faire entrer dans les terres de Leurs Excellences les vins provenant de leur cru sans avoir à payer les taxent qui grèvent les vins étrangers dont furent alors frappés les vins de Neuchâtel. Citons à titre d’exemple que la famille d’Estavayer Mollondin((AEN Fonds d’Estavayer, dossiers 162 à 181, voir Maurice de TRIBOLET, Répertoire sommaire du fonds d’Estavayer, Neuchâtel 1982)) faisait cultiver au XVIIIe siècle à Cressier par six vignerons gagés un domaine de plus de 350 ouvriers sur les 2100 que comptait la commune’ Comme autres grands propriétaires non neuchâtelois dans ce village, il y avait les Von Roll, les Glutz, les Greder, etc… si bien que les deux- cinquième des vignes leur appartenaient.

Parmi les Neuchâtelois, grands propriétaires de vignes, il convient de citer le Chancelier Georges de Montmollin((biographie de Georges de Montmollin in F-A.M JEANNERET et J-H BONHOTE, Biographie neuchâteloise, Le Lccle 1863, tome 2 pages 94 à 103 et Dictionnaire historique et biographique suisse, Neuchâtel 1921-1934, tome 4 page 798 b)). De 1652 à 1703, il fit passer la superficie de- son domaine viticole de 1,32 hectare à 13,18 hectares.((Patrice AIIANFRANCHiNI, Le domaine viticole du Chancelier Georges de Montmollin in Le Vignolant No 8 1984 . AEN Fonds Montmollin dossier 179)) Que dire de cet important accroissement? En 1666, Montmollin fait un héritage important((idem note 44, legs du Maîtrebourgeois Berthoud.)) qui lui apporte une centaine d’ouvriers. Pour le reste, il pratique une politique d’achat, acquérant d’une foule de petits propriétaires de nombreuses vignes, tant directement que par actes d’engagères, montrant à l’envi qu’il avait foi dans le commerce des vins.((Par exemple, AEN notaire D. Lardy, 1660-1672)) Sans aucun doute, il a aussi profité du contexte de récession du commerce des vins pour se lancer dans cette série d’achats où il a pu profiter d’excellentes offres de ventes.

Cependant les domaines supérieurs à 100 ouvriers ( 3,52 hectares) restent relativement peu nombreux. Rares sont les parchets d’un seul tenant supérieur à 20 ouvriers ( 7040 m2).

La répartition de la propriété

Comme nous n’avons pas de données qui nous permettent de saisir dans sa globalité la répartition de la propriété viticole au XVIIe siècle, nous avons recouru à des données du XVIIIe siècle pour établir les tableaux suivant:

1. La propriété viticole dans la Brévarderie de Neuchâtel en 1799((AVN, carnets des brévards 1799))

Dressé grâce à l’étude des carnets établis pour recouvrir les frais occasionnés par l’entrée en fonction des gardes-vignes (les brévards), payés au prorata du nombre d’ouvriers possédés, ce tableau montre que 347 personnes se partageaient les 5988 ouvriers de vignes de la Brévarderie de Neuchâtel. 135 personnes détiennent des domaines inférieurs à 10 ouvriers; 126 en possèdent de 10 à 25; 80 en ont entre 25 et 120 et 6 seulement possèdent des domaines supérieurs à 120 ouvriers que nous pouvons répartir ainsi: 2 de 120 à 130 ouvriers; 2 de 150 à 160; un de 170 à 180 et le dernier, plus de 230 ouvriers. Précisons que de nombreux habitants de la ville détenaient des vignes en dehors de la Brévarderie de Neuchâtel si bien que certaines propriétés devaient être plus importantes que ce tableau ne le laisse apparaître.

2. La propriété viticole à Cressier à la fin du XVIIIe siècle

Nous avons tenté le même exercice pour le village de Cressier en se basant sur les livres du receveur de la dîme de ce village pour la fin du XVIIIe siècle.((Musée de la vigne et du vin, Château de Boudry, livre de la recette de Cressier 1791-1795, numéro d’inventaire MV 29.5.83.2 et livre de recette de la vendange de Cressier 1801 et 1802, numéro d’inventaire MV 29.5.83.1 et voir Patrice ALLANFRANCHINI, Un regard sur le vignoble de Cressier, in Vignolant No 9 1984.)). Le graphe permet de dire que 51% des 173 reconnaissants récoltent moins de 10 gerles((La gerle de vendange = 52 pots = 98,95 litres / la gerle au clair = 38,4 pots = 73,10 litres)) de vendange soit possèdent des domaines inférieurs à 5 ouvriers, ce qui correspond à la onzième partie du territoire viticole communal. A l’inverse, le 6% qui récolte annuellement plus de 100 gerles détient plus du quart du vignoble cressiacois.

Le rapport financier

Cette disparité entre grands et petits propriétaires nous amène à nous intéresser au rapport financier de la vigne. De manière tout à fait arbitraire et subjective, nous avons retenu parmi les cinquante et une vendanges obtenues et répertoriées par le Chancelier de Montmollin celles de 1680 et 1681 alors que la superficie de son domaine était de 301 ouvriers ( 10,6 hectares). En 1680, ses vignes ont produit 967 gerles de vendange, soit 193 muids de vin.((5 gerles au clair = 1 muid ( 365,62 litres ) de 192 pots ( 1 pot = 1,9043 litre) voir RAMEL note 32)). Au prix de la vente de la Seigneurerie, cette vendange équivaut à une somme de 7527 livres5, ce qui donne un rendement brut de 1o% par rapport au capital estimé à 75250 livres.6.

Pour 1681, le même calcul nous donne un rendement brut de 6,6%.7 À cette époque, on peut estimer les frais de culture à 12 livres par ouvrier, soit pour l’ensemble du domaine, 3612 livres, ce qui fait un rendement net pour 1680 de 5,2% et pour 1681 de 1,8%.

Ces chiffres, tout théoriques, ne prennent pas en compte le prix réel du vin qui est toujours supérieur au prix officiel de la Vente((Le prix du vin est toujours supérieur au prix de la vente. En 1680, le prix du pot est égal à 3,25 creutzer. Le prix réel du vin blanc fut le suivant: de décembre à mai, le pot vaut 1 batz ( 4 creutzer) et en juillet et août un batz et demi (6 creutzer). AEN Fonds Montmollin dossier 179, fol. 209. 3eme volume.)) ni les rapports véritables que le Chancelier de Montmollin entretenait avec des vignerons qu’il rétribuait principalement en nature, produits qu’il tirait de ses domaines agricoles.8

Les rapports entre propriétaire et vignerons

Grâce aux livres de raisons que le Chancelier de Montmollin a tenus de 1652 à 17039, il est possible de suivre dans le détail les liens qu’il avait avec la centaine de vignerons dont il utilisa les services au cours d’un demi-siècle. De manière globale, nous pouvons dire que tous étaient des autochtones, petits bourgeois ou habitants des villages environnant la ville ou même du Val-de-Ruz. Presque tous possèdent en propre quelques biens. Ils prenaient alors à tâche quelques ouvriers de vignes afin d’améliorer leur ordinaire à I’ instar, par exemple de David Colin de Corcelles dont voici le contrat et le mode de rétribution.10

L’exemple donné fait cas de figure puisqu’il ne s’étend que sur une année. Les autres, en revanche, peuvent être suivis sur un laps de temps plus long. Cependant, tous montrent que les rétributions se faisaient avant tout en nature et un peu en argent. Du froment, de l’orge, de l’orgeat, des outils, des -fromages, voire des chédals((Chédal:  » contrat par lequel on remet pour un temps du bétail à quelqu’un pour le garder et le nourrir « , voir William PIERREHUMBERT, Dictionnaire du parler nenchâtelois et Suisse romand, Neuchâtel, 1926, page 119 a.)) sont pris en compte. Certains même reçoivent en salaire les rosées de tel ou tel champs.((AEN Fonds Montmollin dossier 179 fol 115,116, volume 1)) Économie en vase clos, économie de troc.

En revanche, le Chancelier commercialise ses vins et retire de ce commerce du numéraire ou des obligations.((À partir des livres de raisons de Montmollin, toute l’étude fine est encore à faire.))

Conclusion

  1. Nous pouvons estimer la production globale du vignoble neuchâtelois à cette époque à plus de six millions de litres.((À partir des livres de raisons de Montmollin, toute l’étude fine est encore à faire.)) Le quart en moyenne était exporté. Le reste était consommé sur place par les particuliers et dans les auberges et cabarets.((AEN Carton bleu, série auberges et cabarets. On sait qu’au début du XIXe siècle, on dénombre environ un établissement pour 35 habitants))
  2. La propriété est très morcelée. De nombreux petits propriétaires exploitent en un et dix ouvriers, vendant à pot et à pinte l’excédent de leur vin ou cédant leur vendange aux grands producteurs.((Nombreuses sont les mentions dans les minutaires de ventes de vendanges sur pied. Montmollin lui aussi achète des récoltes entières. Voir Patrice ALIANFRANCHINI, La mode d’autrefois avant les vendanges , in Le Vignolant No 22 1987.))
  3. Le tiers du vignoble appartient alors à des grands propriétaires qui font cultiver leur bien par des vignerons neuchâtelois qui se chargent de petites surfaces pour améliorer leur ordinaire.
  4. Rares à l’époque sont les vignerons entièrement salariés.((Ce sont principalement les familles patriciennes bernoises et soleuroises qui rétribuent ainsi leurs vignerons.)) Presque tous sont intéressés au rendement par leurs baux à moiteresse, à la tierce ou à la cinquième gerle.
  5. Les rapports entre propriétaires et vignerons sont encore grandement basés sur le troc.
  6. Avec le XVIIIe siècle, de nombreux étranger11 s’installent en Pays de Neuchâtel, formant peu à peu un prolétariat vignerons vu que de nombreux Neuchâtel trouvent de meilleurs appoints grâce à l’industrie naissante ou dans le commerce.
  1. AEN Manuels du Conseil d’Etat en date du 27.03.1660; 29.05.1660, vignes plantées par ceux de Boudry malgré la défense; le 17 par ceux de Bôle et Cortaillod. []
  2. AEN, Manuels du Conseil d’ Etat en date du 10.04.1668 ordre d’arracher celles nouvellement plantées; 10.04.1672, la Seigneurie fait arracher les vignes plantées sans permission dans la Châtellenie de Thielle. []
  3. AEN, Manuel du Conseil d’Etat en date du 8.04.1684, inconvénient d’augmenter les vignes dans ce pays; le 15, on fait arracher celles nouvellement plantées; idem le 25 août, le 3 septembre, le 30 septembre et le 29 janvier 1685; le 29 janvier 1685, les princes curateurs ordonnent de suspendre l’ordre d’arracher les vignes nouvellement plantées; le 30, mémoire sur la nécessité de le faire; le 21 février, les ordres donnés précèdemment sont confirmés. []
  4. AEN Fonds Montmollin, dossier 179, cinq volumes, 2eme volume, fol 240 Entes faits a mes vignes: la Treyporte au haut devers bize, il y a un court pendu au millieu, un bon chrétien d’hiver et devers vent une renette. Es deux hommes des repaires,devers bize, un bon chrétien d’hiver. Es trois hommes des repaires, devers bize, un bon chrétien d’hiver, au milieu un bergamotte et devers vent un poire citron « , etc. []
  5. La vente de la Seigneurie pour 1630 équivaut à 39 livres le muid soit l93 X 39 soit 7527 livres. []
  6. 0n peut estimer le prix moyen de l’ouvrier de vigne à 250 livres. Selon les terres, les prix oscillent en 100 livres et: 400 livres. []
  7. En 1681, le prix de la Vente de la Seigneurie est de 72 livres par muid. Montmollin n’encava que 70 muids soit presque trois fois moins qu’en 1680. []
  8. Le Chancelier possédait des domaines au Val-de-Ruz ( La Borcarderie) et à Chaumont ( La Dame). []
  9. voir note 29 []
  10. AEN Fonds Montmollin dossier 179 folio 79 2eme volume. []
  11. Par étrangers, il faut entendre des habitants de la rive sud du lac de Neuchâtel ou en provenance de Berne, Fribourg ou de l’Evêché de Bâle, tel Pierre Laubscher, du bailliage de Nidau, vigneron de la Communauté d’Hauterive dès 1772. []