Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Le XIXe: un siècle catastrophe pour la vigne!

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Bien avant l’apparition des grands fléaux comme le phylloxéra, le mildiou et l’oïdium, les vignerons neuchâtelois durent à plusieurs reprises se grouper et faire preuve de solidarité pour lutter contre d’autres parasites du vignoble.

Tout au long d’un XVIIIe siècle, des chasses à l’urbec sont organisées afin de ramasser les feuilles torses à l’intérieur desquelles ont été pondus les œufs de l’insecte. Ces campagnes furent couronnées de succès et au début du XIXe siècle, tout semblait rose dans le ciel des vignerons neuchâtelois. Mais c’était sans doute le calme avant les tempêtes! La circulaire annexée n’en était encore que les prémices et pourtant ses auteurs semblaient déjà presque terrifiés. Ils ne pouvaient point imaginer ce que la fin du siècle allait réserver comme malheurs et dégâts aux vignobles de l’Europe.

Avis au propriétaires de vignes

« La culture de la vigne, devenue si ingrate dans ce pays, exige une attention et des soins soutenus pour n’être pas une cause de ruine. Nos vignobles souffrent moins des intempéries des saisons, que des nombreuses négligences de ceux qui les cultivent. Il y a environ un siècle, que par un manque de surveillance et de police, les Urebecs se multiplièrent à un tel point, qu’on se vit obligé d’arracher plusieurs quartiers de bonnes vignes. Dès lors la vigilance de l’autorité et des cultivateurs a presque détruit cet insecte, et l’on conçoit à peine aujourd’hui l’étendue des ravages qu’il a pu causer. Nous sommes menacés d’un fléau plus redoutable encore, et si pendant qu’il en est tems, nous négligeons de prendre les moyens propres à en garantir nos vignobles, on peut aisément prévoir que la diminution ou la perte totale de nos récoltes sera la suite nécessaire de notre insouciance. Il y a 5 à 6 ans qu’on observe dans nos vignes, un insecte qui sous la forme et le nom de ver, ronge d’abord la grappe et cause son dessèchement, avant et pendant la floraison; il attaque ensuite les grains et les détruits jusqu’à la vendange; à cette dernière époque ses ravages sont d’autant plus nuisibles que la pourriture de la grappe entière en est la suite. Cet insecte, bien connu en Allemagne, a détruit complètement les belles récoltes de 1811 et 1819, dans plusieurs vignobles du lac de Constance. Ce ver est la chenille d’un petit papillon de nuit, du genre des Pyrales ou Teignes, nommé dans quelques ouvrages d’histoire naturelle, Pyralis ou Tinaea ambiguella Ce papillon, lorsque ses ailes étendues, a de 4 à 6 lignes de longueur: ses deux ailes supérieures sont d’un jaune fauve, chacune d’elles est divisée en deux parties égales par une bande noire, qui la traverse du haut en bas et dans la direction de la tête à la queue de l’animal: Les deux ailes inférieures sont d ‘un gris cendré. Lorsque le papillon est en repos, il est jaune fauve, avec une bande noire transversale: ses yeux sont noirs, sa tête est fauve, et il en sort deux antennes ou fils qui finissent en pointes. Il paroit, pour la première fois, au commencement de Mai, et pond sur les bourgeons, des œufs transparens et blanchâtres, plus petits que ceux de l’Urebec, d’où sortent, 10 à 15 jours après, des chenilles presqu’imperceptibles, mais qui parvenues à leur entier développement, ont 3 à 4 lignes de longueur; leur couleur est grisâtre, leur tête est écailleuse et noire; elles ont 16 pattes. Ces chenilles se logent d’abord dans le grain même du raisin prêt à fleurir: elles collent ensuite deux ou plusieurs grains en fleurs, et se nichent au centre; on les trouve encore au bout de la grappe, où elles s’introduisent dans la tige principale et en mangent la moëlle. Parvenues à un plus grand degré de forces, elles se nourrissent des grapillons du corps des grappes, et même des grains de raisin qui sont noués. A cette époque la chenille tisse, soit dans la grappe et sous les grains, soit dans les feuilles ou les autres parties des ceps, une toile blanche, de forme alongée, au centre de laquelle on la trouve dans l’état de nymphe, ou fève, d’environ trois lignes de longueur, d’un jaune fauve, lisse, et ayant des anneaux. À la fin de Juillet et au commencement du mois d Août, le papillon sort de cette nymphe, et fait sur les raisins, ou sur les autres parties du cep, la seconde ponte de ses œuis. Les chenilles ne tardent pas à éclore, elles se logent d’abord dans les grains, où leur présence est indiquée par un trou très-petit, dont les bords sont d’une couleur bleuâtre; lorsqu’elles ont grandi elles attaquent successivement d’autres grains, et finissent, si elles sont nombreuses, par détruire les grappes entières. Avant la complette maturité du raisin, les chenilles se filent de nouveau en nymphes, qui passent l’hiver sous les mousses, sous les écorces des vieux pieds de ceps, peut-être aussi dans la terre, pour reparoître au mois de mai en papillons.

On conçoit avec quelle rapidité doit se propager un insecte, qui se reproduit en quantités considérables, deux fois chaque année. Il y a deux ans que la récolte de plusieurs de nos vignobles, situés au bord du lac en a été fort endommagée, et cette année on a trouvé un grand nombre de chenilles dans des quartiers plus élevés. Si on ne s’occupe pas de la destruction de ce nouvel ennemi il envahira bientôt tous nos vignobles. Les moyens de le détruire ne sont malheureusement pas faciles Le plus efficace est, sans contredit, de chercher la chenille et de la tuer en ébourgeonnant et en attachant la vigne. Toute grappe où l’on remarque une touffe desséchée ou plus jaune que le reste, est certainement attaquée par l’animal: on le trouvera ordinairement non dans les parties desséchées, mais sur la tige de la grappe, ou entre deux ou trois grains encore verds, et qu’il aura réunis pour s’en nourrir ou s’y loger. Plus tard, mais avec moins de succès, on peut écraser les nymphes placées dans les grappes et que le tissu blanc dont elles sont enveloppées, peut faire reconnoître. Les papillons ne volant que la nuit, ne pourroient être détruits qu’au moyen de flambeaux allumés le soir dans les vignes, et à la flamme desquels ils viendroient se brûler. Enfin, on peut sensiblement diminuer le nombre de ces insectes, en ôtant au mois d Août les grains piqués où ils se rencontrent, et surtout en nettoyant en hiver les ceps de toutes les mousses et de toutes les vieilles écorces qui recouvrent leurs tiges: cette opération, favorable d’ailleurs à la végétation, fera périr un grand nombre de larves. Il peut exister d’autres moyens, plus efficaces encore; mais ce n’est que par des mesures bien concertées, généralement adoptées et exécutées, qu’on peut préserver nos vignobles du nouveau fléau dont il est menacé.

Neuchâtel, Juillet 1825.