Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Les bons vignerons étaient rares à la fin du XVIIIe siècle

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Le vigneron moiteressier du Landeron

Le vigneron moiteressier fait vendanger la vigne ou les vignes qu’il cultive. Cela fait, on appelle le préposé de l’Abbaye de St-Jean qui se présente pour dixmer la portion en question, tant la part du receveur que celle du moitessier, cela dit à la dixième, soit une gerle sur dix. Disons immédiatement que le rouge était exempt de dîme aussi bien au Landeron qu’à Cressier même si la dîme de ce dernier village dépendait d’une autre recette, en l’occurrence celle de Fontaine André et était prélevé à la onzième soit une gerle sur onze. Ensuite le reste de la vendange est partagé par égale moitié. Toutefois, il faut remarquer que certaines vignes moitresses étaient chargées d’un cens en nature ou en argent. Cela va de 3, 4, 5 jusqu’à 8 pots de vin par ouvrier. Rappelons que le pot neuchâtelois correspond à environ 1,9 litres. Ce cens foncier charge fortement certains parchets si bien que le receveur a dû prendre sur lui d’en suspendre pour les plus chargés la totalité du paiement afin que les bons cultivateurs ne soient pas tentés d’abandonner une culture qui ne rapporte rien ou presque.

En effet, à la fin du XVIIIe​, il est difficile de trouver des bons vignerons et une vigne abandonnée est un manque à gagner certain pour une recette qui tire une bonne partie de ses revenus de la vigne. Il est évident que le principe de la moitresse est plus avantageux pour une recette que l’affermage en argent des vignes.

Une moitresse abandonnée a été remise à un vigneron du Landeron pour le prix de 76 batz l’ouvrier en 1778. Cette vigne était en si mauvais état que personne n’acceptait de la reprendre à la simple moitresse parce que, de surcroît, elle était chargée d’un cens en vin de 24 pots par année.

Aux Abbayes de Frienisberg et de St-Jean, qui ont à cette époque un domaine de vigne moitresse de 191 ouvriers, les vignerons menacent d’en abandonner la culture vers 1792. Pour éviter cela, les abbayes durent octroyer aux moitressiers des paiements. Tous les vignerons qui bonifiaient ces vignes recevaient une émine d’épautre par char de fumier qu’il mettait. Elles payèrent encore la moitié des échalas et la moitié des provignages. Pour le portage des terres, 4 batz étaient donnés par ouvrier. Le receveur du Landeron se vit aussi menacé d’être abandonné par ses cultivateurs s’il ne leur donnait pas quelques avantages. Il leur paya alors la moitié de tous les chars de fumier qu’ils y mirent, le provinage, la moitié des échalas et du portage des terres. Il se vit aussi dans l’obligation d’avoir un inspecteur afin de vérifier toutes les bonifications qui se firent dans les vignes et qu’il payait sur présentation d’un billet dudit inspecteur.

Toutes ces augmentations des frais de culture se firent au détriment des profits.

Conditions et réserves auxquelles les tenanciers des vignes moîtresses de Sa Majesté sont tenus et obligés

Premièrement ledit moitressier et ses hoirs seront obligés de la pouer ou tailler, fossurer dans les trois saisons ordinaires, provigner, fumer les fosses, à raison d’un demi-char par homme, ébourgeonner, relever, passeler chaque année, en y mettant cinquante échalas par homme, d’y porter les céseaux, faire creux pour cacher les pierres, mettre terre nouvelle lorsqu’il en sera nécessaire, en un mot de labourer et cultivér lesdites vignes annuellement, de toutes bonnes et convenables saisons soit ordinaires soit extraordinaires.

Secondement, il n’y pourra semer choux, raves, fèves, chanvre et autres fruits et légumes, ni souffrir ni y planter aucun arbre, non plus que d’occuper ni d’amortir le fond desdites vignes, en quelque autre manière que. cela puisse être.

En troisième lieu, il devra clore et barrer les vignes à ses frais et dépens, que dommage n’y arrive.

Quatrièmement, après que la culture de ladite vigne sera parachevée, et qu’elle sera close et fermée, il n’y pourra entrer avant la vendange, dès le jour que les brévards établis feront leurs fonctions pour y cueillir aucune chose que ce soit, sous peine d’un ban de la Seigneurie, et ne pourront vendanger leurs dites vignes, pour que du su et du consentement du Receveur.

Cinquièmement, il ne pourra amoindrir, diminuer et diviser lesdites vignes, les charger hypothéquer, aliéner et mettre hors de ses mains sans le consentement de la Seigneurie.

Enfin il sera obligé de payer les censes foncières dont lesdites pièces sont chargées, et au cas que ledit tenancier et ses hoirs ne satisfassent ponctuellement aux conditions susdites, Sa Majesté ou ceux qui d’elle auront charge, pourront lui ôter et reprendre lesdites vignes, en quel temps, et saisons que ce soit, même à raisins pendans et a devoir supporter tous les domages et frais arrivés pour n’avoir accompli les choses susdites. À quel effet il fera annuellement des visites par gens de justice et des experts qui seront assermentés, auxquelles visites le receveur assistera. Et lorsqu’ils auront trouvé un particulier en faute et manquement à l’égard de l’un ou de plusieurs desdits articles, soit de culture, de fourniture ou de plantage de légumes. Ledit moitressier sera sommé de se rencontrer à ladite visite et sera ensuite déchu de ladite pièce par une connaissance de justice, sans qu’il soit besoin que d’une citation ni d’autres preuves que la visite desdits experts.

Pour récompense de ladite culture, labourage et autre choses mentionnées ci devant, après que la disme, s’il en est dû, sera levée comme d’ancienneté sur toute la vendange par partage qui se fera entre le receveur, ou autres qui auront droit et action de Sa Majesté par ferme, montes ou autrement, en rendant à la cave comme de pratique, la moitié et part qui sera avenue au Roi, soit à son receveur dedite vendange selon l’usage.

11 novembre 1749

Description de la recette du Landeron en 1834

La visite qui a eu lieu des vignes moitresses de cette Recette annonce qu’elles sont en général dans un assez triste état; ce qui provient, au moins en grande partie, des orvales des quatre dernières années, pendant lesquelles elles ont essuyé deux grêles et des gelées, qui les ont pour la plupart mises dans le triste état où elles sont actuellement et découragé tous les cultivateurs, qui ne voient dans l’avenir qu’une triste perspective pour eux. Après quatre récoltes nulles ou à peu près, ils craignent de faire de nouvelles avances, effrayés par les orvales précédentes;

d’ailleurs la plupart sont pauvres et peu en état de faire autre chose que de fournir leur travail et encore à regret. La direction qui-a fait elle-même l’inspection de ces vignes a reconnu la réalité de tout ce qui précède, et elle a eu lieu de se convaincre, comme on l’a dit plus haut, que le mal qui existe vient principalement des saisons défavorables, contre lesquelles on ne pouvait rien. Dans cet état de choses, il est assez difficile de proposer le bon parti à prendre; car si on agit en déchéance contre les tenanciers dont les vignes sont les plus mal tenues, on n’en trouvera que fort difficilement d’autres pour les remplacer, à ce que nous a assuré le Receveur, et à ce qu’on nous a dit sur place. Ce qui a eu lieu l’année dernière vient à l’appui, car c’est à grand peine qu’on a pu remplacer ceux qu’on a fait déchoir. D’après les informations que j’ai reçues, il paraît que quelques uns des tenanciers actuels seraient disposés à racheter la moitresse du Souverain. Mais presque tous désireraient, que pour rétablir ces vignes, on leur fit quelques avances en fournitures, et ils étaient toujours Berne, qui, quand il était propriétaire de Friniesberg faisait largement ces sortes d’avances; et qui au moins en partie, sont continuées actuellement; mais ils perdent de vue, en disant cela, le contenu de leurs mises, qui ne stipule rien de pareil. Quant à ces avances, le Receveur nous a dit qu’à diverses époques, il en avait fait, mais qu’ayant cru devoir annoncer ses intentions à cet égard par une publication, qui réservait que c’était sans conséquence pour l’avenir, il reçut un arrêt d’improbation sur cette mesure; et dans lequel on lui permettait bien de payer, mais sans l:’annoncer par publication. Dès lors il en a fait beaucoup moins et actuellement il est très peu disposé à en faire de nouvelles, vu que son bail tire à sa fin. D’après l’examen que j’ai fait de divers renseignements que je me suis procuré, il en résulte en résumé que les vignes moitresses du Landeron se composent de 177 3/4 ouvriers, divisés en 78 morceaux, cultivés par 50 tenanciers (…) Dans cet état de choses et s’agissant actuellement de prendre un parti, il me paraît après y avoir mûrement réfléchi, que ce qu’il y aurait de plus convenable à faire pour ramener ces vignes à un meilleur état serait:

  1. D’accueillir favorablement toutes les demandes de rachat de la moitresse du Souverain toutes les fois qu’il en sera fait de la part des tenanciers et que leurs propositions seront acceptables, en y conservant toujours la dîme. Il résulterait de ces achats ces deux avantages, premièrement que ces immeubles seraient ainsi remis en circulation et produiraient des lods; deuxièmement, que devenus la propriété entière du cultivateur, qui sera certain d’en avoir tout le produit, il seront infiniment mieux tenus, et qu’il y aura ainsi une augmentation dans le produit des dîmes, ensorte qu’en le cédant même à un taux bas, cette perte se trouverait compensée sur le double rapport qui vient d’être indiqué.
  2. Dans l’état où sont ces vignes, je ne crois pas qu’on puisse éviter d’accorder à ces tenanciers des bonifications de culture, soit de la part du Receveur, soit s’il s’y refuse, de la part du Souverain, au moins pendant deux à trois ans. Mais dans ce dernier cas où le Receveur devrait être chargé de les faire comme de lui-même et sans conséquences pour l’avenir, je crois qu’il serait suffisant de les porter à 21 batz par ouvrier; ce qui sur 177 3/4 ouvrier ferait une somme de £ 373, 5, 6.
  3. Mais la mesure qui serait le complément de celle-ci, et à laquelle j’attache beaucoup d’importance, ce serait d’avoir sur les lieux un inspecteur de ces vignes, qui par de fréquentes visites stimulerait et encouragerait les cultivateurs et verrait si les bonifications proposées ci- dessus sont réellement appliquées aux objets indiqués. La régie de Friniesberg, à laquelle cette mesure aurait été moins nécessaire, puisqu’on y accorde toujours des bonifications de culture, I’a cependant demandée et obtenue et elle s’en trouve bien. À quoi j’ajoute que la proposition que je fais n’entraînerait probablement pas de grands frais puisque les moitresses du Landeron étant entremêlées avec celles de Friniesberg pourraient être inspectées par le même homme, qui n’ayant pas ainsi une grande augmentation de peine serait moins exigeant pour s’en charger.

Enfin je crois que si ce que je viens de soumettre au Département était approuvé, il ne serait pas nécessaire cette année d’agir en déchéance contre les plus mauvais cultivateurs, qu’on trouverait difficilement à mieux remplacer; et qu’en échange cela serait plus convenable, quand dans la prochaine visite on verrait que les tenanciers n’ont pas profité des encouragements qui leur auraient été accordés. (…)

Régie de Friniesberg

L’inspection des vignes de cette régie fait voir qu’elles ont aussi beaucoup souffert des orvales des quatre dernières années; mais cela est moins sensible qu’aux précédentes, à raison des bonifications de culture qu’il a toujours été d’usage d’accorder aux tenanciers. Cette mesure qui existait déjà sous l’État de Berne, a été continuée depuis que le Gouvernement en a fait l’acquisition au nom de Sa Majesté, et l’on s’en trouve bien. Et comme outre cela, il y a ainsi que je l’ai dit plus haut, un inspecteur sur place qui surveille l’ouvrage par des visites fréquentes, il encourage les cultivateurs et voit si les bonifications sont appliquées convenablement et aux objets indiqués.

Enfin le régisseur actuel dont l’activité et les soins intelligents sont connus donc l’espérance qu’en peu d’années, ces vignes seront entièrement rétablies. Quelques uns des tenanciers dont on était mécontent, ont transsigé avec le Régisseur qui a rachetés d’eux leurs moitresses, ainsi qu’il y est autorisé par un arrêt du Conseil d’État du 29 novembre 1830. Ensorte que pour le moment, je n’ai rien à proposer pour cette régie. À quoi, j’ajoute encore que les vignes de cette Régie forment un total de 1581/16 ouvriers en 91 morceaux, tenus par 54 culti vateurs.

Rapport du Directeur des Forêts et Domaines, 15 avril 1834.