Le musée de la vigne et du vin
Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée
Les danses du dimanche
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Beaucoup rêvent de découvrir au creux d ‘un agreste vallon une riante auberge animée par les sons aigus des pipeaux qui entraîneraient de folles farandoles, des tarentelles ou autres valses endiablées… Ces bals champêtres tels que l’imagination populaire les voit, forgée souvent par des reconstitutions cinématographiques, appartiennent davantage à l’imagerie d’Epinal qu’à la réalité, surtout dans nos régions.
En effet, l’organisation d’après-midi ou de soirées dansantes était soumise aux autorisations des officiers de Juridiction. Pendant certaines époques, ceux-ci étaient les seuls juges pour décider s’il y avait lieu de laisser tel ou tel bal s’organiser. Selon la mansuétude des officiers, certaines juridictions voyaient fleurir les fêtes tandis que d’autres restaient tristement célèbres pour leur manque de distractions. Afin d’essayer de codifier les autorisations de danses,l’État soumit les officiers à une réglementation précise dès 1829.
Boudry en tête
Toutefois, avant de statuer sur cette matière, l’État leur demanda d’expliquer quelle était leur politique à propos de ces bals. En parcourant les réponses des officiers conservées aux Archives de l’État, on peut relever qu’à Boudry, on dansait publiquement huit à dix fois par an; qu’à Bôle, quatre ou cinq fois; qu’à la Béroche, une douzaine de fois et tous les soirs pendant la période des vendanges… Au Val-de-Ruz, l’officier a délivré quarante-quatre permissions pour les villages et quinze pour des danses dans des auberges ou cabarets placés à l’écart des localités.
Avant d’entrer dans les détails, disons simplement que l’État était fort préoccupé au début du XIXe siècle par la prolifération des établissements où l’on débitait de l’alcool et qui devenaient souvent, faute de pouvoir les faire tous surveiller par un nombre suffisamment élevé de gendarmes, des lieux où des rixes et autres troubles survenaient fréquemment. Afin d’enrayer l’alcoolisme latent d’une certaine couche de la population et d’éviter la création anarchique de débits de vins et liqueurs, un fort bon nombre de mesures limitatives et préventives ont été prises par le Conseil d’État dans les années 1820-1830.
Que de soucis !
C’est l’organisation de bals dans des maisons écartées qui donnait le plus de soucis aux représentants de l’État vu les difficultés qu’il y avait à surveiller ces maisons.
Pour saisir l’état d’esprit de l’époque, donnons la transcription intégrale de la lettre envoyée en réponse à l’enquête demandée par le Conseil d’État le 19 mai 1829 par l’officier de la Juridiction de Gorgier, M. Meuron
Monsieur de Gouverneur,
Il n’existe à ma connaissance dans la Juridiction de Gorgier, qu’une seule maison écartée où l’on vende (vin) et liqueurs de manière permanente; elle est au fond du Creux du Vent, mais jusqu’ici on n’y a fait aucune partie de danse.
Il y a bien aussi quelques particuliers des Prises qui ont demandé de temps à autre l’autorisation de vendre en détail le vin de leur cru et je n’ai non plus aucun souvenir d’avoir jamais accordé des permissions de danser dans ces maisons pendant qu’on y détailloit du vin. En échange j’ai
été dans le cas d’accorder plusieurs permissions de danser dans les maisons où l’on vend vin et liqueurs situées dans le Village: depuis bien des années on ne m’en a demandé aucune pour danser à Fresens, ni à Montalchez: elles ont été assez fréquentes à Sauges, St Aubin et surtout à Gorgier, et je dois dire que malgré que j’en aye souvent refusé, on n’en dansoit pas moins fréquemment dans chaque commune, chez des particuliers tant aux Prises que dans les villages, tellement qu’à l’occasion des parties qui avoient lieu dans les maisons des Prises, j’ai reçu à diverses reprises des réclamations pour les interdire de la part de parents qui les voyaient avec déplaisir, mais comme il étoit hors de ma compétence de faire suite à de semblables demandes, l’abus dont on se plaignoit a dû subsister.
S’agissant de répondre plus spécialement aux questions de l’arrêt du 19 ct. je dirai 1° que je puis avoir accordé annuellement dix à douze permissions de danser dans des maisons où l’on vend vin et liqueurs situées dans les villages de Gorgier, St Aubin et Sauges en y comprenant celles accordées à l’occasion de noce. C’est moi seul qui ai toujours donné ces permissions à teneur du mandement de 1803. Dans les commencements je permettois de danser jusqu’à 11 heures du soir et même minuit, mais depuis plusieurs années ayant été averti des désordres auxquels ces heures avancées donnaient lieu, j’ai restreint toutes ces permissions à l’heure de clôture fixée par les arrêts du Conseil, c’est-à-dire neuf heures pour les simples cabarets et 10 heures pour les auberges. Il n’y a eu d’exception que pour les veilles de nouvel an qui ne tomboient pas sur un dimanche où j’accordois la permission de danser jusqu’au matin.
2°. Il ne me reste aucun souvenir d’avoir jamais accordé une seule permission de danser dans une maison écartée où l’on vendoit vin et liqueurs.
Pour l’avenir, toute concession, si on en accorde, fait inévitablement augmenter le nombre de cabarets et avec eux les sources de désordres et de ruine d’une foule d’individus, et bien qu’il y ait une époque dans la juridiction, où de tout temps il a été d’usage de danser le dimanche (à la maturité des cerises qui a lieu à la fin de juin ou au commencement de juillet) je ne pense pas qu’il convienne de sanctionner par un arrêt une espèce de droit acquis en fait de danse, il en pourroit résulter de fâcheux inconvénients: car une fois la permission accordée elle sera considérée en quelque sorte comme un ordre de faire, elle en produira tout l’effet et comme les désordres de ces réunions sont occasionnés par le vin et l’heure jusqu’à laquelle elles se prolongent; que d’un autre côté, on trouve dans des granges des particuliers et dans quelques chambres la faciliter de danser souvent sans permission, je pense que loin de faire aucune concession, il y auroit convenance à interdire complètement les danses dans les maisons écartées où l’on vend vin ou liqueurs, et quant aux auberges et cabarets situés dans l’intérieur des villages de maintenir les dispositions du mandement de 1803 en modifiant toutes fois celles de l’art. 11 comme suit: Nous défendons sous les mêmes peines de danser le dimanche dans les auberges et cabarets et dans les maisons écartées où l’on vend vin et liqueurs, à moins à l’égard des dits auberges et cabarets l’officier en chef n’ait donné une permission expresse et particulière, permission qu’il accordera toutes fois qu’avec réserve et seulement jusqu’à 8 heures de soir pendant les mois d’avril, may, juin, juillet et août et jusqu’à 7 heures pendant les autres mois de l’année et moyennant les précautions propres à prévenir tous abus et désordres.
Je suis avec respect J Meuron
Le 1 juin 1829
Dans le haut du canton
Comme autre témoignage retraçant la mentalité de l’époque, donnons un extrait de la lettre écrite par le maire des Brenets, Matile, concernant la pratique des danses dans le haut du canton:
«Anciennement les jeunes gens qu’on appeloit garçons alloient faire visite aux filles du voisinage. Dans le paysage, les jeunes gens de l’un et l’autre sexe sont également estimés; ces visites se faisoient souvent le Dimanche & les soirées en petite société, un garçon n’étoit pas admis à aller faire seul sa cour à une fille, il avoit toujours un ami qui l’accompagnoit, à moins qu’il n’eut été question préalablement de mariage dans la famille. Ces petites réunions dansoient souvent sous les yeux des parents sans musique mais à la voix qui étoit exercée, elle étoit forte et juste. Depuis assez longtemps la mode a changé, on danse dans ma juridiction bien moins souvent, mais en grande réunion, avec la musique et toujours par permission de l’officier, qui fait assister au bal un ou deux gendarmes au frais des danseurs. L’ordre le plus parfait, la plus grande décence règnent dans ces réunions (…). Elles sont beaucoup moins fréquentes en été qu’en hyver et ont lieu communément dans l’auberge, dans les cabarets ou dans les maisons particulières qui ont de grandes chambres, »
La présence des gendarmes est partout requise, même chez des privés. Une heure de fermeture prescrite. À l’exception de la Saint-Sylvestre où l’on peut danser toute la nuit, dans les auberges, les bals devaient se terminer à dix heures.
Marche arrière
Le gouvernement avait, semble-t-il, à cœur de limiter les danses publiques où des rixes pouvaient avoir lieu. Le 29 décembre 1829, il arrêta un projet visant à codifier les danses dans les établissements publics. Les directives suivantes furent données aux officiers. Premièrement, ils devaient veiller que les permissions octroyées ne tombent pas toutes sur les mêmes dimanches afin d’éviter de trop grands rassemblements. Deuxièmement, les permissions devaient être données par écrit et mentionner l’heure de fermeture. Des gens de confiance devaient surveiller la danse et, lors de grandes fêtes, la gendarmerie pouvait mettre à disposition les gendarmes jugés nécessaires; le tout aux frais de l’organisateur. Troisièmement, les auberges et les cabarets de bonne réputation devaient être préférés aux autres et, quatrièmement, il fallait que les officiers tiennent une comptabilité exacte des permissions accordées afin que le Conseil puisse faire des statistiques s’il en exprimait le désir.
Devant le zèle de certains officiers qui ont limité fortement les cas de danse, créant des différences entre les diverses juridictions, le Conseil d’État a abrogé l’arrêt du 29 décembre 1829, le 15 août 1831 afin de remettre en vigueur l’ancien état de chose.
En quelques sortes, on peut dire que l’attitude du gouvernement en 1831 fut réactionnaire puisque le progrès consista à remettre en vigueur les anciennes pratiques issues des us et coutumes.