Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Les vins de Neuchâtel et l’étiquette

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Introduction

À notre époque où tout est réglementé, tout répertorié, catalogué, où l’informatique permet de suivre la trace de n’importe quel produit à travers les divers circuits de consommation, la présence d’une étiquette sur une bouteille de vin semble tout à fait normale. Même, il est presque inconvenant de découvrir un flacon qui en est dépourvu! Notre statut de consommateur exige que nous soyons renseignés sur les marchandises que nous acquérons et des lois veillent pour que les produits vendus soient rigoureusement conformes aux indications données sur les emballages. Les vins n’échappent plus à ces exigences.

Cependant, entre la législation actuelle et l’apparition des premières étiquettes de vins, quel long chemin a été parcouru.

Et celles-ci, à travers le monde, se comptent désormais par millions à tel point qu’il est impossible de dresser des inventaires exhaustifs. Nous nous bornerons donc ici, tout en étant fort lacunaire, à survoler ce que, un peu pompeusement, nous appelons l’histoire de l’étiquette neuchâteloise, soit un regard sur celles qui ont été utilisées dans le pays de Neuchâtel au XIXe siècle, au début de ce siècle et sur quelques exemplaires d’aujourd’hui.

Si le vignoble neuchâtelois ne recouvre maintenant que 615 hectares de vigne et ne compte que quatre-vingts encaveurs, il y a un peu plus de cent cinquante ans, les ceps couvraient une surface de plus de 1300 hectares et les vignerons-encaveurs se comptaient par centaines!

La plupart ne commercialisaient pas leurs vins ou le faisaient dans un cercle restreint. Rares étaient ceux qui exprimaient le besoin de faire connaître leur marque par des supports publicitaires. Une clientèle bien fidélisée suffisait à l’écoulement. Du reste, sur les quelque cinq à six millions de litres produits annuellement, les deux-tiers étaient bus dans le canton; le tiers restant, exporté vers la Suisse alémanique. Et seuls les vins qui sortaient des frontières cantonales avaient besoin avant 1848 de certificat d’origine. C’est le 7 août 1809 que le Conseil d’État avait mis en place cette pratique, afin d’aplanir les difficultés rencontrées avec le canton de Berne. Ces papiers délivrés au début par six fonctionnaires assermentés, puis seize dès 1820, garantissaient la provenance et l’origine des vins qui quittaient le pays. Chaque préposé devait tenir une comptabilité exacte des délivrances qu’il effectuait au cours de l’année puis rendre des comptes au Conseil d’État. Les certificats délivrés servaient ainsi de marque d’appellation; en quelque sorte, ils furent les précurseurs des étiquettes!

La plus ancienne étiquette Neuchâteloise

Il s’agit de celle qui fut utilisée par le Dr Henry-Louis Otz.
Ce médecin, né en 1785 et décédé en 1861, appartenait à une famille originaire d’Ober-Balm établie à Cortaillod au milieu du XVIIIe siècle. Parallèlement à la pratique de la médecine, qui s’exerçait chez eux de père en fils, les Otz avaient acquis à Cortaillod un important domaine viticole dont ils commercialisèrent les produits. Et, pour les vins rouges qu’ils vinifiaient, ils utilisèrent, dès les années 1820, une étiquette particulière.
Gravée sur bois en planche de huit exemplaires et tirée sur des feuilles qu’il fallait découper avant de pouvoir les utiliser, sans doute par un ouvrier travaillant dans une des fabriques d’indiennes de Cortaillod, cette étiquette présente de petites différences entre les spécimens d’une même planche, dues à la répétition de la gravure.

L’intérêt de cette étiquette réside principalement dans l’image qu’elle présente. À l’instar de la mode mise en place par les védutistes suisses, elle offre un regard topographique sur Cortaillod. Et rares en effet sont les anciennes vues de ce village, dont l’iconographie ancienne reste fort modeste. Seule une estampe d’Abram-Louis Girardet, parue en 1797 dans les Etrennes historiques et intitulée «Vue de Cortaillod prise du sud-ouest», donne presque le même regard sur le village. Cependant, les visées recherchées par Girardet et le graveur anonyme de l’étiquette sont très différentes. Girardet a respecté assez fidèlement le paysage et la topographie du site alors que l’étiquette n’offre que la silhouette générale du village, puisque plusieurs immeubles ont été contractés ou carrément supprimés.

Pour saisir Cortaillod sous cet angle, le dessinateur de l’étiquette s’est placé sur une petite colline au lieu-dit la Rondinière. De là, on embrasse tout le village ainsi que son port, hameau dit le Petit-Cortaillod, supprimé ici par le dessin du tronc d’arbre et du pampre de vigne.

Datation de cette étiquette

Certains affirment que cette étiquette aurait été utilisée depuis 1796, comme une reprise de cette vue, il y a une trentaine d’année par une cave coopérative de Cortaillod, l’indique. Cependant, cette datation est erronée: premièrement parce que l’étiquette originale porte en légende «Cant de Neuchatel en Suisse» et que Neuchâtel est devenu canton suisse le 12 septembre 1814; deuxièmement, à cause de la redingote et du chapeau du propriétaire, qui sont propres à la mode de la Restauration.
Et troisièmement, on sait que la maison située tout à droite fut bâtie en 1801 et qu’avant cette date, cette parcelle était en vigne. L’importance du verger au sud de la maison laisse bien penser qu’il est planté depuis une bonne vingtaine d’année!
Tout concourt donc à dater cette étiquette aux alentours de 1820.

Une scène de vie viticole

Au-delà de ces considérations chronologiques, cette étiquette intéresse à plus d’un titre l’historien du vignoble. En effet, elle met en scène le propriétaire, en l’occurrence le Dr Henry- Louis Otz, avec un vigneron, portant hotte et croc ou fossoir, au pied d’un arbre qui est un mûrier. En effet, à la fin du XVIIIe siècle, on avait tenté à Cortaillod la culture du ver à soie, plantant là de nombreux mûriers. Cette sériciculture avait été introduite afin d’éviter les pénuries de coton dont les fabriques d’indiennes pouvaient souffrir.

Les bourgeois avaient alors recours aux vignerons-tâcherons, auxquels ils remettaient leur domaine à cultiver selon divers types de contrats allant du simple métayage au salariat. Toutefois, les bons propriétaires veillaient à ce que les différentes saisons à donner aux vignes soient correctement effectuées. Pour cela, ils se groupaient en associations ou compagnies de vignerons afin de réglementer et surveiller, par de fréquentes visites menées par des experts, le travail des vignerons, qui étaient récompensés ou mis à l’amende selon la qualité du travail fourni.

Le vin de Cortaillod

Ce village, célèbre pour la civilisation néolithique qui porte son nom, l’est aussi pour son clone de pinot noir homonyme. Au début du XIXe siècle, la production des deux mille ouvriers de vigne du cru était d’environ 320 bosses, soit 295.000 litres par année, dont 120.000 litres étaient consommés sur place, dans les cabarets ou chez les particuliers comme nous l’apprend Moïse Matthey-Doret dans sa Description topographique et économique de la Mairie de Cortaillod. Le reste était exporté. À cet égard, le port du Petit-Cortaillod jouait un rôle considérable. Pour rappeler l’importance des transports par bateau, l’artiste a dessiné une barque chargée de tonneaux, qui évoque la fameuse route de Soleure, soit de la Suisse allemande, grande consommatrice de vins de Neuchâtel.
Est-elle vraiment la plus ancienne étiquette à vin du pays? Nous pouvons l’admettre si nous prenons comme critère le fait qu’elle ait été gravée et imprimée. Cependant, certains vignerons posaient sur leurs bouteilles des étiquettes manuscrites dont les millésimes fort anciens pourraient susciter la convoitise de nombreux amateurs! Néanmoins, cette étiquette fut précédée par des exemplaires utilisés pour des alcools ou de l’absinthe, qui prouvent que, dès la fin du XVIIIe siècle, des Neuchâtelois se sont préoccupés de donner des marques aux produits qu’ils commercialisaient. Par exemple, la maison DuPasquier de Gélieu de Colombier fit imprimer des feuilles pour permettre l’étiquetage de leurs alcools: «PARFAIT AMOUR», «CREME de NOYAUX fine», «ANISETTE FINE de BORDEAUX», «CURACAO fin», «EAU de CANELLE».

Le millésime 1834

Parmi les années exceptionnelles que la viticulture du XIXe siècle a connues, il en est une qui fut unanimement reconnue à travers tous les vignobles d’Europe comme la plus fameuse, c’est 1834. En Champagne, les vins de cette année furent millésimés; dans les vignobles allemands, de nombreuses étiquettes furent alors imprimées; il en fut de même en Suisse. À Neuchâtel, on vendangea le 24 septembre et la récolte fut qualifiée d’excellente et d’abondante; les vins rouges étaient parfaits. Auguste L’Hardy d’Auvernier la commente ainsi.»En 1834, la récolte des vignes a été très abondante, surtout dans les terres légères & dans les vignes tardives & élevées des Villaret, Creux de Boudry, & ca… Les bonnes vignes dans les fortes terres du bas n’ont pas donné dans la proportion des terres légères. Il y a plusieurs vignes de très bas prix de 5, 6 ou 7 Louis l’ouvrier (de 342 mètres carré) qui on rapporté en 1834, le 25% d’autres le 50%, d’autres le 75% de leur capital; mais cela arrive très rarement & de mémoire d’homme on n’a fait une récolte aussi abondante. Il y a du vin & du vin…»
Pourtant l’étiquette que nous conservons pour le vignoble neuchâtelois et qui annonce fièrement ce millésime n’a pas été dessinée en 1835 mais après 1848 comme la présence des armes de la République et Canton de Neuchâtel l’atteste.

Ainsi, le vin blanc proposé à ce concours agricole de Colombier au prix de deux francs était un vin qui avait quinze ans d’âge. On peut se demander si un Neuchâtel blanc de quinze ans était encore buvable. Pour répondre à cette question, il faut se pencher sur les pratiques de vinification en usage à l’époque. Un texte anonyme de 1822 nous apprend: «Les vins blancs ou rouges de Neufchatel sont conservés dans de grands tonneaux d’une contenance de 6000, 10.000 jusqu’à 20.000 litres et au delà. On les sépare de leur lie en les soutirant aux mois de Mars et d’Avril de l’année qui suit la vendange. Les blancs se conservent en tonneaux pendant 6 à 8 ans. Les rouges, étant plus délicats, se conservent moins longtemps. Pour avoir des vins dans toute leur bonté, on les met en bouteilles dès la seconde ou la troisième année, alors on peut les garder 15 à 20 ans.»

Et à la question de savoir quels sont les vins qui se conservent le mieux, l’auteur répond: «Les vins blancs se conservent plus longtemps que les rouges. Les uns et les autres perdraient de leur force et de leur arôme par un séjour dans des tonneaux prolongé au delà de 5 à 6 ans. Les vins faibles que produisent certaines localités demandent seuls à être bus dans l’année qui suit la récolte.»

À l’instar de nombreux autres documents, ce texte prouve que nos ancêtres préféraient les vieux vins blancs. Ceux-ci prenaient de la couleur et se madérisaient quelque peu, qualité recherchée à l’époque. De plus, l’absence d’une chaptalisation favorisait le vieillissement.

Cependant, les viticulteurs de l’époque n’essayaient pas systématiquement de conserver longtemps leurs vins. La plupart du temps, ils les commercialisaient le plus rapidement possible, surtout si l’année avait été moyenne ou médiocre. Dès que le vin était jugé prêt, il était mis sur le marché à un prix souvent plus élevé que celui du vin de l’année précédente. En suivant l’évolution du prix du vin au cours des mois, on remarque fréquemment que sa valeur chute avec l’arrivée de l’été, laissant supposer qu’il perdait de sa qualité, voire qu’il se piquait ou s’oxydait. Seuls quelques millésimes de garde et des vins qui étaient conservés en bouteilles pouvaient voir leur prix augmenté au cours du temps.

D’après certains témoignages, au début du XIXe siècle, le commerce n’était plus aussi facile que durant le dernier tiers du XVIIIe. Un grand nombre de mauvaises années (1810, 1813, 1816, 1817, 1821, 1823, 1829, 1830, 1831) a mis à mal les vignerons à tel point qu’Auguste L’Hardy peut écrire: «À présent que les affaires et le commerce de vin devient très difficile & qu’il faut des vins choisis: pourquoi ne spécule-t-on pas sur du vin choisi absinthé ou non qu’on mettrait en bouteilles en mars sur sa lie, qui mousse comme du Champagne et qui est goûté et bu comme une liqueur?»
Cette pensée permet de comprendre pourquoi les frères Bouvier se sont lancés dès 1811 avec succès dans l’élaboration de vins de Neuchâtel mousseux. Il leur semblait en effet nécessaire de trouver d’autres débouchés pour les vins. L’Hardy dit: «Si la population a beaucoup augmenté, on boit cependant beaucoup moins et l’on voit moins de soulons que ci-devant en France & partout.» Il convenait de trouver donc d’améliorer la qualité des vins locaux pour concurrencer les importations de vins étrangers.

Dès le milieu du XVIIIe siècle, avec le développement des premiers encavages commerciaux, des vignerons commencèrent à mettre plus fréquemment du vin en bouteilles, choisissant pour cela des vins qu’ils jugeaient dignes d’être conservés et vieillis, suivant ainsi la mode et le goût des habitants des Montagnes neuchâteloises qui préféraient les vins vieux aux jeunes, habitués qu’ils étaient aux vins de France, dont ils faisaient le commerce malgré la résistance farouche des habitants du Vignoble, qui souhaitaient des mesures protectionnistes.
Cependant, les années où les vins étaient jugés dignes d’être embouteillés ne se suivaient pas systématiquement et il était fort fréquent que deux ou trois bonnes années soient suivies par une série de fort mauvaises. Des vignerons affirment alors qu’une récolte sur quatre mérite la bouteille!

Dans son journal, Auguste L’Hardy d’Auvernier nous dit à ce propos: «Dans le Vignoble, on boit toujours les vins nouveaux et les mauvais vins; au Val-de-Ruz & hors du Vignoble, c’est toujours des vins vieux des bonnes années. En 1835, on buvait hors du Vignoble avant le soutirage que des 1832 et 1833. En 1836, on ne boit que des 1834 & pas de 1835; en sorte qu’il faut toujours des vins vieux des bonnes années.» On considère donc les vins qui ont plus d’une année comme vins vieux.

Les premières bouteilles étaient soufflées à la main et toutes avaient une forme différente. Le verre lui-même pouvait être fort épais d’un côté et fort mince de l’autre. Au moindre choc, ces bouteilles se cassaient. Auguste L’Hardy confirme: «En août 1835, je mis en bouteille environ 800 bouteilles de vin de 1834 de choix. Le vin travaillait dans les bouteilles qu’on a entassées de suite. Des bouteilles sautoient déjà en entassant. Etant dans le cas de remuer des bouteilles d’une case d’environ 80 bouteilles, j’en ai trouvé 29 cassées dont 3 à 4 non vuidées mais coulant étant cassées: je remarque que le verre des bouteilles de Semsales est plus cassant que le verre de France Vieille Loye et Bélieux. Je ne remettrai jamais en bouteilles si vite: il faut attendre les fraîcheurs de septembre ou bien au mois de mars suivant, alors le vin est vif et ne dépose pas dans les bouteilles; il faut laisser faire le vin mousseux à Mrs Bouvier et autres. On dit qu’il ne faut pas d’abord entasser les bouteilles après les avoir bouchées.»

L’Hardy précise encore: «Il est de fait que nos vins mis jeunes en bouteilles sont meilleurs et se gardent beaucoup plus longtemps que quand on attend trop tard. Il faut que le vin soit parfaitement limpide pour le mettre en bouteilles surtout en mars sur sa lie et pour y parvenir, il faut le mettre en perse pendant quelque temps et en tirer de temps en temps quelques bouteilles; alors il s’éclaircit plus promptement.»
Les effets de la fermentation malo-lactique étaient fort mal maîtrisés et l’impossibilité que les vignerons avaient de pouvoir chauffer ou refroidir leurs caves à leur guise impliquait que cette deuxième fermentation survenait avec le retour de premières chaleurs durant le mois de mars. Mettre alors les vins en bouteilles, c’était encourir que celles-ci explosent sous l’effet de cette prise de mousse non désirée. Le témoignage de L’Hardy est à cet égard révélateur.

Et avant d’utiliser des bouchons en liège, les vignerons fermaient leurs flacons avec des chevilles en bois entourées d’étoupes. Ils badigeonnaient ensuite les goulots avec une sorte de goudron. Cette manière de faire n’assurait pas une étanchéité parfaite et par voie de conséquence, une garantie de vieillissement optimale.
La venue du liège au cours du e siècle permit des bouchages de bien meilleure qualité, bien qu’il fallût encore choisir les bouchons en fonction des bouteilles qui n’étaient pas calibrées.
Quant aux bouchons eux-mêmes, avant de pouvoir les employer, ils devaient subir quelques opérations décrites dans les articles 4,5 et 6 d’un placard de la fin du XVIIIe siècle intitulé «Manière de mettre en bouteilles les vins rouges de Neuchâtel». Il est intéressant de les citer:
« 4. On se sert toujours de bouchons neufs en liège fin, que l’on prépare avec un pressoir, qui en comprime fortement les pores. Ce pressoir est composé de deux lames de fer qui tiennent ensemble par une charnière, & qui présente intérieurement deux encoches pour y mettre & presser les bouchons; ce qui se fait à la faveur d’un manche qui termine l’une des lames, tandis que l’autre est fixée par deux vis à un bloc de bois pour donner l’appui.»
«5. Les bouchons étant ainsi pressés; à mesure qu’un ouvrier remplit les bouteilles, un second choisit pour chaque bouteille un bouchon qui y entre bien difficilement, & se contente d’abord de le faire entrer avec la main aussi avant que possible.»
«6. On tape ensuite les bouchons avec un petit marteau de bois, en observant avant de taper, de tremper le bout du bouchon dans un verre de même vin, pour le rendre plus glissant; le bouchon tapé, on passe la main dessus, pour enlever toute humidité.»

Ces opérations montrent à l’envi à quel point une mise en bouteille à la fin du XVIIIe siècle relève du pur artisanat. Quant aux bouchons eux-mêmes, ils coûtaient relativement cher. Même, au gré des ans, leur prix variait. Par exemple, en 1790, cent bouchons se vendaient six batz, soit l’équivalent d’une journée de travail d’un vigneron-tâcheron. En 1793, 7 batz; en 1796, 13 batz; en 1798, 9 batz.

Les premières bouchonneuses firent leur apparition au cours du XIXe siècle. En bois d’abord et souvent de fabrication artisanale, elles furent ensuite fabriquées par des maisons spécialisées.

« 7. Après quoi on goderonne les bouteilles avec un goderon composé d’une livre de poix blanche, autant de poix résine, & de trois lots de térébenthine, avec une cuillerée d’huile.»

À ce propos, L’Hardy ajoute: «Le goudron pour goudronner les bouteilles se vend chez les apothicaires à 5 batz la livre; on le fond dans une casse & on l’entretient chaud sur un chaudron de braise; étant fondu on plonge un peu le bout de la bouteille dedans, on tourne un peu la bouteille dedans puis en sortant la bouteille on la tourne encore pour que le goudron fondu et chaud reste sur le bouchon & ne coule pas par terre. Cette opération va très vite quand on a l’habitude. Le goudron donne un peu de relief au vin & à la bouteille & surtout conserve le bouchon contre les vers qui les rongeraient, surtout le vin destiné à garder longtemps.»

Il semble donc qu’en 1834, on se préoccupait davantage des problèmes de mise en bouteilles que de l’étiquetage des vins, en tout cas à Neuchâtel pour les vins courants. Cependant, comme le millésime 1834 s’est révélé avec le temps devenir un nectar hors norme, il est fort possible que des négociants firent imprimer quelques années plus tard des étiquettes de ce millésime, profitant ainsi de valoriser avec de telles vignettes un cru aussi exceptionnel. Ceci expliquerait le grand nombre d’étiquettes portant ce millésime, surtout pour les vins du Rheingau.

De l’usage de la lithographie

La plus ancienne étiquette neuchâteloise fut certainement gravée sur du poirier à l’instar des bois d’impression pour les indiennages. Cependant, c’est le développement de la lithographie inventée en 1796 par Aloys Senefelder (1772-1834) qui va permettre le développement des étiquettes pour le vin. Dans le pays de Neuchâtel, plusieurs ateliers de lithographes virent le jour. Le premier fut ouvert en 1822 à Cornaux par Ferdinand-Louis Gagnebin (1783-1850) avant d’être déplacé à Neuchâtel en 1831. Parmi les autres ateliers, il faut citer celui de Prince- Wittnauer qui fut repris en 1831 par Charles-Rodolphe Weibel-Comtesse (1796-1856), puis en 1837 celui de Louis-Ami-Hercule Nicolet (1801-1872), qui utilisa la chromolithographie et qui fit faillite en 1845. Dans la procédure de liquidation, il est dit que des milliers d’étiquettes furent alors livrées à Bouvier & Cie, fabricants de vins mousseux.

Tout au long du siècle, d’autres ateliers virent le jour et imprimèrent des étiquettes, tels Furrer, Sonrel, Gendre, Château, Givord, etc…
L’atelier lithographique Gendre s’est même spécialisé à la fin du XIXe siècle dans l’impression d’étiquettes, tant pour les alcools et spiritueux que pour les vins comme l’attestent d’innombrables étiquettes.

Des étiquettes pour des  mousseux

C’est au vin de Champagne que nous devons la diffusion d’étiquettes romantiques à partir de 1840. Les techniques de la lithographie sont alors à leur apogée. Les bleus, les ors, les argents, les noirs donnent à ces vignettes une qualité et une richesse incomparable.

Pour que leurs produits ne dépareillent pas ceux de la Champagne, les frères Bouvier utilisèrent aussi des étiquettes où l’argent et le bleu dominaient. Leur qualité de fournisseur breveté de Sa Majesté le Roi de Prusse ajoutait du panache et du sérieux au produit proposé.

De 1811 à 1829, ils furent les seuls à élaborer des vins mousseux à partir de raisins neuchâtelois, utilisant toutefois les procédés de vinification affinés tout au long du XVIIIe siècle par les vignerons champenois. Il faut dire que le caractère carbonique des raisins neuchâtelois convient parfaitement à la maîtrise d’une fermentation en bouteille génératrice d’une prise de mousse.

En 1829, une concurrence apparaît avec la création à Môtiers d’un établissement de vins mousseux du pays, de vins non mousseux suisses et étrangers, de liqueurs, d’eaux-de-vie, d’absinthe et de fromages, fondé au prieuré Saint-Pierre par Abram-Louis Richardet. Toutefois, dès le départ, cet établissement eut à souffrir de difficultés financières dues à l’impossibilité que Richardet avait à faire entrée dans le Vignoble les bouteilles de vins mousseux qu’il souhaitait écouler, bien que le raisin provienne du Vignoble et en particulier de Cortaillod. En effet, le 12 avril 1831, le Conseil d’État avait refusé à Louis Richardet l’exemption de droit exigé des vins étrangers qui entraient en bouteilles dans le Vignoble car on considérait que le fait qu’ils fussent élaborés au Val de Travers n’en faisait pas des vins de Neuchâtel! On avait surtout peur qu’il utilise des vins venant de France! Toutefois, on lui accorda des actes d’origine et de fabrication pour les vins exportés afin d’empêcher qu’une faillite soit prononcée.

Cette situation impliquait que Richardet ne pouvait écouler ses produits sur le Littoral qu’en s’acquittant des droits d’entrée auxquels étaient soumis les vins étrangers. Pour le reste du territoire cantonal, il jouissait des mêmes droits que les habitants du Locle ou de La Chaux-de- Fonds. Son commerce ne pouvait être viable qu’en exportant ses vins.

En 1833, les Établissements de la Rochette, dont le but était de promouvoir les vins de Neuchâtel hors du Vignoble, se mettent aussi à élaborer des vins mousseux. En 1835, cette maison passe entre les mains des frères Virchaux qui quittent la Rochette pour s’installer à Saint- Blaise. Un quatrième manipulant se lance en 1838 dans l’élaboration de vins mousseux: il s’agit d’Auguste Leuba de Colombier.

Suite à de longues tractations, le Conseil d’État de Neuchâtel avait obtenu le privilège de faire entrer annuellement 40.000 bouteilles de vins mousseux dans les États et l’Union douanière allemande en ne payant que les 2/5 des droits d’entrée normalement exigés. Si les frères Bouvier étaient à l’origine les seuls à profiter de ce privilège, qui leur avait été attribué par décret royal, ils durent avec le temps le partager avec les autres maisons, ce qui fut source de divers conflits.

En 1838, la maison Bouvier a manipulé 125.000 bouteilles de vin mousseux. Dans une lettre au Président du Département des finances datée du 31 octobre 1839, Jean-Jacques Bouvier rappelle: «Nos affaires prennent de jour en jour une plus grande extension; toute notre sollicitude tend à bonifier la qualité de nos vins mousseux & à en augmenter la réputation dans l’étranger. Ceux de notre dernier tirage seront d’une qualité supérieure à tout ce que nous avons fait jusqu’ici.

Nous avons l’espoir fondé d’expédier très prochainement & toutes les années notre contingent de 20 mille bouteilles dans les États de l’Union des Douanes Allemandes & il serait bien fâcheux pour nous d’être exposés à tout moment à nous en voir retrancher une partie.
Vous savez, Messieurs, que c’est à nous que l’on doit l’introduction de cette industrie dans notre Vignoble & que c’est nous qui avons fait tous les frais & les démarches nécessaires pour obtenir un privilège qui d’abord nous était personnel…»

Comme le contingent annuel n’avait jamais été épuisé, l’État en avait réparti la jouissance entre les trois, puis les quatre maisons de mousseux existantes alors, en se basant sur les expéditions réelles qui étaient faites par chacune d’elles. Les comptes étaient faciles à tenir puisque chaque départ de bouteilles était accompagné d’un certificat d’origine. Cependant, chaque année, ces maisons essayaient de remettre en cause la répartition fixée par l’État pour obtenir une meilleure part de marché.

Pourtant, en 1842, alors que ce privilège semblait être remis en cause par la Direction générale de l’Union des Douanes à Carlsruhe, elles firent front commun pour demander à l’État d’intervenir pour que les droits acquis soient conservés. Dans une lettre datée du 24 décembre 1842 adressée au Conseil d’État, il est dit: «L’arrêt de la direction générale interdit l’entrée ou au moins ordonne de soumettre au plein droit tout vin mousseux désigné comme vin neuchâtelois & dont l’étiquette serait en contradiction avec le certificat d’origine et cela lors même que les certificats & le plombage seraient en tout point conformes au règlement.
On concevra aisément que si cet arrêt reçoit son exécution, notre industrie en recevra un préjudice considérable; en effet quoique nos vins puissent par leur qualité faire concurrence aux vrais champagnes, cependant cette concurrence ne peut se maintenir au moins pour le moment présent qu’autant que les bouteilles sont munies d’étiquettes au gré des commettants; il ne faut point se dissimuler qu’il existe encore une prévention générale contre tous les vins qui ne portent pas une étiquette française, il serait inutile de lutter contre cette prévention qui ne peut être détruite qu’à la longue; c’est à quoi tendent tous nos efforts, comme à l’accomplissement de notre intérêt le plus pressant; car il est bien clair que lorsque nous serons arrivés au point où notre marque & nos étiquettes seront demandées; ce sera seulement alors que nos efforts seront couronnés de succès et que le perfectionnement de nos produits leur vaudra une réputation justement méritée.»

Peu importe ici de savoir comment ce conflit fut résolu. Disons simplement qu’il le fut. Cette lettre, en revanche, atteste que les bouteilles de vins mousseux étaient expédiées étiquetées. Il fallait donc mettre des étiquettes aux vins qui sortaient du pays, surtout si l’on voulait rivaliser avec les produits champenois. L’étiquette devenait l’image représentative des maisons! La nécessité de se démarquer impliqua les marques et par voie de conséquence, les étiquettes!

On comprend dès lors aisément que la maison Bouvier ait fait imprimer des milliers d’étiquettes par Nicolet et ait exigé de récupérer les lots tirés dans la masse en faillite de cet atelier de lithographie.
Les autres maisons firent sans doute de même. Et comme il fallait que les étiquettes aient la même tenue, voire la même qualité que celles utilisées en Champagne, les maisons neuchâteloises imitèrent les impressions champenoises tant dans les couleurs que dans le graphisme.

Dans les dernières années du XIXe siècle, d’autres maisons neuchâteloises proposèrent des vins mousseux appelés simplement «Champagne», vu que le terme n’était pas encore protégé et réservé exclusivement aux vins issus de la Champagne viticole. Par exemple, Emile Haller Fils, négociant à Neuchâtel, fait imprimer à la lithographie F. Gendre une étiquette proposant un «CHAMPAGNE Grande Marque Suisse» qui aurait obtenu une médaille d’argent à Paris en 1889. Les Virchaux, quant à eux, proposent tout simplement des «Champagne de Neuchâtel»!

De l’Œil-de-Perdrix et des vins rouges d’hier

L’œil de perdrix n’est pas qu’une petite tumeur douloureuse de l’orteil, c’est avant tout en Suisse l’extraordinaire vin de Neuchâtel tiré d’un pinot noir légèrement cuvé qui faisait dire au comte d’Escherny dans une lettre à Jean-Jacques Rousseau: «Les vins de Cortaillod, dans les bonnes années sont aussi bons que les meilleurs vins de Bourgogne.»
Aujourd’hui, cette remarque paraît totalement déplacée et quiconque de quelque peu sensé n’oserait une telle comparaison.

Au XVIIIe siècle pourtant, cette assertion était tout à fait plausible. En deux cents ans, l’art de la vinification a fait des progrès considérables et les goûts ont évolué. À l’époque, les Pommard et les Volnay n’étaient que légèrement teintés et fort légers à l’instar des vins rouges de Neuchâtel. Et comme les uns et les autres proviennent de pinot noir, la confrontation se comprenait et se justifiait!

En Bourgogne comme en Champagne, ainsi que l’attestent quelques anciennes étiquettes, le nom «œil-de-perdrix» fut utilisé au XIXe siècle pour présenter des vins rosés ou clairets, soit des rouges peu ou pas cuvés, voire des rouges mêlés de pinot blanc, comme le dit Pigerolle de Montjeu. De plus, dans certains encavages bourguignons, lors du pressurage, on alternait sur la table du pressoir des lits de paille et des lits de raisin, de peur que le vin ne soit encore trop rouge.

En Bourgogne donc, pour obtenir cet oeil-de-perdrix, on assemblait généralement moût de rouge et moût de blanc alors que dans le canton de Neuchâtel, on n’emploie que du pinot noir sans cuvage. On appelait aussi autrefois ce vin «blanc de rouge».

L’œil-de-perdrix, avant de prendre une majuscule et ses lettres de noblesse en terre neuchâteloise, est un vin qui de rose à ses débuts, acquiert avec le temps une nuance plus sombre – l’œil de la perdrix – puis, en vieillissant davantage un ton mordoré qui rappelle certains muscats.

Dans le canton de Neuchâtel, pour le millésime 1861, Louis Bovet, propriétaire encaveur à Areuse, fit imprimer une étiquette particulière portant la mention «Œil de Perdrix». Sans que l’on sache si celle-ci est la plus ancienne ou la première qui atteste de la différence que les viticulteurs faisaient entre leurs vins rouges, elle prouve en tout cas que la tradition de l’œil de perdrix en pays de Neuchâtel n’est pas récente et qu’elle remonte à des temps immémoriaux, comme les amis de Rousseau nous le prouvent.

Quant à l’appellation «Œil-de-Perdrix», elle ne s’est propagée dans le public qu’avec la généralisation de l’usage de l’étiquette pour les vins, soit une pratique somme toute moderne puisque les vins du canton de Neuchâtel n’ont commencé à être systématiquement habillés qu’avec les années vingt de ce siècle! Par parcimonie, pour l’œil-de-Perdrix, la plupart des vignerons se contentèrent tout d’abord d’utiliser des étiquettes traditionnelles, rajoutant simplement sur la bouteille une mention spécifique.

Les étiquettes spécialement imprimées pour des Œil-de-Perdrix restèrent donc fort rares avant les années soixante.
Ce n’est que dans les années d’après-guerre que l’Œil-de-Perdrix a commencé son irrésistible ascension vers la notoriété. Les Neuchâtelois de l’époque auraient dû en faire une marque déposée propre à un produit typique de leur terroir.

Avec l’emploi d’un terme anecdotique et marginal de la viticulture du passé, les premiers, ils avaient élaboré un vin racé portant haut le nom de Neuchâtel. Victimes d’un excès de confiance, ils avaient supposé qu’ils seraient les seuls à utiliser ce joli nom. Quelle ne fut pas leur stupéfaction de le voir attribuer à d’autres vins rosés, et cela même par voie fédérale officielle, suite au refus d’accepter au début certaines dénominations locales comme, pour le Valais, «Dole blanche»!

Mais les œnophiles ne s’y trompent pas. Aujourd’hui, même si des vins d’ailleurs portent cette appellation, le véritable Œil-de- Perdrix reste avant tout un produit caractéristique du terroir neuchâtelois.

Soyons économes: des passes-partout

Avant la systématisation des bouteilles, les vins étaient usuellement livrés en barriques ou en tonneaux. Les acheteurs pouvaient dès lors soit tirer le vin au pichet ou à la channe ou procéder eux-mêmes à une mise en bouteilles. Pour marquer ces dernières, des étiquettes passe-partout furent imprimées durant la seconde moitié du XIXe siècle. Nous en trouvons pour tous les vignobles importants. Pour le canton, celles-ci portent avant tout le nom «NEUCHATEL» ou les noms de certaines communes viticoles réputées comme «CORTAILLOD».

Pour les vins rouges, les exemplaires les plus courants sont ceux imprimés sur papier glacé noir avec des lettres et un filet d’encadrement d’or, ou sur papier blanc, pour les vins blancs.
Toutefois, des modèles plus recherchés furent aussi proposés. Certains présentaient des décors plus fouillés avec des feuilles de vigne et des grappes, voire des impressions en plusieurs couleurs.
Avec le XXe siècle, cette pratique perdura et de très nombreuses étiquettes semblables furent utilisées par des producteurs différents qui ne faisaient qu’ajouter leur raison sociale sur des modèles standards. Les grandes imprimeries tenaient en effet à la disposition de leurs clients des archétypes spécifiques imprimés propres à tous les vignobles.

Cette manière de faire permet de retrouver de très nombreuses étiquettes semblables sur le fonds qui ne divergent que par leurs raisons sociales. Une certaine pérennité des motifs traversent ainsi le siècle jusque dans les années septante.
Il est clair que les petits encavages pouvaient ainsi posséder des étiquettes à moindre frais. Il faut aussi rappeler que bon nombre d’entre eux ont actuellement disparu, cédant le pas à un professionnalisme de plus en plus exigeant.

Des encavages, des encaveurs

Avec l’avènement de la République en 1848, les anciens privilèges viticoles dont le Vignoble faisait état disparaissent et les habitants de l’ensemble du canton jouissent des mêmes droits et devoirs.
Le canton connaît alors le développement d’un assez grand nombre de commerces de vins, d’absinthe et d’alcools, tant sur le Littoral, que dans les Montagnes et au Val de Travers, berceau de la Fée verte. Ces négociants, rompus aux pratiques de l’exportation, ressentent le besoin de doter leurs bouteilles d’étiquettes portant leur marque. Ils en font donc imprimer des milliers auprès des ateliers lithographiques du canton ou même en font venir de France, par exemple de Potiers où ils passent commande chez Gué Fils.

Il s’agit par exemple des maisons Auguste Fivaz, le successeur de Gustave Guy, Emile Haller Fils à Neuchâtel, Leuba à Colombier, Dardel-Thorens à Saint-Blaise, Pernod, Légler, Roessinger à Couvet, von Almen et Kopp à Fleurier, Courvoisier-Grosclaude au Locle, et tant d’autres qu’il serait fastidieux de citer.
En plus de ces marchands de vins et spiritueux, il convient de citer de purs encavages comme Auguste Porret à Cortaillod, Charles Cortaillod, Samuel Chatenay à Auvernier, Clottu-Bernard à Saint-Blaise, Henry-Louis Henry à Peseux, Edmond Bovet, Paul Reuter à Neuchâtel, etc…

Toutes ces maisons avaient leurs propres étiquettes qui pour la plupart présentent des armoiries familiales, communales, cantonales et fédérales, sans compter les multiples références à des médailles d’argent ou d’or gagnées dans d’innombrables concours. Celles-ci étaient vues comme une caution de qualité. Elles faisaient aussi la fierté des viticulteurs de l’époque qui n’hésitaient pas à présenter leurs vins tant à Londres, Paris que Bruxelles.
Si certaines sont simplement noires et blanches, d’autres rivalisent de couleurs ou d’or et d’argent.
Parmi les plus riches, il convient de citer celle émise par Auguste-Henri Porret (1821-1898) pour le millésime 1859. Tirée en planche de six exemplaires avec des croix de marquage, elle devait être préalablement découpée avant de pouvoir être placée sur les bouteilles. Une autre tout à fait remarquable de ce même encavage représente une simple feuille de vigne, que l’on trouve millésimée ou déjà entièrement découpée.

Les Neuchâtel à travers le monde

Au cours du XIXe siècle, avec le développement des moyens de transport, des encavages se lancèrent dans des exportations de vins à travers le monde, principalement en direction des Amériques.
Par exemple, une lettre datée du 11 avril 1850 de Mexico d’un certain C. A. Fornachon dit qu’on ne connaît là «que les vins de Bordeaux et d’Espagne, qui sont dans ce moment très bon marché, ceux de Neuchâtel n’étant pas très spiritueux arriveraient piqués & outre qu’ils ne se vendraient pas parce qu’ils ne sont pas connus, ils reviendraient à des prix très élevés, pouvant ainsi nullement soutenir la concurrence de ceux de Bordeaux qui laissent aujourd’hui une grande perte en raison de leur abondance. J’attends sous peu pour mon usage une caisse de vin blanc et rouge de Cortaillod 1846 que je verrai arriver avec plaisir en bon état, mais je n’y compte guère, les vins de bourgogne sont aussi très susceptible de se piquer, c’est pourquoi on a renoncé à en faire venir.»

Cette lettre prouve simplement que des négociants souhaitaient alors mettre en place un commerce d’exportation pour les vins neuchâtelois. Une autre lettre envoyée de Cincinnati, du 25 octobre 1872, propose à l’encavage de Bellevaux de Neuchâtel de tenter une commercialisation de vins vers les USA.

Ces deux exemples attestent que des vins de Neuchâtel partaient ainsi à la conquête du monde. Il faut dire que les blancs supportaient mieux les voyages que les rouges, grâce à leur caractère carbonique naturel.
S’il est difficile d’estimer la quantité de bouteilles qui partirent alors outre-mer, il convient cependant de présenter une étiquette qui témoigne de ces exportations. Celle-ci porte un nom de fantaisie: «Calame Tuillière & Cie»; un toponyme de Cortaillod: «CRATALUP»; le pays «SUIZA» et la raison sociale du négociant: «MARCHAND & SANDOZ» au-dessus de laquelle on lit: «Solos ajentes en Colombia» et en dessous: «BOGOTA». Cette étiquette couvrait en réalité des bouteilles qui provenaient de l’encavage Porret de Cortaillod. Et ces dernières furent dégustées en 1887 lors de l’inauguration d’un tronçon du Canal de Panama!

En plus de cet exemplaire, de nombreuses étiquettes pour des mousseux de Neuchâtel portent des indications qui témoignent qu’elles étaient utilisées pour l’exportation vers l’Australie et les Amériques.

Les vins de fêtes

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le canton de Neuchâtel abrita quelques fêtes fédérales importantes. Parmi elles, il convient ici d’en citer deux. Premièrement la Vème Exposition Suisse d’Agriculture qui s’est tenue à Neuchâtel du 11 au 20 septembre 1887 sur les terrains gagnés sur le lac offert au lotissement du quartier des Beaux-Arts. Au cours de cette exposition, des concours de dégustation de vins eurent lieu et des médailles d’or et d’argent furent attribuées. Le vin blanc d’honneur de cette manifestation fut un blanc de 1884 qui s’est vendu 1,20 franc la bouteille.
Deuxièmement, il faut évoquer le Tir fédéral de La Chaux-de-Fonds de 1863 pour lequel une étiquette spéciale fut imprimée à Mulhouse à la lithographie A. Massip pour le vin d’honneur.
Par la suite d’autres étiquettes spéciales furent émises à l’occasion de diverses manifestations comme par exemple la Fête cantonale de gymnastique de 1905 à La Chaux-de-Fonds.

Des faiseurs d’étiquettes

Edmond Bille (1878-1959), que les Valaisans ont adopté, est né à Valangin. Toutefois, avant de déranger le Valais du début du siècle par son non-conformisme, en plus d’affiches, il réalisa quelques oeuvres pour promouvoir les vins de Neuchâtel. On lui doit entre autres des affiches pour la fameuse maison Perrier de Saint-Blaise ainsi qu’une étiquette pour Paul Frochaux, propriétaire-encaveur au Landeron.

Alex Billeter (1914-1983) aimait Neuchâtel et ses vins. À ce titre, il convient de rappeler qu’il est à la base du renouveau du Musée de la vigne et du vin au Château de Boudry. Il en fut en effet le premier président de la Société qui permit de réactiver ce Musée en 1979. Graphiste de formation, Alex Billeter mit sa plume et son talent au service de son canton, réalisant tant des affiches que des livres, des plaquettes et des étiquettes pour vanter les charmes et la qualité des produits de ce terroir. Rappelons aussi qu’il fut à la tête de l’Office du Tourisme de Neuchâtel de 1962 à 1981.

Eric de Coulon (1888-1956) a connu la notoriété à Paris où il s’installe dès 1916. Durant toute la période de l’entre-deux-guerres, Coulon devient un des affichistes en vogue de la capitale française. Il met au goût du jour la «lettre-sujet», en faisant non l’accessoire de l’affiche mais son thème principal. Il associe à ces messages publicitaires des tons simples, couleurs élémentaires qu’il applique par aplat.

Cette démarche singulière le place dans le peloton des affichistes les plus demandés de France. Toutefois, il n’oublie pas la Suisse et en particulier Neuchâtel où il séjourne chaque été, avant de s’y installer définitivement en 1939. Sa présence dans le canton lui vaut quelques commandes, mais aussi des demandes de quelques viticulteurs ou entreprises qui désirent des étiquettes originales.

Daniel de Coulon (*1927) embrassa comme son père une carrière de graphiste. À ce titre, il réalisa aussi un certain nombre d’étiquettes parmi lesquelles il convient de citer celle réalisée pour la Maison Carrée d’Auvernier pour l’Oeil-de-perdrix. Par sa découpe particulière, elle dépare des étiquettes traditionnelles.

Paul Gerber (1915-1982)

Marcel North (1909-1990) est un illustrateur et un graveur de talent. Sa contribution au monde de l’étiquette reste cependant anecdotique puisqu’il n’en réalisa que fort peu. Celles qu’il conçut sont toutes empreintes de sa patte et se reconnaissent au premier coup d’oeil, tant son dessin et son trait sont caractéristiques. Sa connaissance de l’histoire et des sites neuchâtelois apparaît sur chacune de ses réalisations qui se veulent davantage des oeuvres picturales que graphiques. Les lettres des textes font elles-mêmes partie intégrante des compositions, dessinées qu’elles sont par l’artiste qui signe simplement d’un simple N.

Marcel North réalisa aussi quelques dessins pour la Fête des Vendanges, qui furent repris sous forme d’étiquettes.

Gilbert Huguenin (*1934) est l’auteur d’une étiquette qui dut son succès au petit poisson rouge qui l’accompagnait.

Marie-Claire Bodinier

Vers l’obligation d’une réglementation

La multiplicité des vins qui existent dans le monde implique qu’impérativement des marques distinctes les rendent reconnaissables au premier coup d’oeil. Sans étiquettes, il est effet impossible de différencier de manière extérieure le contenu des flacons. L’immense variété des crus rend donc obligatoire la présence de l’étiquette.

Cependant, si on s’approvisionne chez un petit viticulteur et exclusivement chez lui, les étiquettes ne revêtent pas la même importance que lorsque l’on se trouve dans le cellier d’un grand négociant. En effet, dans une cave conviviale, des dégustations précèdent n’importe quel achat si bien que l’amateur forme son opinion directement à partir du vin bu plutôt que sur l’attractivité de l’étiquette. En revanche, lorsqu’on décide d’acheter des bouteilles dans des grandes surfaces, voire dans des magasins spécialisés où les dégustations ne sont pas de mises, les étiquettes prennent toute leur importance puisque le consommateur doit leur faire exclusivement confiance pour effectuer sa sélection. Leurs images, leurs qualités graphiques vont sans conteste influer sur les choix autant que les désignations, indications et appellations relatives à l’origine, la provenance, les cépages, les millésimes, la teneur alcoolique, la raison sociale.

Afin que tous ces critères figurent sur les étiquettes, le législateur a impérativement dû dicter des ordonnances spécifiques auxquelles les viticulteurs doivent se soumettre.
En Suisse, ce sont les ordonnances sur les denrées alimentaires du 1er mars 1995 qui sont désormais valables. Elles remplacent celles de … afin d’être eurocompatibles. Par exemple, elles ajoutent par rapport à l’ancienne législation l’obligation de faire figurer la teneur alcoolique du vin.

Dans le chapitre 36 spécifique au vin, bourru, et autres jus de raisin pasteurisé en cours de fermentation ou boissons contenant du vin, le législateur a sérié les vins en trois catégories: les vins avec appellation d’origine, soit la plupart des vins neuchâtelois produits par les encavages du vignoble; ceux avec indication de provenance, soit des vins déclassés et ceux sans appellation d’origine ni indication de provenance, voire ceux issus de différents coupages.

Pour que ces trois types soient immédiatement reconnaissables, des mesures légales concernant leurs étiquettes ont été édictées. Sur les vins de la première catégorie peut figurer l’origine géographique au lieu de la dénomination spécifique «vin», par exemple les noms des communes viticoles.

L’étiquette principale des vins de la deuxième catégorie doit porter la dénomination spécifique «vin de table», qui peut être complétée par une mention de la couleur du vin. Est aussi admise la dénomination spécifique «vin de pays», complétée par l’indication de la provenance géographique si la production du raisin est soumise à une limitation de production.

Pour les vins de la troisième catégorie, les étiquettes doivent porter la dénomination spécifique «vin», complétée éventuellement par la mention de la couleur du vin. Sont interdites les autres indications telles que des indications sur l’origine, la provenance, le cépage ou l’année de la récolte.

En plus de ces dénominations spécifiques, les étiquettes doivent mentionner le nom ou la raison sociale ainsi que l’adresse du producteur, de l’encaveur, du négociant, de l’embouteilleur ou du vendeur; le pays de production, à moins qu’il ne soit reconnaissable à la dénomination spécifique.

Quant aux millésimes, ils ne sont admis que si le vin est issu à 85% au moins de raisins récoltés dans l’année mentionnée.

L’indication du nom d’un ou de plusieurs cépages n’est admise que si le vin est issu à 85% au moins d’un ou des cépages spécifiés. Lorsque plusieurs cépages sont présents, ils doivent être mentionnés dans l’ordre décroissant de leur valeur pondérale.

Des époques et des modes de l’usage de la gerle

Dans son dictionnaire du Parler neuchâtelois, William Pierrehumbert définit la gerle comme étant «un petit cuveau rond, un peu évasé au bas, que l’on porte avec un bâton passé dans les trous des deux anses formées par les douves prolongées; il sert surtout à mettre la vendange foulée et la transporter au pressoir». Ce récipient, dont le terme est déjà certifié dans des textes du XIVe siècle, est l’emblème par excellence du vignoble neuchâtelois.

Sa capacité, étalonnée autrefois par des officiers appelés mesureurs-jurés, n’a que peu changé à travers les siècles. Durant l’Ancien Régime, sa capacité a varié entre 51 ou 52 pots de Neuchâtel, soit l’équivalent d’environ 99 litres. Ceci correpondait à 38 pots 2/5 de vin au clair ou moût.

Avec l’introduction du système métrique, la capacité de la gerle fut fixée à 100 litres.

Autrefois, la gerle servait donc de contenant pour la vendange. Afin d’en égaliser le contenu, les vignerons neuchâtelois devaient immédiatement fouler le raisin au pied même des parchets. Ce foulage effecté tout d’abord avec un simple pilon puis avec des fouleuses particulières permettait aux dîmeurs de prélever immédiatement leur dû.

Selon les parchets, la dîme représentait soit une gerle sur onze, soit une gerle sur dix-sept. Cet impôt était un apport important de revenus pour l’État. C’est pour cette raison que les dîmeurs suivaient immédiatement la progression des vendangeurs et que les vignes devaient être vendangées suivant un ordre bien établi afin de permettre de manière optimale cette perception.
Dès les quittances de dîme étaient remises aux vignerons, ceux-ci pouvaient faire charger les gerles sur des chars dit à brecet, sur lesquels il était possible de placer dans des rainures, l’une derrière l’autre, des séries de cinq à neuf gerles.

Ces charrois sillonnaient sans cesse le vignoble durant toutes les vendanges, amenant le raisin des parchets aux pressoirs. Avec l’aide d’un ténéri, la perche que l’on introduisait dans les anses de la gerle, les pressureurs déchargeaient les chars et vidaient les gerles dans des cuves de tracoulage. Les gerles nettoyées retournaient ensuite vers les vignes.
Ce matériel vinaire exigeait un entretien considérable. En effet, avant les vendanges, il était nécessaire de sortir les gerles des greniers afin de les gorger d’eau pour les rendre imperméables. Fort souvent aussi, il fallait faire appel à des tonneliers pour réparer les cercles ou les douves abîmés. Chaque réparation impliquait un nouvel étalonnage. Toutefois, tous ces ustensiles de vendanges – gerles, brandes, seillons – avaient sans conteste un certain charme et l’on comprend que de très nombreux graphistes les aient choisis comme motifs.

De nombreuses étiquettes génériques utilisent la gerle, les fouleuses et les chars à brecet pour affirmer leur identité neuchâteloise.
D’autres reprennent le geste traditionnel du fouleur en train de tourner la grande roue, en bois ou en fer, des fouleuses ou bien le moment où le brandard déverse le contenu de sa hotte dans la gerle. Certaines associent à ces scènes la vendangeuse avec son seillon. Bref, tous les clichés propres aux vendanges neuchâteloises ont donc servi de motifs pour des étiquettes utilisées entre 1940 et 1960.

Aujourd’hui, la gerle est devenue le symbole de qualité pour les vins de Neuchâtel. Elle perdure ainsi de manière emblématique alors qu’elle a presque totalement disparu lors des vendanges, remplacée qu’elle est par des caissettes de plastiques ou des bénons d’aluminium ou de fibre de verre.

Pour entretenir cette tradition, le Musée de la Vigne et du Vin de Boudry a décidé de lancer une série d’étiquettes spéciales qui reproduisent une gerle neuve peinte par un artiste. Ainsi, en 1991, la première vendange du cru du Musée reçut une étiquette due au talent de Jean-Michel Jaquet. Celle-ci fut suivie par une œuvre d’Armande Oswald, puis d’Yvan Moscatelli, de Moeschler et de Raymond L’Épée pour le millésime 1995.
Avec cette série, le Musée veut faire perdurer l’image de la gerle dans le vignoble neuchâtelois et rappeler que ce cuveau appartient intimement à son histoire.

Un regard sur l’an 2000

Depuis une dizaine d’année, on assiste à un renouveau dans la manière de concevoir des étiquettes. Celles-ci témoignent de la richesse d’inventivité des graphistes qui cherchent à renouveler les typologies même de ces vignettes.

Bibliographie

Yves JAULT, Les Créateurs d’étiquettes de vins, Denges/Lausanne, Yves Jault et Editions du Verseau, 1984.