Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

L’hypocras des dieux pouvait être neuchâtelois!

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Livres de raisons et livres de recettes abondaient au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle. Si beaucoup ont été perdus, les exemplaires restants peuvent nous livrer entre les diverses comptabilités qu’ils renferment quelques recettes ou secrets qui permettent de fabriquer des vins doux, aunés ou simplement de l’hypocras.

D’Hippocrate aux vignerons neuchâtelois, les recettes ont dû certainement différer mais le but à atteindre a dû rester le même. Une recette locale du XVIIIe siècle nous dit qu’il faut:

  • I pot de vin
  • une demi-livre de sucre
  • le jus d’un citron
  • 7 à 8 zestes d’oranges aigres
  • 1/2 gros de canelle concassée
  • 4 clouds de girofle rompus
  • une feuille ou deux de macis
  • 5 ou 6 grains de poivre blanc concassé
  • la moitié d’un bâton de poivre long
  • la moitié d’une pomme reinette ou une petite tout entière que vous pelerez.

La recette ne spécifie pas s’il s’agit de vin blanc ou de vin rouge. Quant au macis, il s’agit de l’arille de la noix de muscade. Cette boisson était très en vogue au Moyen Age et préparée fort fréquemment dans beaucoup de maisons. Le pasteur Lutz préconisait pour sa part ceci: «Pour faire un vin qui est tout a fait doux comme liprocrass sans rien y mettre, faut aux vendanges prendre du moust rouge tout frais et le faire cuire sur une chaudière sur le feu jusqu’à diminution d’un tiers, de sorte que de 30 pots de moust il n’en reste que 20 et faut pour bien réussir faire un échantillon de bois pour voir quand il sera à point cuit, car s’il cuit moins ou davantage du tiers, il ne réussira pas bien mais ayant justement cuit le tiers, faut le mettre bas du feu et étant bien refroidi, le mettre dans un tonneau pour son usage»

Ça fait vinaigre

Il est plus sage de laisser le lecteur juger de la valeur de cette recette et de l’expérimenter si le cœur lui en dit. Toutefois, afin que le vin ne soit pas perdu si cette expérience s’avérait mauvaise, extrayons de ces livres de raisons quelques recettes pour faire du vinaigre.

a) Pour faire du vinaigre avec du vin gasté: fait bouillir le vin gasté, et oste toute l’escam qu’il fait en bouillant; et laissé demeurer au feu jusque a tant qu’il decroisse du tier, puis les met dans un vaissiau ou il y ait eu dedand du vinaigre et y adioute du cerfeuil, ea couvre bien le vaissiau en sorte qu’il n’ait point d’air a en bref ce sera du vinaigre bon et fort. »

b) pour faire du vinaigre sec

«Pour le faire, prend cerises sauvages quand elles commenceront à meurir (mais le cornoille sont encore meilleures), des meures quand elles sont seulement rouges et des grappes de verjus bien fort gros, gland sauvage avant qu’il meurisse; pille tout cela ensemble puis prend et rédige par petits pains que tu mettras siecher au soleil et quand tu voudras faire vinaigre, détrempe ca petits pains dedans du vin et tu auras de bon vinaigre».

Avec des racines

Et en utilisant diverses plantes ou racines, certains vignerons préparaient des vins herbacés auxquels ils devaient reconnaître sans doute quelques vertus curatives. Charles de Merveilleux préparait pour son compte du vin auné, soit il utilisait des racines d’aune ou, pour employer la forme locale de verne.

Il procédait ainsi:

«prends un cettier de vin, blanc ou rouge, c’est à dire de vendange venant tout fraîchement de la vigne, mais la cuire cuire sur le feu en une chaudière, en l’escumant bien, mets y ensuitte de la racine d’aune, ou aunée taillée par tranche et enfilée en un filet, laquelle ait été auparavant bien séchée, et le tout étant cuit jusqu’à la diminution d’un quart, mettras les trois quart restant dans un tonneau qu’aurés tout prest ct le bonderés bien, il ne bouillera que dans 10 à 15 jours. Il faudra faire un petit trou près du bondon pour lu y bailler de l’essort. Après avoir mis ce vin auné dans le tonneau, faut y suspendre par le bondon ladite racine jusqu’au milieu du tonneau avec un filet où elles sont attachées et les y toujours laisser, lequel vin auné ainsi fait demeurera toujours doux et agréagle pour en prendre Ies matins pendant l’hyver.».

Les goûts évoluent

Il est certain que chaque vigneron devait posséder quelques techniques particulières pour faire pour son usage des vins spéciaux, doux, herbacés ou autres. Quelques-unes des recettes nous sont parvenues avec tout l’empirisme qu’elles présupposent. Il serait amusant d’essayer de les refaire. Toutefois, il est certain que notre goût actuel des produits de la vigne ne correspond plus aux produits d’antan et que les progrès de la vinification n’offrent plus aux vignerons des vins indignes d’être mis en bouteilles, vins qui autrefois servaient justement de produit de base pour toutes sortes de recettes plus ou moins mystérieuses.

(Les extraits utilisés sont tirés des manuscrits A 269 et 1524 de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel)