Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

L’œil de perdrix de Neuchâtel

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L’œil de perdrix n’est pas qu’une petite tumeur douloureuse de l’orteil, c’est avant tout en Suisse l’extraordinaire vin de Neuchâtel tiré d’un pinot noir légèrement cuvé qui faisait dire au comte d’Escherny dans une lettre à Jean-Jacques Rousseau: « Les vins de Cortaillod, dans les bonnes années sont aussi bons que les meilleurs vins de Bourgogne. »

Aujourd’hui, cette remarque paraît totalement déplacée et quiconque de quelque peu sensé n’oserait une telle comparaison.

Au XVIIIe siècle pourtant, cette assertion était tout à fait plausible. En deux cents ans, l’art de la vinification a fait des progrès considérables et les goûts ont évolué. À l’époque, les Pommard et les Volnay n’étaient que légèrement teintés et fort légers à l’instar des vins rouges de Neuchâtel. Et comme les uns et les autres proviennent de pinot noir, la confrontation se comprenait et se justifiait!

En Bourgogne comme en Champagne, ainsi que l’attestent quelques anciennes étiquettes, le nom « œil-de-perdrix » fut utilisé au XIXe siècle pour présenter des vins rosés ou clairets, soit des rouges peu ou pas cuvés, voire des rouges mêlés de pinot blanc, comme le dit Pigerolle de Montjeu. De plus, dans certains encavages bourguignons, lors du pressurage, on alternait sur la table du pressoir des lits de paille et des lits de raisin, de peur que le vin ne soit encore trop rouge.

En Bourgogne donc, pour obtenir cet œil-de-perdrix, on assemblait généralement moût de rouge et moût de blanc alors que dans le canton de Neuchâtel, on n’emploie que du pinot noir sans cuvage. On appelait aussi autrefois ce vin « blanc de rouge ».

L’œil-de-perdrix, avant de prendre une majuscule et ses lettres de noblesse en terre neuchâteloise, est un vin qui de rose à ses débuts, acquiert avec le temps une nuance plus sombre – l’œil de la perdrix – puis, en vieillissant davantage un ton mordoré qui rappelle certains muscats.

Dans le canton de Neuchâtel, pour le millésime 1861, Louis Bovet, propriétaire encaveur à Areuse, fit imprimer une étiquette particulière portant la mention « Œil de Perdrix ». Sans que l’on sache si celle-ci est la plus ancienne ou la première qui atteste de la différence que les viticulteurs faisaient entre leurs vins rouges, elle prouve en tout cas que la tradition de l’œil de perdrix en pays de Neuchâtel n’est pas récente et qu’elle remonte à des temps immémoriaux, comme les amis de Rousseau nous le prouvent.

Quant à l’appellation « Œil-de-perdrix », elle ne s’est propagée dans le public qu’avec la généralisation de l’usage de l’étiquette pour les vins, soit une pratique somme toute moderne puisque les vins du canton de Neuchâtel n’ont commencé à être systématiquement habillés qu’avec les années vingt de ce siècle! Par parcimonie, pour l’Œil-de-perdrix, la plupart des vignerons se contentèrent tout d’abord d’utiliser des étiquettes traditionnelles, rajoutant simplement sur la bouteille une mention spécifique.

Les étiquettes spécialement imprimées pour des Œil-de-perdrix restèrent donc fort rares avant les années soixante.