Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

L’Urbec qui transformait les feuilles de vigne en… cigares

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Autrefois, à l’époque bénie où le phylloxéra et le mildiou n’étaient pas encore connus, où les ceps étaient indigènes, où les traitements sulfurés n’existaient pas, les vignerons devaient avant tout lutter contre un insecte parasite: I’urbec ou cigareur, soit l’attelabe.

Cet insecte d’une longueur de 6 à 8 millimètres, d’une couleur vert doré, est muni d’un long bec. Au moment de la ponte, la femelle pique le pétiole des feuilles qui flétrissent et qu’elle enroule ensuite comme un cigare. Dans ce tube ainsi formé, elle pond de six à huit œufs qui éclosent au bout de quelques jours et donnent naissance à de petites larves qui tombent sur le sol et s’y enfoncent où elles subissent diverses métamorphoses avant de devenir à leur tour des insectes parfaits.

Pour lutter contre cet insecte, le vigneron doit simplement enlever les feuilles enroulées dites feuilles torses. En les brûlant, il anéantit ainsi les générations suivantes.

Ordre méthodique

La chasse aux urbecs était prise très au sérieux et suivait un ordre méthodique. Périodiquement, les vignerons devaient se lancer dans de véritables campagnes organisées contre ces parasites. Par exemple, le 8 avril 1788, le comité de la Compagnie des tonneliers et des vignerons de la Ville de Neuchâtel, réuni en assemblée avec des représentants des communautés de Saint- Blaise, de Peseux et d’Auvernier, conféra de concert afin de faire avec succès une chasse aux urbecs. Comme les représentants n’avaient pas de pouvoirs suffisants, il leur fut demandé de référer à leurs commettants le texte suivant:

  1. que chaque communauté fera un règlement pour son district par lequel la chasse aux urbecs sera donnée par quartier. Un préposé sera nommé pour veiller à ce que chaque particulier qui y possède des vignes, y fasse la chasse ordonnée au jour fixé, il prendra note des possesseurs de vignes qui ne s’y sont pas rencontrés & la Communauté demande à être autorisée à faire exécuter la dite chasse dans ces vignes aux frais du propriétaire & qu’elle puisse en outre le dénoncer à l’officier de Juridiction comme réfractaire aux mandements de la Seigneurie de laquelle elle sollicite la sanction du Gouvernement.
  2. on a été préjugé qu’il importait qu’il y eut une uniformité dans les gratifications que l’on accordera à ceux qui font la chasse des urbecs & cela pour obvier au monopole qui se fait par les vignerons qui portent le produit de leur chasse à la Communauté qui les paye le plus, à cet effet, l’on est convenu qu’il y aurait dans toutes les Communautés une mesure égale en fer blanc, équivalente à la mesure d’un petit verre qui sera payé à raison de deux piécettes le verre ras, & sera payé des fonds de la Communauté, exhortant les particuliers à gratifier leurs vignerons desquels ils auront reconnu le zèle & la vigilance sur cet objet.
  3. L’on a également préjugé de payer deux piécettes par émine de feuilles torses qui seront remises aux préposés que les Communautés désigneront.
    Après la saison de l’ébourgeonnement & de l’attache, il sera fait une visite générale & tous ceux qui se trouveront avoir négligé de faire ramasser les feuilles torses, seront punis comme il est dit à l’article premier.
    Les prix que l’on a mis aux gratifications à accorder seront renouvelés toutes les années dans une assemblée qui en déterminera la quotité, selon les circonstances.
  4. Les Communautés faisant des frais considérables pour les objets ci-dessus, elles désirent que leur règlement duquel elles sollicitent la sanction, les autorise à se faire indemniser par les propriétaires non communiers qui possèdent des vignes dans leurs districts.
  5. Et enfin que les feuilles torses et urbecs, seront l’un et l’autre portés chacun rière la Communauté où ils auront été, pris et ramassés pour être payés par lesdits Communautés, lesquelles en vertu de l’article 4 ci-dessus pourront se faire indemniser desdits non-communiers.

Solidarité vigneronne

Ce projet de règlement montre à l’évidence que la lutte contre cet insecte ne se faisait pas à la légère. À travers les archives, nous trouvons de fort nombreuses mentions de chasses officielles contre les urbecs. Les Manuels du Conseils d’État signalent des mesures prises contre les urbecs et autres insectes parasites des vignes en date du 22 avril 1686, du 26 avril 1687, du 25 mars 1690, du 18 mai 1692, du 15 mai 1694, du 30 avril 1696. Il semble que, par la suite, ces insectes n’ont plus exigé des mesures spéciales et officielles puisque ce n’est qu’en 1726 que le Conseil d’État édicta à nouveau des ordonnances de luttes.

Faut-il en déduire que les chasses organisées à la fin du XVIIe siècle ont été suffisamment efficaces pour enrayer la propagation de ces insectes pendant un quart de siècle? Cependant, le XVIIIe siècle connaît à nouveau une prolifération de ces insectes, quantifiable au nombre élevé de chasses organisées pour les contrer. Il ressort de cet état de fait une notion de solidarité vigneronne et d’entraide communautaire assez poussée. Comme chacun était impliqué dans la culture de la vigne, on comprend aisément que des règlements aient été édictés pour que tous les vignerons en même temps puissent procéder à l’arrachage des feuilles torses. Cette lutte commune découlait naturellement du rôle économique primordial que la vigne et le vin remplissaient dans notre région. Rappelons que le plus grand propriétaire était le Prince et que c’est avec le profit des vignes qu’il pouvait payer la plupart des fonctionnaires. Il avait donc intérêt à ce que tout le monde lutte ensemble contre les différentes calamités qui pouvaient toucher le vignoble.

Après le culte

Le projet de règlement présenté ci-dessus fut sanctionné par le Conseil d’État après avoir été examiné par Messieurs de Purry, Lieutenant-Colonel; de Boyve, Chancelier et de Sandoz de Travers, Châtelain de Thielle, qui lui ont donné une forme rédigée définitive, le 5 mai 1788.

Afin que tous pussent en prendre connaissance, les règlements étaient dûment publiés, affichés et lus le dimanche après le culte.

Comme nous le voyons, à plusieurs reprises, l’État s’était occupé de réglementer les luttes contre les parasites des vignes. En 1748, en ville de Neuchâtel, on promulguait un même règlement à cet effet. Toutefois, il convient de souligner que c’est la Compagnie des vignerons qui est, chaque fois, à la base de ces édits. Par ses actions, elle montre qu’elle jouait, depuis sa fondation en 1687, un rôle prépondérant dans la sauvegarde et l’amélioration du vignoble neuchâtelois.

1748, 1788, 1801, 1828, 1837 sont toutes des dates auxquelles sont attachées des ordonnances officielles définissant la lutte contre les urbecs et autres insectes parasites. A chaque fois, on compte sur une action répétée, basée sur la solidarité et l’entraide. Même si, entre les différents documents des variations de contenu et de formulation existent, le fond reste le même: enrayer dans de brefs délais l’action néfaste de ces animaux. Comme les insecticides n’existaient évidemment pas, il fallait recourir à l’action commune des hommes qui, plusieurs jours durant, devaient arpenter aux premières heures du jour les vignes afin d’enlever toutes les feuilles torses qu’ils pouvaient récolter ainsi que tous les insectes qu’ils arrivaient à capturer.

Au feu

Les archives communales d’Auvernier conservent des rôles des personnes qui participaient à ces chasses organisées. Ces listes dressent la quantité de feuilles torses et d’insectes recueillis par chaque vigneron. Elles permettent ensuite d’avoir des preuves que les rétributions en argent ont bien été versées et d’établir le montant global attribué à cet usage. Plusieurs milliers de batz étaient ainsi payés aux chasseurs contre les dizaines de verres pleins d’insectes qu’ils présentaient aux préposés ainsi que pour les centaines d’émines de feuilles torses arrachées. Ensuite, le tout était détruit par le feu.

Pyrale, cochylis, gribouri, acarien, urbec, etc., tous ces insectes nuisibles au bon développement de la vigne, nécessitaient des actions organisées sur une large échelle lorsqu’il fallait les combattre. Toutefois, les dégâts qu’ils occasionnaient étaient relativement peu importants. Que dire en 1877 de l’apparition du phylloxéra? C’est une autre page de l’histoire du vignoble!

II. Agriculture Urbecs Archives de Saint-Blaise

  1. requête de la paroisse de St Blaise au Conseil d’État, tendant à obtenir l’autorisation de perception d’une taxe auprès des propriétaires de vignes pour payer les frais de la chasse aux urbecs (1787)
  2. Liste des propriétaires de vigne pour la perception d’une taxe pour la chasse aux urbecs et la cueillette des feuilles torses (1788)
  3. Règlement pour la lutte contre les urbecs (1788)
  4. Règlement de 1801