Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Manière de mettre en bouteilles les vins rouges de Neuchâtel

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Ce titre est celui d’un placard découvert ou musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel. Sept articles le composent et appliquent le meilleur procédé pour mettre en bouteille le pinot du pays.

Il peut paraître paradoxal qu’un imprimé ait été publié sur un sujet qui semble de nos jours dénué de tout intérêt lorsque l’on connaît l’emploi parcimonieux que nos ancêtres faisaient du papier. Cependant, si actuellement le meilleur et le plus répandu des conditionnements du vin est la bouteille en verre, son usage ne s’est généralisé dans notre pays que vers le second tiers du XIXe siècle. Avant, son emploi était réservé aux vins considérés comme exceptionnels et méritant d’être conservés. L’habitude voulait que, lorsqu’on désirait honorer une personne, on lui serve des vins bouchés et non des vins tirés au tonneau et servis dans les channes traditionnelles.

Dès le milieu du XVIIIe siècle, des vignerons commencèrent à mettre du vin en bouteilles, choisissant pour cela les vins qu’ils jugeaient dignes d’être conservés et vieillis, suivant ainsi la mode et le goût des habitants des Montagnes qui préféraient les vins vieux aux jeunes, habitués qu’ils étaient aux vins de France dont ils faisaient le commerce malgré la résistance farouche des habitants du Vignoble qui souhaitaient des mesures protectionnistes.

Au XIXe siècle dans son journal, Auguste L’Hardy d’Auvernier nous dit à ce propos: «Dans le vignoble, on boit toujours les vins nouveaux et les mauvais vins; au Val-de-Ruz & hors du vignoble, c’est toujours des vins vieux des bonnes années. En 1835, on ne buvait hors du vignoble avant le soutirage que des 1832 et 1833. En 1836, on ne boit que des 1834 & pas de 1835; en sorte qu’il faut toujours des vins vieux des bonnes années.»

En lisant ces remarques, on se rend compte qu’il faut considérer comme vins vieux des vins qui ne sont pas de l’année. Il est clair que des vins en tonneaux ne peuvent se conserver longtemps que si le vigneron vérifie que le fût reste toujours plein. Dés qu’une barrique est entamée, il faut rapidement le boire afin d’éviter les risques d’oxydation et de piqûres.

Des bouteilles

Les premières bouteilles étaient soufflées à la main. Les formes varient de même que l’épaisseur du verre qui peut être à la fois fort mince à certains endroits ainsi que très épais. Au moindre choc, ces bouteilles pouvaient se casser.

Revenons à L’Hardy: En 1835 en août, je mis en bouteille environ 800 bouteilles de vin de 1834 de choix. Le vin travaillait dans les bouteilles qu’on a entassées de suite. Des bouteilles sautoient déjà en entassant. Étant dans le cas de remuer des bouteilles d’une case d’environ 80 bouteilles, j’en ai trouvé 29 cassées dont 3 à 4 non vuidées mais coulant étant cassées: je remarque que le verre des bouteilles de Semsales est plus cassant que le verre de France Vieille Loye et Belieux. Je ne remettrai jamais en bouteille si vite: il faut attendre les fraîcheurs de septembre ou bien au mois de mars suivant, alors le vin est vif et ne dépose pas dans les bouteilles, les bouteilles ne sautent pas: il faut laisser faire le vin mousseux à Mrs Bouvier et autres. On dit qu’il ne faut pas d’abord entasser les bouteilles après les avoir bouchées. »

Dans d’autres extraits de ce journal, L’Hardy insiste sur l’époque de la mise en bouteille:

«Quand on met les vins jeunes en bouteilles sur lie, il faut des vins des bouteillers bien frais & de fortes bouteilles si on veut prévenir la casse des bouteilles pendant les chaleur»

«François Borel dit qu’il n’aime pas mettre en bouteilles quand il fait bien chaud parce que le vin travaille, qu’il saute plus de bouteilles & que le vin dépose dans les bouteilles.»

Il semble, à la lecture de ces différents passages, que les bouteilles étaient fragiles et que le processus de la deuxième fermentation, non connu, se faisait lorsque le vin était déjà conditionné provoquant une augmentation de la casse et une formation de dépôts.

Venons-en maintenant à ce placard du XVIIIe et analysons-le article par article:

«1. Pour prévenir ou diminuer les dépôts que ces vins font dans les bouteilles, il convient d’insérer la boete au tonneau trois ou quatre jours avant que de mettre le vin en bouteille, & d’en tirer à chaque douzième heure une couple de verre.»

Par boete, il faut entendre un robinet de fût. Certains étaient en bois, d’autres en laiton. A propos de ces derniers, L’Hardy nous dit:

«Les boetes en laiton pour mettre en bouteilles sont commodes mais peut être un peu dangereuses à cause du vert de gris; j’ai eu gouté du vin sortant d’une de ces boetes de laiton à bec recourbé, posée depuis la veille & qui avait un goût détestable que je croyais être empoisonné par le vert de gris; le vin qui sortit après le premier verre contenu dans la boete n’avait point de goût & personne n’aurait pu croire que ce vin sortait de la même bosse.»

Pour éviter de faire mousser le vin lorsqu’on remplit les bouteilles, il est préférable d’utiliser des boîtes à vin à bec ce qui, comme le dit l’article 2 «épargne au vin le feu qu’il dissipe en jaillissant sur l’entonnoir».

Les tireuses actuelles reprennent le même principe afin que le vin glisse plutôt qu’il ne frappe la bouteille lors du remplissage.

L’article trois conseille de laver parfaitement les bouteilles d’abord avec de l’eau puis ensuite avec du vin, le même qui servira au remplissage en observant de bien les laisser sécher après chaque lavage.

Des bouchons

4. «On se sert toujours de bouchons neufs en fin liège, que l’on prépare avec un pressoir, qui en comprime fortement les pores. Ce pressoir est composé de deux lames de fer qui tiennent ensemble par une charnière, & qui présentent intérieurement deux encoches pour y mettre & presser les bouchons; ce qui se fait â la faveur d’un manche qui termine l’une des lames, tandis que I’autre est fixée par deux vis â un bloc de bois pour donner l’appui.»

5. «Les bouchons étant ainsi pressés; à mesure qu’un ouvrier remplit les bouteilles, un second choisit pour chaque bouteille un bouchon qui y entre bien difficilement, & se contente d’abord de le faire entrer avec la main aussi avant que possible.»

6. «On tape ensuite les bouchons avec un petit marteau de bois, en observant avant de taper, de tremper le bout du bouchon dans un verre du même vin, pour le rendre plus glissant; le bouchon tapé, on passe la main dessus, pour enlever toute humidité.»

Ces opérations de bouchonnage décrites dans ces trois articles nous montrent à quel point les premières mises en bouteilles au XVIIIe siècle relevaient de l’artisanat. Comme les goulots des bouteilles différaient les uns des autres, il fallait choisir un à un les bouchons appropriés que l’encaveur devait au préalable comprimer. Au gré des ans, le prix des bouchons variait. Par exemple, en 1790, cent bouchons se vendaient 6 batz; en 1793, 7 batz; en 1796, 13 batz; en 1798, 9 batz.

Quant aux premières machines à bouchonner, elles apparaissent au cours du XIXe siècle. En bois d’abord et souvent de fabrication artisanale, elles seront fabriquées ensuite en fonte par des maisons spécialisées.

Du cachetage

7. «Aprés quoi on goderonne les bouteilles, avec un goderon composé d’une livre poix blanche, autant de poix résine, & de trois lots de térébenthine, avec une cuillerée d’huile.»

À ce propos L’Hardy ajoute:

«Le goudron pour goudronner les bouchons des bouteilles se vend chez les apothicaires à 5 batz la livre; on le fond dans une casse & on l’entretient chaud sur un chaudron de braise; étant fondu on plonge un peu le bout de la bouteille dedans, on tourne un peu la bouteille dedans puis en sortant la bouteille on la tourne encore pour que le goudron fondu et chaud reste sur le bouchon & ne coule pas à terre. Cette opération va très vite quand on a l’habitude. Le goudron donne un peu de relief au vin & à la bouteille & surtout conserve le bouchon contre les vers qui les rongeraient, surtout le vin destiné à garder longtemps.»

De la bouteille soufflée à la main aux grandes séries modernes, de la pièce unique aux millions d’unités, du remplissage et bouchonnage manuel aux groupes d’embouteillages qui exécutent toutes les opérations automatiquement, en un mot du passé au présent, la bouteille est devenue le conditionnement par excellence du vin et le restera malgré les diverses tentatives de la remplacer par d’autres systèmes. Mais nous sommes loin de penser comme L’Hardy qui, en 1835, disait: «Le verre des bouteilles se gâte-t-il en vieillissant, se pourrait-il à la longue dans des bouteilles humides, & le vin attaque-t-il le verre?»

Post scriptum: pour la rédaction de ca article, nous avons eu recours à deux extraits du Journal d’Auguste L’Hardy d’Auvernier qui sont déposés aux Archives de l’État de Neuchâtel. Toutefois, nous souhaiterions pouvoir retrouver l’intégralité de ce Journal qui donne de fort nombreux renseignements sur l’histoire de notre vignoble. Nous savons que John Jeanprêtrc l’a utilisé pour son ouvrage, Les vins de Neuchâtel au XVIIIe siècle d’après la thèse de F. Prince, 1743, paru en 1904-1905 dans le Bulletin de la Société neuchâteloise de Sciences naturelles. Nous serions infiniment reconnaissant si un lecteur pouvait nous donner des renseignements sur l’existence de ce Journal et d’avance, nous lui exprimons notre gratitude.