Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Millésimes 39-45

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Jusqu’en juin 1999, le Musée de la Vigne et du Vin au Château de Boudry présente une exposition consacrée à la vigne et au vin durant la Deuxième Guerre Mondiale. Grâce à des œuvres des artistes chaux-de-fonniers, Léon Perrin et Lucien Schwob, le visiteur peut visualiser cette période tout en en découvrant la réalité à travers des photographies et des documents d’archives.

Léon Perrin tout comme Lucien Schwob aimaient la Béroche si bien qu’à plusieurs reprises ils s’y installèrent pour y peindre et se détendre. Tant à Sauges, Saint-Aubin que Vaumarcus, ils rencontrèrent des vignerons dont ils saisirent les gestes, créant ainsi un œuvre dessiné et peint dont l’intérêt est à la fois ethnographique et pictural. Ethnographique parce qu’il montre bien les réalités du temps, à savoir que les hommes manquaient, étant sous les drapeaux, que les bœufs remplaçaient les chevaux, eux-aussi mobilisés, que les femmes devaient s’adonner à tous les travaux. Pictural parce que la qualité des dessins, dans leur rigueur, leur simplicité, leur justesse, est exceptionnelle; parce que les aquarelles, par leur harmonie, leur composition, leurs tons, sont dignes des plus grands maîtres – certaines pourraient sans conteste être signées Dufy! -; parce que la maîtrise des pastels est totale. Quant à la seule peinture à l’huile, elle est comparable à celles que Jämes Ensor a signées, prouvant bien à quel point ce maître a inspiré Schwob qui a vécu à Ostende quelques années dans son entourage immédiat. Du reste, en la regardant attentivement, on peut être surpris par le grotesque de certains de ces personnages assis à une table de banquet. L’un d’eux en effet, avec sa mèche et sa moustache carrée, évoque indubitablement un certain dictateur, donnant à ce tableau une connotation de gravité malgré l’aspect primesautier et festif qui s’en dégage au premier coup d’œil.

Helvétia et le soldat

La première aquarelle sur laquelle le visiteur pose son regard est une interprétation que Léon Perrin a faite du char de Sauges lors de l’unique fête des vendanges qui s’est tenue à la Béroche en 1941. On y voit un soldat casqué montant la garde auprès d’Helvétia qui tient sa lance et son bouclier à croix blanche sur fond rouge. Cette allégorie de la garde des frontières que l’armée assurait alors permet d’entrer dans le vif du sujet. De plus, une photographie de ce char permet d’en saisir sa réalité tout en mesurant l’écart qu’il y a entre elle et la composition de l’artiste.

La vitrine contiguë présente le livre des procès-verbaux du Comité des Caves de la Béroche en date du 20 septembre 1939, soit la première séance tenue après le début des hostilités. Le secrétaire du jour s’est ainsi exprimé:

« La convocation porte en outre la remarque suivante: Nous rendons attentifs les membres du comité non mobilisés au devoir qu’il incombe à chacun, de suppléer de son mieux aux vides créés dans nos rangs par ceux actuellement sous les drapeaux.

Quelles heures tragiques venons-nous de traverser! La situation internationale si tendue depuis quelques mois a pris tout à coup l’allure de l’orage qui va éclater. Malgré les efforts tentés par ceux qui voient d’avance les ruines et le désastre et qui ont tout fait pour conserver la Paix à l’Europe, les grandes puissances qui nous entourent sont entrées en guerre. A peine remis des plaies de la grande catastrophe de 1914/18, ces mêmes pays vont donner raison au canon et à la mitrailleuse… Et chez nous, petit pays au milieu de la tourmente, si nous voulons conserver nos foyers et nos libertés, un seul geste est à faire, garder nos frontières et prier Dieu que cet abominable fléau nous soit épargné.

Dans notre comité, des sièges sont vides! Nous nous sommes séparés avec émotion de M. Maurice Langer, parti, lui plus loin au-delà de nos frontières pour répondre à l’appel de son pays; il a rejoint un régiment en Corse et nous voulons espérer que là-bas, il se trouvera plus loin des dangers et pourra nous revenir bientôt.

Un autre collègue, M. Rodolphe Nussbaum a aussi quitté famille et entreprise pour servir son pays; mais pour lui, c’est sous notre drapeau à la belle croix blanche qu’il se trouve, puisse-t-il aussi nous revenir sans que ce bel emblème soit souillé sur les champs de bataille.

Ordre du Général: les troupes gardent les frontières, les civils à l’arrière gardent l’activité. Voilà notre tâche assignée clairement; nous allons donc, nous qui avons le privilège de pouvoir rester à la maison continuer notre besogne et maintenir la vie du pays. »

Et cette injonction d’Henri Guisan fut suivie à la lettre puisque les procès-verbaux du comité ne firent plus jamais allusion à la guerre jusqu’en 1945, exception faite toutefois pour signifier que des prix avantageux furent concédés aux fourriers des compagnies stationnées dans la région et que certains officiers visitèrent les installations d’encavages.

Quelques mots à propos des Caves de la Béroche

Jusqu’en 1935, année de fondation des Caves de la Béroche, la vendange produite sur le territoire de la Béroche se vendait toujours à un cours inférieur de 5%, voire moins, par rapport au cours pratiqué dans le reste du vignoble.

Le vigneron, qui avait travaillé durant toute une année et qui au prix de grands sacrifices avait mené à bien sa récolte, n’était pas encore au bout de ses peines: il devait encore trouver un acheteur!

Celui-ci ne se présentait qu’à la veille des vendanges et, chose étonnante, achetait sans fixer de prix. Ce dernier n’était fixé que plus tard lorsque la récolte était déjà dans les vases de l’acheteur.

Jusqu’en 1935, année de fondation de l’Association des Caves de la Béroche, le prix payé pour la vendange de la Béroche était toujours inférieur de 5 à 10 francs aux prix pratiqués dans le reste du canton et même à ces prix-là, il n’était pas toujours facile de trouver preneur.

Cette situation était la conséquence du manque d’encavages dans cette région et les grands propriétaires du lieu (les familles Langer, Wesdehlen, Rougemont, Borel), qui possédaient des caves suffisantes, n’y encavaient que le vin de leur cru. Les petits et moyens propriétaires qui ne disposaient d’aucune installation d’encavage, étaient à la merci du commerce.

Pourtant la vendange produite à la Béroche en valait bien une autre et les prix bas offerts par les négociant n’étaient nullement justifiés.

C’est pour remédier à cette anomalie et dans l’espoir de recevoir une plus juste rémunération de leur travail que les viticulteurs de la Béroche se sont attachés à cette idée d’encavage en commun.

En 1906, grâce à l’initiative de MM. Emile Matthey et Gustave Hermann, un premier essai de création d’une cave coopérative fut tenté. Le moment était bien choisi: 1906 était une année remarquable tant pour la qualité que pour la quantité. Cependant, les propriétaires se montrèrent indifférents puisque seuls sept d’entre eux répondirent à l’appel. S’ils étaient bien disposés à l’idée de créer une cave coopérative, ils voulaient toutefois ses réserver les raisins de leurs meilleurs parchets, montrant par là, les limites même de leur esprit de coopération.

Après cet échec, il fallut attendre 1932 pour que l’idée soit reprise mais rien de concret ne fut réalisé. L’année suivante, une nouvelle assemblée adopta le principe d’une cave et le 1er décembre 1933 fut constituée une commission d’étude qui travailla avec ardeur pour définir les plans de construction d’une cave moderne. Après de nombreuses visites dans différents cantons, des relations avec des architectes et des techniciens, cette commission présenta le 22 mars 1934 un rapport documenté pour la construction d’une cave permettant de vinifier et de loger quatre cent mille litres de vins pour une participation de 1000 ouvriers au moins, recommandant de ne rien entreprendre si ce chiffre ne pouvait être atteint. Comme ce jour-là, les adhésions se montaient à 583 ouvriers pour 33 sociétaires, le projet dut être abandonné.

Malgré tout, l’idée avait fait son chemin. Des 7 de 1906, les propriétaires étaient 33 en 1934 et à la demande d’une majorité d’entre eux, la commission continua ses travaux. Le 11 avril 1935, un nouveau rapport fut présenté. Celui-ci prévoyait d’utiliser les caves existantes dans les villages. Il convenait de louer trois caves: celles des Langer de Wesdehlen à Saint-Aubin et celle du château de Vaumarcus.

Si cette solution présentait l’inconvénient de caves dispersées dans le pays, elle était en revanche nettement moins onéreuse.

Mais l’outillage de ces caves était loin de correspondre aux besoins de l’encavage. Tant pour les pressoirs que pour les vases.

Au cours de cette même assemblée, un projet financier et les statuts de la future société furent présentés et discutés.

Finalement, c’est le 4 mai 1935 que l’Association vit officiellement le jour. Elle regroupait quarante sociétaires avec 549 ouvriers de vignes. Dans les jours qui suivirent, quinze nouveaux sociétaires rejoignirent la Société pour une superficie de 818 ouvriers. Dix ans plus tard, elle comptait 91 sociétaires pour 1038 ouvriers de vigne, soit l’équivalent de 36 hectares et demi.

D’emblée, le comité élu dut s’attacher à préparer la vendange 1935. Avant tout, il fallait trouver de l’argent. Diverses démarches furent tentées, sans succès, tant auprès des banques qu’auprès des autorités cantonales et fédérales. C’est alors qu’il s’adressa à la population de la Béroche. Un emprunt obligataire à 4% fut émis et, très rapidement,, grâce à la compréhension et à la sympathie des habitants de la Béroche et de quelques personnes habitant au dehors , le comité disposa d’un somme qui, ajoutée aux parts sociales, lui permit de faire l’acquisition du matériel indispensable à la bonne marche de l’entreprise.

Un pressoir hydraulique Rauschenbach avec quatre maies roulantes d’une contenance de 1250 litres chacune, une émietteuse, dix vases neufs de la tonnellerie de Rheinfelden, seize d’occasion furent acquis. De plus, trois cuves verrées Borsari d’une contenance totale de 48000 litres furent construites dans la cave Langer. Le tout fut livré à la dernière minute et ce n’est pas sans appréhension que le comité vit arriver l’heure de la première récolte.

Finalement tout se passa au mieux et 2307 gerles de blanc et 155 de rouge furent encavées.

En 1936, le travail des pressoirs fut amélioré avec la construction de trois cuves d’égouttage et quatre mille litres chacune, ce qui permit de pressurer en six jours seulement, dans une seule cave, 1832 gerles de blancs alors qu’en 1935, tous les pressoirs avaient été utilisés, soit les deux de Vaumarcus, les deux de la cave de Wesdehlen et les trois de la cave Langer.

En 1935, après avoir logé le moût, il restait à trouver les sommes nécessaires au paiement de la vendange des sociétaires.

Ayant pu vendre une quantité importante en moût, le comité put facilement réunir l’argent nécessaire au premier versement de Noël. Pour le deuxième versement, ceci fut moins aisé. C’est grâce à un prêt à 2 % de la Fédération romande des vignerons que les sociétaires purent recevoir leur deuxième acompte.

Pour écouler les vins 1935, le comité avait tout d’abord pensé à des enchères publiques. Comme un négociant du canton lui avait acheté une bonne partie de la production dès le début de janvier, il renonça à ce projet. Le solde fut écoulé par la suite normalement, si bien qu’à fin d’exercice, en septembre, les réserves étaient justes suffisantes pour faire la soudure avec le 1936.

Pour le millésime 1936, le comité n’arriva pas à s’entendre avec leur gros client, si bien qu’une mise aux enchères eut lieu le 16 mars 1937. Les amateurs vinrent en nombre mais peu nombreux furent les clients effectifs même si une bonne moitié du stock trouva preneur. Toutefois, ceux qui en avaient acheté revinrent en rechercher par la suite, se déclarant satisfaits du produit.

Ainsi, très rapidement, la Cave de la Béroche put s’attacher une clientèle et trouver une assise financière à la satisfaction de ses sociétaires.

Les vendanges 1939

Alors que de très nombreux hommes étaient mobilisés, le temps des vendanges arriva et celles- ci, qui débutèrent le 20 octobre pour le rouge et le 23 pour le blanc se firent sous la neige, avec l’aide il est vrai des soldats du régiment fribourgeois 17 de Landwehr. Le livre des procès- verbaux nous dit:

 » Il peut arriver une fois dans le cours d’un siècle que l’on vendange en novembre. Voilà quelque chose que nous pourrons raconter à nos petits-enfants en connaissance de cause, pour l’avoir vécu en cette année de grâce 1939. Chacun se souviendra de cette cueillette sous la neige et dans la neige jusqu’aux mollets!… Des particuliers transportant leurs gerles sur des traîneaux! Et de gerles pleines avec la bonne mesure: un chapelet blanc qui fondait à peine tant l’air était froid. Ce n’était plus un plaisir de vendanger dans ces conditions-là, avec -3 degrés de froid. Les militaires aidant, tant à la vigne qu’au pressoir, tout s’est cependant terminé sans trop de complications et aujourd’hui, nous en établissons le bilan.

Les bans furent levés le 20 octobre pour le rouge et dès le 23 pour le blanc, si bien que nos pressoirs furent en activité jusqu’au 4 novembre sans interruption, soit pendant seize jours. Tout fut pressuré au No 1, le rouge aussi; la presse hydraulique nous procurant un travail plus fini que les vieux pressoirs de Wesdehlen ( procès-verbal du 4 novembre 1939). »

Au total, 2279 gerles dont 134 de rouge furent encavées, soit 185.280 litres de blanc. Les analyses nous apprennent que le blanc contenait 8.6° d’alcool et le rouge 9,5°. Il convenait aussi de les désacidifier, ce qui fut fait. Le rouge fut aussi ouillé avec du vin d’Algérie pour lui donner un peu de couleur.

L’année 1940

Le 30 avril, une forte grêle ravagea principalement le vignoble de Fresens. Celle-ci eut des conséquences sur les vendanges où on n’encava que 670 gerles de blanc et 61 de rouge.

Cette petite récolte alla de paire avec l’introduction d’allocations de mobilisation et une hausse des prix des verres de bouteilles d’environ 23%. De plus, les Caves étaient assujetties au paiement de l’impôt de sacrifice pour la défense qui se montait à Fr. 542.25 pour une fortune imposable de Fr. 37.500.

Les prix des vins de 1940 furent fixés de la manière suivante:

1 gerle = 85 litres à 90 francs =Fr. 1.05 le litre
Frais de pressurage   0.10
Prix de litre au vase   1.15
Bénéfice   0.20
Prix du vin rond pour revendeur   1.35
Prix du vin clair   1.40
En litre   1.50
En bouteille   1.30
En chopine   0.70
Prix pour les particuliers: + 0.20    
Prix du rouge: en vase, 1.90 vin clair. (24 janvier 1941)    

Titrage des vins

Quant aux analyses, elles donnèrent les résultats suivants. Celles effectuées par M. Sydler donnèrent des titrages de l’alcool de 8,9° à 9° pour le blanc et de 10,6° à 10,7° pour le rouge avec une acidité de 8.1 à 8.5.

Quant à l’analyse de Montagibert faite à Lausanne, elle donne:

Blanc
alcool acidité totale  
8.9° 6.9  
     
Rouge
alcool acidité totale  
9.95° 9  
     
  blanc rouge
aspect trouble trouble
alcool en vol % 8.9 9.95
acidité totale Gr/litre 6.9 9
acide tartrique total 2.15 2.15
casse oxydasique négative négative
dégustation franc, bouqueté franc, bouqueté
  léger, pas trop corsé; encore acide acide

Et si beaucoup de vins étaient vendus en fût, les ventes au détail exigeaient de constantes mises en bouteilles. Celles-ci étaient difficiles à trouver si bien que les dirigeants de la cave n’hésitaient pas à se porter acquéreur dès qu’on leur en proposait, même au prix de 15 centimes l’unité.

Les vendanges 1941

Afin de bien les préparer, le comité des Caves dut adresser une demande de carburant au bureau communal de Saint-Aubin pour que le camion de Sydler pût assurer les divers transports nécessaires au cours des vendanges.

Cette année-là vit aussi la mise sur pied d’une fête des vendanges avec un cortège qui chemina de Vaumarcus à Saint-Aubin. Grâce à un ensemble de photographies, il est possible de suivre son évolution entre ces deux localités. Cette fête, qui n’eut lieu qu’une seule fois, venait quelque peu remplacer celle de Neuchâtel, qui avait été supprimée dès 1939. Les Caves de la Béroche, qui avaient été sollicitées par les comité des fêtes, offrirent à titre publicitaire toutes leurs prestations.

Avec l’arrivée de la récolte, il fallait mettre sur pied les équipes de pressureurs. A cet effet, on peut lire:

 » Plusieurs candidats au poste de pressureurs sont inscrits. Nous avons trouvé un chef d’équipe en la personne de M. Louis Reymond des Grattes s/ Rochefort qui a travaillé déjà plusieurs années chez M. Perrochet à Auvernier. Il est venu se présenter pour discuter de son travail et a été agréé par les deux membres du comité qui l’ont reçu. Nous formons les équipes comme suit:

Pour le jour: Reymond Louis, Basting Bernard, Chevert Edouard, Frey Henri, Kachrer Werner, Muller Walter;
Pour la nuit: Monnier Léon, Pitton Henri, Schmaltz Ernest, Franckfort Robert.
Henri Porret qui connaît notre presse hydraulique viendra le premier jour mettre au courant ses collègues. (Procès-verbal du 11 octobre 1941).

Visite des vignes

Une visite des vignes opérée le 8 écoulé a permis de constater différents aspects de la récolte:

« Où le sec a sévi, la vendange est moins belle qu’en d’autres parchets qui n’ont pas souffert du tout. On va bien récolter trois gerles en moyenne à l’ouvrier. Espérons que nous aurons assez de place pour le tout. ( procès-verbal du 11 octobre 1941) »

Ces prévisions s’avérèrent exactes puisque ces vendanges furent les plus fortes enregistrées depuis la fondation de la cave. Leur résultat fut le suivant:

M. Alber au pressoir de Wesdehlen a reçu 140.46 gerles de rouge
Nous en avons livré à Bevaix (Langer) 29.90
M. Borel à Vaumarcus en a livré 17
La récolte totale de rouge est donc de 187.36 gerles
Pour le blanc, les carnets de réception mentionnent:  
mercredi 15 octobre 441.39 gerles
jeudi 16 415.14
vendredi 17 436.82
samedi 18 466.5
dimanche 19 80.15
lundi 20 355.50
mardi 21 160.41
mercredi 22 53.43
Total au pressoir N° 1 2409.34
auxquelles il faut ajouter:  
Vaumarcus:  
 P. Borel 292.7
frères Nussbaum 6.40
Total 2708.44 gerles
(procès verbal du 30 octobre 1941)

Les pesées furent faites minutieusement par Roux et les résultats démontrèrent une qualité inférieure au maximum de 72° Oechslé, chiffre de base des encaveurs neuchâtelois. Cependant, ces vendanges doivent être placées dans une bonne moyenne. Toutefois, quelques sociétaires qui avaient vraiment exagéré avec des tailles abusives subirent des mesures prises à leur égard au moment du paiement des gerles.

Prix des vendanges 1941

Pour les calculer au plus juste, le gérant dut faire rentrer toutes les factures concernant les vendanges de façon à établir les prix des 1941 une fois les remplissages effectués. Il fallut aussi voir ce qui fut décidé à l’assemblée des communes viticoles convoquées à Auvernier par l’initiative du Conseil communal de Cortaillod, au sujet des prix de la vendange et de l’usage implanté par les encaveurs de payer désormais celle-ci au degré et non simplement à la gerle.

C’est M. Alber qui rapporta au comité sur cette assemblée. Le degré de base y fut ramené de 72° à 68°. Les diminutions ensuite devraient être de 2 en 2 degrés (par exemple 68° à 66° ou 66° à 64°). En dessous de 64°, les vignerons subissaient une forte diminution de prix, appliquée par les encaveurs à raison de Fr. 1.25 le degré.

Vis à vis de ses membres, le comité décida d’appliquer cette méthode d’une manière assez sévère, surtout envers ceux qui avaient manifestement taillé hors de toute loi et qui avaient produit vraiment de la vendange inférieure. Par exemple: dix francs de moins par gerle en dessous de 60° Oeschslé.

Pour les années suivantes, il se proposait de visiter encore avant la taille les vignes et les propriétaires en question et d’exercer un contrôle encore plus serré des sondages à la réception, dans le but de pousser à la qualité.

La qualité du millésime 1941

Les vins analysés le 16 janvier 1942 dans les laboratoires de Montagibert ont donné les résultats suivants:

Désignation Cuve N°3 Vase N°8 Rouge N°33
Aspect trouble trouble trouble
Couleur normale normale rouge clair
Alcool Vol (Malligand) 8.85 8.8 10.2
Acidité totale gr/l 9.5 7.5 10.4
Acide tartrique 3.45 3.9 2.8
Acide sulfureux libre 5 7 12
Casse oxydasique négative négative négative
Dégustation franc – acide un peu court franc- acide plus corsé assez corsé vin «Bocké»

Ces trois vins présentent une composition chimique normale pour la région et l’année. L’alcool n’est pas très élevé dans les blancs mais satisfaisant pour le rouge. L’acidité est assez forte dans le blanc, cuve N° 3 et dans le rouge. On pourrait désacidifier ces deux vins au carbonate de chaux précipité pur, à raison de 70 et 50 gr. De ce produit par hectolitre. Cette addition pourrait se faire en combinaison avec un transvasage à la grosse, qui favoriserait au surplus la deuxième fermentation, déjà sensible dans le vase N° 8. ( procès-verbal du 26 janvier 1942) »

Finalement, le paiement de la vendange 1941 s’est fait sur la base d’un prix fixe pour le blanc et le rouge et non d’après les degrés Oechslé comme cala avait été proposé. Pour différentes causes, entre autres arrêt de végétation dû à la sécheresse et pèse-moût d’exactitude douteuse, le comité renonça à appliquer ce système.

Pour 1942, il étudia sa mise en vigueur à condition de se munir de nouveaux appareils garantis par la Station d’Auvernier et de nommer un contrôleur, dont la tâche serait uniquement de s’occuper de cette vérification.

Prévision de vendange pour 1942

Cette vendange s’annonçait sous de beaux aspects; pour le comité, il devint prudent de prévoir une capacité d’encavage plus grand que précédemment. Comme des enchères de matériel de cave étaient annoncées dans la Feuille d’Avis de la Béroche par les quelles M. Ch. Burgat mettait en vente tout le matériel de l’ex-encavage Lauber de Rougemont, il fut décidé de profiter de la circonstance pour miser les vases de la cave de blanc, soit environ 30.000 litres, ainsi que des caisses d’expédition. Les Caves de la Béroche louèrent encore les caves, sans les pressoirs, pour un loyer annuel de deux cents francs.

Les sondages effectués à Auvernier montrèrent que la teneur en sucre laissait beaucoup à désirer puisqu’ils ne titraient que 58 et 62 degrés Oeschlé. Cette situation au 23 septembre impliquait qu’il fallait encore attendre pour lever le ban aux alentours du 5 octobre.

Comme une grêle frappa le vignoble et que le coître fit son apparition, entraînant de la pourriture, les dates de vendanges furent avancées au vendredi 2 octobre pour le rouge et au lundi 5 pour le blanc. À cause du coître, le comité rendit attentif ses sociétaires de trier très soigneusement leur vendange pour ne pas compromettre la qualité des vins. Un contrôleur fut même nommé pour passer dans les vignes afin de prévenir ceux qui n’auraient pas convenablement trié que leur vendange pourrait être refusée.

Les apports furent de 270.588 litres de blanc contre 270.144 en 1941. La différence fut donc de 444 litres en faveur de 1942. Ceux en rouge furent de 16.103 litres contre 18.736 litres l’année précédente.

21.980 litres furent directement vendus en moût pour le concentré livré à Raisin d’Or.

Par ailleurs, de la vendange fut livrée à certains particuliers: 30 gerles de rouge à Hirth de Tüschertz et 200 gerles de blancs à Godet d’Auvernier au prix de Fr. 98.-. Pour le rouge, le prix convenu était de 149 francs plus 5 francs de courtage, soit Fr. 154.-.

La vendange 1943

La visite générale des vignes fut fixée au 25 septembre. Certaines étaient déjà attaquées par de la pourriture; celles en terrasse étaient à maturité. L’ouverture du ban fut prévue pour le 27 septembre.

Le rendement était estimé à 3 gerles par ouvrier. Le prix de la vendange devait être payé au degré avec un barème allant de 68 à 72 degrés Oeschlé afin de déterminer un prix pour la qualité moyenne, une surprime à la bonne qualité et pénaliser la mauvaise.

En rouge, c’est 171.92 gerles, soit 10 de plus qu’en 1942, qui furent amenées au pressoir et en blanc, 3231.68 gerles , soit 526 de plus qu’en 1942. Sur ces 3403.60
gerles , 190 furent vendues pour du raisin de table.

Les vendanges 1944

Le ban fut fixé pour le 4 octobre. La pourriture était assez accentuée.

Les possibilités d’encavage sont alors les suivantes:

  • 135.000 litres dans la cave Langer
  • 35.000 dans celle de Wesdehlen
  • 66.000 au château de Vaumarcus
  • 21.000 dans la maison Rougemont

soit un total de 257.000 litres

Toutefois, avec un rendement de 4,5 gerles à l’ouvrier, c’était l’équivalent de 450.000 litres qu’il faudrait loger. On octroya alors un crédit pour la construction de trois cuves verrées d’une capacité totale de 70.000 litres.

La Cave acheta aussi un deuxième pressoir hydraulique Rauschenbach pour augmenter sa capacité de pressurage et éviter les files d’attente des chars devant les pressoirs.

Le total des gerles produites par les sociétaires se monta à 5472, 57 gerles de blanc et à 265.19 de rouge, soit au total 5736.76 gerles de vendanges.

De ce total, il a été livré à Godet d’Auvernier, 251 gerles de blanc et à Colin à Neuchâtel, 100 gerles de blanc; le reste a été encavé.

Vente de moût 1944

Et vu l’extraordinaire quantité de raisin récolté, il fut décidé de vendre du moût à raison de:

Godet Auvernier 34.978 litres de blanc
Coop, Chaux-de-Fonds 11.170
Howeg 28.970
US Coop de Bâle 15.300
Café de la Béroche 2.760
M. Langer 935
Alfred Jacot 50
S. Rollier 115
Ami Jacot 180
Fred. Jacot 300
Au pressoir 47
Hoirie de Pury 25
Madame Bosshardt 20 litres de rouges
M. Langer 13
Albert Lozeron 449
Total des ventes: 95.678 litres de blanc
  95.678 litres de blanc

(Procès-verbal du 3 novembre 1944)

Cette année, le chef pressureur: Bastering fut payé Fr. 2.- de l’heure et tous les autres, Fr. 1.70.- . Quant au raisin de table, son prix fut fixé à Fr. 1.21 par kilo.

Observations sur les vendanges

M. Douady, au nom du comité, tint à remercier tout particulièrement M. Glardon pour son dévouement pendant la durée des vendanges. Grâce à son savoir et à son coup d’oeil de parfait mécanicien, les pressoirs fonctionnèrent à satisfaction même s’il y eut quelques petits arrêts, qui, dans l’ensemble, ne perturbèrent pas le travail. M. Glardon, interrogé sur le fonctionnement des deux pressoirs déclara qu’il fallait se déclarer satisfait. Les arrêts constatés furent dus principalement à des ruptures de joints, chose admissible pour des appareils qui ne travaillent que dix à quinze jours par année. Ce sont les cuirs des petits pistons qui s’usent trop vite. De plus, M. Alber proposa que pour une forte année, il faille envisager la construction d’une nouvelle cuve d’égouttage.

Rendement

Le rendement du rouge fut de 75%; celui du blanc de 86%. Le rendement du blanc peut être considéré comme très satisfaisant et le fait d’avoir pu effectuer une pressée supplémentaire soit 4 au lieu de 3 y est pour beaucoup.

Quant au rouge, il est terriblement faible et comme le contrôle des prix s’était basé sur 2 francs le litre de moût avec un rendement de 80%, la Cave risque perte. À cet effet, M. Langer est prié de s’informer auprès de A. Porret pour savoir si le chiffre de 80% est définitif. Si c’était le cas, le comité se verrait obliger de s’adresser directement à Montreux, à l’organe de contrôle, pour lui soumettre le cas. De ces démarches dépendaient la fixation des prix pour le rouge.

Vins rouges

Le 19 février 1945, avec la guerre qui se terminait, – la victoire des alliés ne faisant plus aucun doute – M. Langer craignait désormais une importation de rouge étranger en provenance de France et d’Espagne. Avec cette concurrence, le rouge du pays, vu son faible degré alcoolique deviendrait à nouveau difficile à placer et une diminution des prix serait inévitable. Il était partisan d’en vendre une bonne quantité au plus vite. De son côté, M. Porret souhaitait qu’on procédât plutôt à une mise en bouteilles afin de bénéficier d’une plus grande marge et si possible de couper ce rouge avec un vin plus coloré et plus fort en degré. En conclusion, il fut convenu que le comité se mettrait en rapport avec M. Thoening pour lui acheter environ 1500 litres de rouge étranger afin de procéder à un coupage, dans le but d’améliorer la couleur et le degré.

Étude des comptes 1944

En date du 2 juillet 1945, M. Douady présenta au comité les comptes provisoires. Il était de toute nécessité d’étudier dès maintenant la façon de répartir les bénéfices. En effet, presque tout le vin en cave avait été vendu, il n’y avait plus de stocks. Alors que ces dernières années, le Comité de la cave avait pu ne pas faire apparaître de gros bénéfices en diminuant la valeur des stocks, cela leur est impossible cette année puisque le stock n’existait pas. Ils voyaient apparaître d’un coup les bénéfices accumulés depuis quatre ans. Pour échapper au bénéfice de guerre, il leur fallait absolument trouver le moyen de réduire ces bénéfices. Le résultat provisoire jusqu’au 30 juin 1945 était le suivant:

Inventaire au 31 juillet 1944   58430.95
Achats en cours d’exercice (jusqu’au 30 juin)   15967.20
Payé pour vendange   1944 539721.70
Total des entrées   614119.85
Montant des ventes au 30 juin 707889.90  
Inventaire au 30 juin 1945 69063.40  
Total 776953.30  
Bénéfice brut   162833.45
Compte de pertes et profits    
Loyers, frais d’exploitation au 30 juin 43736.00  
Frais généraux commerciaux 34883.33  
Amortissement 20% sur 35000 7068.90  
Total 85688.23  
Bénéfice net   77145.22

Jusqu’au 31 juillet, il faut compter encore sur dix mille francs pour des frais et factures à venir, ce qui ramènerait le bénéfice à environ 67000 francs.

Après discussion, le comité décida de faire quelques commandes afin de réduire un peu cette somme. Des harasses furent commandés pour 2400 francs, de même, qu’un palan électrique pour le pressoir. Le comité proposa aussi de payer le 50% des primes des assurances-grêle des sociétaires (environ 10000 francs); les intérêts des parts sociales (800 francs); des indemnités aux frais de transport des gerles (14000 francs); un achat de 10000 bouchons (2500 francs), ramenant ainsi le bénéfice, sans le palan, à 35.000 francs.

Ils pensèrent enfin diminuer le prix des vins dans l’inventaire de 10%, soit de Fr. 6900, ce qui réduisait le bénéfice à Fr. 28000 environ. Finalement, comme chacun de son côté était désormais au courant des comptes, il pouvait réfléchir au moyen de réduire encore ces 28000 francs pour échapper aux bénéfices de guerre.

Les vendanges 1945

La maturité favorisée par une température chaude était très avancée. La visite des vignes fut fixée au mardi 4 septembre. Le rendez-vous eut lieu au Moulin avec l’itinéraire habituel. La campagne pour le raisin de table pouvait débuter le 3 septembre. Le comité décida de ne l’autoriser que pour une semaine à ses sociétaires, soit jusqu’au samedi 8. Une annonce dans la feuille d’Avis de la Béroche les aviserait que la Cave n’autorisait plus la cueillette après cette date.

Un égrappoir

Comme l’installation d’égrappage était insuffisante, il était nécessaire d’y remédier: le travail étant trop pénible et le rendement insuffisant.

Ainsi, M. Alber vit au stand Bucher – Guye au comptoir de Lausanne une machine qui pouvait fort bien convenir. Il s’agissait d’un égrappoir – foulo – pompe. Cette machine revenait à environ 5000 francs avec le moteur. Le Comité, très intéressé par cette machine, délégua MM. Douady et Glardon qui se rendirent à Lausanne le 11 septembre. Ils devaient voir s’ils pouvaient obtenir cette machine à temps pour les vendanges, soit pour le lundi 17 septembre au plus tard. A défaut de cette foulo – pompe, le comité se devait de faire installer un moteur pour actionner l’ancienne égrappeuse.

La visite des vignes du 10 septembre prouva que la qualité serait exceptionnelle et que le rendement moyen devait avoisiner 3 gerles et demi à l’ouvrier de 352 m2.

Il fut décidé que le litre de moût au pressoir se vendrait au prix de Fr. 1.80 le litre et le vin pour les voituriers à Fr. 2.- le litre.

Les vendanges 1945

Les 1038 ouvriers des 91 sociétaires produisirent 5.928 gerles dont 5472 de blanc, 265 de rouge et 192 pour du raisin de table, ce qui correspond à un rendement d’environ 6 gerles à l’ouvrier, soit environ 1 kilo 7 au mètre.

Pour le blanc, le contrôle des prix devait se calculer sur un rendement de 86%.

D’après l’inventaire, ils obtinrent pour leur pressurage du 88,9%, soit environ 3% supérieur. Le contrôle officiel de la vendange organisé par le Laboratoire cantonal révéla une moyenne de 78° Oeschlé pour le blanc correspondant au prix de Fr. 116.- la gerle.

Pour le rouge, la moyenne fut de 94°, correspondant au prix de Fr. 189.65 la gerle (rendement officiel 80%). (procès-verbal du 22 octobre 1945)

Conclusion

Si pour le vigneron-tâcheron cette période ne fut pas toute rose puisque son maigre salaire fut dès 1940 encore amputé d’un 2% pour l’allocation de mobilisation et qu’il ne gagnait que 80 centimes à l’heure, pour les encaveurs, les difficultés furent nettement moindres.

Comme les frontières étaient fermées, l’importation de vins étrangers fut stoppée si bien que les consommateurs durent se rabattre principalement sur la production indigène et sur les anciens stocks conservés chez des négociants.

Pour éviter qu’une trop forte hausse des prix ne survienne, la Confédération mit sur pied un organe de surveillance qui contrôlait les dérapages spéculatifs. Toutefois, malgré ses barrières anti-inflationistes, comme l’offre n’arrivait pas à satisfaire la demande, les vins suisses se vendirent très bien sur le marché indigène, voire à l’exportation, à tel point que, malgré les difficultés de chaptalisation et d’ouillage et leur basse teneur alcoolique, ils étaient vite bus.

Cette situation permit à certaines caves d’engranger des bénéfices toutefois rapidement diminués par des investissements nécessaires à l’amélioration de leurs infrastructures. Les Caves de la Béroche en sont un exemple manifeste.

Du point de vue des récoltes, à part celle de 1940, toutes les autres furent bonnes voire excellentes, à tel point que le millésime 1945 est resté dans les mémoires.

Ainsi il est possible d’affirmer que la viticulture n’a pas souffert économiquement au cours de ces années-là, même si certaines fois un manque de main-d’œuvre s’est fait sentir. On pourrait même dire, que libérée de toute concurrence extérieure, elle a bénéficié d’un protectionnisme singulier qui lui a permis de se moderniser et d’être performante le jour où la guerre s’est terminée.