Le musée de la vigne et du vin
Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée
Parures de fIacons
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Jusqu’au 4 mai prochain, le Musée de la Vigne et du Vin au Château de Boudry présente au public les principales pièces de son extraordinaire collection d’étiquettes anciennes, collection qui, si elle devait être comparée avec de la philatélie, serait composée de «Doubles de Genève», «Colombes de Bâle», etc.
Mais les étiquettes n’ont pas de valeur. Elles n’importent que par leur beauté intrinsèque et leur rareté.
Exemplaires des siècles passés
En présentant exclusivement des exemplaires des XVIIe et XIXe siècles, cette exposition offre au public un éventail très large des spécimens qui figurent parmi les premiers jamais imprimés en gravure sur cuivre, en gravure sur bois puis ensuite en lithographie.
La première vitrine présente des étiquettes du XVIIe siècle, qui sont de simples mentions de cru ou d’alcool, petites notations que l’on collait sur les bouteilles. Parmi les pièces exposées figure toute une série d’étiquettes imprimées pour la maison DuPasquier de Gélieu, qui fabriquait des alcools et commercialisait des vins à Colombier dans le dernier quart du XVIIe siècle. Il faut aussi relever là la présence des deux plus anciennes étiquettes d’absinthe connues, propriété du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.
L’exposition se poursuit par la présentation de la plus ancienne étiquette neuchâteloise à caractère topographique. C’est la fameuse vue de Cortaillod dessinée aux alentours de 1820 par un graveur sur bois anonyme. Trois planches de huit exemplaires sont exposées. Cette étiquette, par ce qu’elle figure, retrace une tranche de la vie viticole de l’époque.
Ensuite des étiquettes du millésime 1834 rappellent que celui-ci fut sans aucun doute l’un des plus fameux du siècle passé. C’est en Moselle que plusieurs vignerons jugèrent utile de faire imprimer des étiquettes pour commercialiser au mieux cette excellente année. Ils furent imités par les Champenois, voire les Neuchâtelois puisque des exemplaires de ces régions figurent aussi dans cette vitrine.
À propos des rouges d’hier
La vitrine suivante rappelle que les rouges d’hier n’étaient pas aussi foncés que ceux d’aujourd’hui. Même les bourgognes ou champagnes, quoique issus de pinot noir, étaient souvent vinifiés en blanc. Lorsqu’une erreur de pressurage survenait et que de la couleur de peau était donnée à la pulpe, ce qui teintait légèrement le vin, on parlait alors d’œil-de-perdrix. C’est pourquoi cette vitrine appose une étiquette de 1840 d’un œil-de-perdrix de Champagne avec un œil-de-perdrix 1861 d’Areuse!
Il faut dire que ce n’est qu’avec le XIXe siècle que les vignerons ont su correctement cuver leurs vins et produire dès lors des rouges profonds. Avant, on cherchait plutôt à avoir des vins clairets, soit des œils-de-perdrix, ce qui permet de comprendre pourquoi Jean-Jacques Rousseau pouvait comparer sans vergogne les rouges de Cortaillod aux meilleurs crus de Bourgogne!
Vins d’ailleurs
Autour de quatre étiquettes de vins de Hongrie, de Grèce et de Lettonie, et d’une étiquette d’un vin du Cap sont placées trois étiquettes neuchâteloises. La première, un mousseux de 1849 du Prieuré Saint-Pierre de Môtiers, de Richardet, accompagnait des bouteilles prévues pour l’Australie; la seconde rappelle que les Frères Bouvier expédiaient leurs vins à Londres et la troisième que l’on a bu du Neuchâtel lors de l’inauguration d’un tronçon du canal de Panama en 1887! Restent dans cette vitrine deux bouteilles pleines d’un rouge de Californie de la maison Sutter. Ces bouteilles du XIXe siècle qui portent des marques de fabriques suisses devaient contenir à l’origine de l’alcool qui dut être exporté aux USA, puis bu. Le vide servit alors pour une mise de vin de Californie, vin qui est revenu en Suisse!
Une belle ivresse
La vitrine suivante rappelle la cuite mémorable prise par le général Oudinot chez le colonel Vouga de Cortaillod en 1806. Après avoir porté d’innombrables toasts à la France et à l’empereur, en voulant enfourcher son cheval, le général passa outre, se retrouvant sur le sol, criant alors: «Il est du Diable, le vin du Colonel!» L’expression est restée et qualifie désormais le vin rouge des côtes de Cortaillod.
Des grands faiseurs pour le champagne
Comme les manipulants de Champagne ont très vite dû se démarquer sur le marché national et international, ils ont été obligés de donner à leur maison des signes distinctifs de reconnaissance, recourant ainsi à l’usage de l’étiquette.
Dès les années 1825, avec l’essor de la lithographie, les récoltants de Champagne ont fait réaliser de somptueuses étiquettes qui, à l’époque de Louis-Philippe, ont allié avec bonheur les ors, les argents et les bleu roi. Les maîtres lithographes ont ainsi poussé au paroxysme leur art, réalisant des chefs-d’œuvre d’impressions, recourant encore au gaufrage pour donner du relief aux étiquettes.
Il est ainsi possible d’admirer plusieurs dizaines de spécimens représentatifs des années 1830 à 1880 qui montrent à quel niveau technique et décoratif les imprimeurs champenois sont arrivés. Et derrière les richesses et le chatoiement de ces impressions, on retrouve toutes les grandes marques qui ont donné au champagne ses lettres de noblesse.
Des vins doux
L’espace suivant présente les malagas, marsalas et autres madères dont les hommes du XIXe siècle raffolaient si l’on en croit le nombre d’étiquettes conservées.
Toutefois, avec ces vins, il y a peu de mise d’origine mais plutôt un trafic de tonneaux et des mises en bouteilles par des négociants suisses et français. Cette situation implique que les étiquettes soient avant tout génériques et ne portent que des noms d’appellations générales.
Parlons vins
Trois vitrines présentent environ deux cents étiquettes de Bordeaux, Bourgogne, Beaujolais, Côtes-du-Rhône, vins du Jura, de Moselle et de Suisse.
Si certains noms bordelais font rêver – Haut-Brion, Château Lafite, Yquem – les Pommard hésitent entre un ou deux «m». Mais ces étiquettes rappellent que si certains crus étaient déjà fort célèbres, des réglementations et autres délimitations d’appellations d’origine n’étaient pas encore totalement définies.
Un espace complet est réservé aux étiquettes neuchâteloises. Si quelques-unes sont spécifiques aux vins blancs, la plupart ont été imprimées pour couvrir des bouteilles de vins rouges dont la demande s’est accentuée dans les deux derniers tiers du XIXe siècle.
Avec la maîtrise du cuvage, les vignerons neuchâtelois ont su produire un rouge de qualité dont la réputation a très vite dépassé les frontières cantonales. Comme ils voulaient aussi que ce vin soit commercialisé dans toute sa bonté, ils ont commencé à le vendre en bouteilles et de moins en moins en tonneaux. Le recours à l’étiquette fut ainsi obligatoire. Toutefois, il faut rappeler que jusqu’en 1900, seul 6% du vignoble était complanté en rouge!
Des alcools
Les vitrines du premier étage sont consacrées aux alcools. Deux parlent d’eaux-de-vie, soit de Kirschwasser, cognac, rhum et autres gentianes. Une autre montre la diversité des produits distillés par Édouard Pernod qui, au-delà de l’absinthe qui fit sa réputation, produisait du Vespetro, de l’Eau de pucelle ou de la Liqueur du Burgermeisterli.
La vitrine contiguë rappelle que le Val-de-Travers, au XIXe siècle, pouvait s’apparenter à une immense distillerie tant les différentes marques y abondent. En effet, plusieurs centaines de personnes travaillaient là autour de l’absinthe et des alcools. L’heure du berger, si célèbre dans toute l’Europe, y puise son origine.
Parmi les liqueurs appréciées, relevons que le Parfait amour avait la cote et cela depuis le XVIIe siècle et que l’Anisette de Bordeaux doit son origine à la célèbre Marie Brizard!
Si les étiquettes de Martini n’ont que peu changé, le nombre des producteurs de vermouth s’est bien amenuisé.
Deux faiseurs de Poitiers
L’avant-dernière vitrine présente une partie de la production de deux imprimeurs spécialisés dans l’étiquette qui ont tenu successivement un atelier à Poitiers: Gué et Baelde. Il est intéressant de comparer leur style et de suivre ainsi l’évolution d’un graphisme particulier sur les derniers trente ans du XIXe siècle.
Et dire qu’on en buvait!
Tel est le titre de la dernière vitrine qui montre la diversité des alcools que le XIXe siècle produisait. Noms de fantaisie, souvenirs historiques s’entremêlent. En effet, de l’Élixir de Thiers à la Liqueur de Béranger, de la Permission de Minuit au N’importe quoi, de la Crème de Pucelle au Bouquet de la Mariée, de la Liqueur du Divorce à la Crème de Cocu, on trouve de tout, du «Ça m’est égal! » à la Liqueur de la Fanfare!
Avec un tel assortiment, nous n’avons que l’embarras du choix, un choix qu’il est pourtant mal aisé de définir.
Un catalogue d’accompagnement
Pour conserver le souvenir de cette exposition, il est possible d’acquérir le numéro 51 de la Nouvelle Revue Neuchâteloise intitulé «Les vins de Neuchâtel et l’étiquette», numéro spécial richement illustré qui présente les étiquettes neuchâteloises les plus importantes, œuvres maîtresses de l’exposition.