Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Quatre Chatenay vignerons

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QUATRE CHATENAY VIGNERONS

Alors que l’encavage des Caves Châtenay-Bouvier SA fête son bicentenaire, il pourrait être utile de présenter aux lecteurs du Vignolants quels ont été les membres de la famille qui sont à l’origine de cette maison viticole neuchâteloise.

Samuel Châtenay (1752-1818), le fondateur

Samuel Chatenay est né en 1752 à Neuchâtel. Il est le fils d’Henry Chatenay (1823-1796), qui est maître menuisier, et d’Elisabeth Gorgerat de Boudry. Son goût pour le commerce va le pousser à fonder le 1er avril 1783 avec Jean-Louis Roy une maison spécialisée dans la toilerie et la draperie.

Il épouse en premières noces Marie-Esther Lardy d’Auvernier, dont le père, Jean-Pierre Lardy, possède un domaine viticole autour de ce village. De cette union naît le 21 avril 1786 Auguste- Xavier (1786-1859).

L’achat en 1796 d’une maison à Auvernier le fait entrer de plein fouet dans le monde viti- vinicole. Cette acquisition marque le départ d’un encavage dont la notoriété est allée en s’accroissant, surtout dans la deuxième moitié du XIXe siècle, lorsque les Châtenay en font une de leurs activités principales.

L’immeuble dont Samuel Châtenay se porte acquéreur est une maison de caractère, flanquée d’une tourelle d’escalier hexagonale érigée au fond d’une cour fermée par un portail de pierre à arc surbaissé, daté 1638. Ce petit manoir a été reconstruit au début du XVIIe siècle par Abraham Mouchet, qui était receveur et capitaine du château de Colombier.

Si Samuel Châtenay s’installe à Auvernier, c’est sans doute pour faire plaisir à sa première femme, Marie-Esther Lardy, afin que celle-ci se sente proche de sa famille et du monde vigneron dont elle est issue. En tout cas, cette installation marque bien le début de l’histoire de l’encavage Châtenay.

Simultanément, il se porte acquéreur de parcelles de vignes dans les quartiers des Bercles, des Lerins, au Creux Mallevaux, au Sahu et à la Creuza, se constituant un domaine d’une vingtaine d’ouvriers de vigne de 352 mètres carré, auxquels il convient d’ajouter ceux apporter en dot et en héritage par sa femme, estimé à une quarantaine.

Très vite, Samuel Châtenay gère un domaine supérieur à deux hectares. À l’instar d’autres négociants de la ville, Samuel Châtenay investit dans le vignoble. À cette époque, la vigne est considérée d’un bon rendement puisque, en moyenne, son rapport est supérieur à 4%, le taux usuel du marché de l’argent en cette fin du XVIIIe siècle. On peut même dire que son rendement moyen est supérieur à 6%, comme différentes comptabilités nous le démontrent.

Auguste-Xavier Châtenay (1786-1859)

Après la mort de Samuel Châtenay survenue en 1818, c’est son fils Auguste-Xavier qui reprend les rênes de la maison de commerce et de l’encavage d’Auvernier.

De son mariage avec Henriette Borel naissent quatre enfants: Auguste-Henry (1815-1901); Jules (1816-1866); Louise-Fanny et Fanny-Henriette.

Parallèlement à son négoce de draperie, il continue d’accroître le domaine viticole d’Auvernier puisqu’on peut en estimer la superficie vers 1835 a environ deux hectares et demi. De même, il achète l’immeuble No 12 de la rue de l’Hôpital, qui, de 1825 à 1931, sera en ville le centre de l’activité commerciale de la famille Châtenay.

Auguste-Henry Châtenay (1815-1901)

À sa mort, son fils Auguste-Henry Châtenay donne donc une nouvelle orientation au commerce familial. Il abandonne peu à peu le monde des tissus pour créer « Les Marchandises générales », maison où le commerce des vins et des liqueurs devient prépondérant. Par voie de conséquence, il modernise l’encavage d’Auvernier, le rendant très performant. Par achat, il acquiert peu à peu un vignoble sur les territoires des communes d’Auvernier, de Colombier et de Neuchâtel, qui, à sa mort survenue, s’étend sur plus de six hectares, soit l’équivalent de 172,8 ouvriers.

Il transforme la cave d’Auvernier en construisant en 1862-1863 une annexe au sud-ouest de la maison afin d’y placer un nouveau pressoir.

On lui doit également la création à la rue de l’Hôpital, à Neuchâtel, de l’Hôtel des Caisses, appelé aussi les Mille Colonnes, le Café des 36 billards, le Glaspalast ou le Zwölflikeller, par référence au numéro que la maison porte.

Samuel-Henry Châtenay (1848-1930)

Samuel reprend les rênes du commerce familial en 1880. Jusqu’à sa mort survenue en 1930, il donne à son encavage ses lettres de noblesse et à ses vins une typicité toute particulière qui les fait reconnaître d’entre les crus.

Citadin et villageois, résidant tant dans la propriété des Aliscamps, bâtie entre la route de l’Evole et le chemin de Trois-Portes qu’à Auvernier, Samuel Châtenay a épousé Mathilde Berthoud, la fille du peintre neuchâtelois Auguste-Henry Berthoud.

Toujours impeccablement soigné, Samuel Châtenay aborde les vendanges à Auvernier en portant une calotte de velours. Il suit le travail des pressureurs depuis une logette en verre, inspirant le respect à quiconque entre. Au fond des locaux de pressurage trône une gerle, qui porte la date de 1796. Celle-ci rappelle aux visiteurs l’ancienneté de la maison.

En véritable artiste, Samuel Châtenay sait faire naître le bouquet des vins neuchâtelois, veillant, voire dormant dans son pressoir, à l’instar de nombreux aristocrates du Pays, pour attendre le moment où la montée du rouge en cuve s’affaisse, soit le moment solennel créateur du bouquet qui fait des rouges de Neuchâtel, Auvernier, Cortaillod, des crus réputés.

À l’occasion du centenaire de son encavage, Samuel Châtenay prend la peine de rédiger un opuscule intitulé « Observations générales sur le vignoble et les vins de Neuchâtel ». Avec vigueur, sans en faire l’apologie, il parle « de cet excellent cru, en rendant hommage à la vérité. »

Il impute aux couches calcaires sur lesquelles le vignoble est planté la vivacité « toute gauloise » et le bouquet des vins. Il regrette cependant que les conditions climatiques du pays ne permettent pas chaque année d’obtenir une maturité optimale. Toutefois, il rend hommage aux vignerons qui, par leur travail et leurs soins continus, tentent sans cesse de pallier aux déficiences météorologiques.

Il place les vins rouges de Neuchâtel au premier rang des vins suisses mais pour que ceux-ci méritent ce compliment, il faut qu’ils soient vinifiés de manière optimale. Il dénonce alors l’incurie de certains encaveurs de qui abîment le produit des vendanges en laissant le pinot cuvé avec ses raffles un temps insuffisant, au contact de l’air extérieur. Il préconise l’égrappage systématique, qui évite l’âpreté. C’est exclusivement les pépins et la peau des raisins qui doivent donner au vin les tanins, la robe, la finesse, le corps et le goût du fruit qui lui permettent atteindre sa plénitude et un vieillissement optimal. Les tanins de la raffle entraînent ce goût détestable que certains appellent à tort goût du terroir.

Il écrit ensuite:

« Les vins rouges de Neuchâtel, égrappés et cuvés avec soin, le marc toujours couvert de liquide, dans des cuves et des locaux hermétiquement fermés (sauf à livrer passage à l’excès d’acide carbonique), et à la haute température occasionnée par la fermentation, doivent être mis au pressoir aussitôt l’ébullition naturelle terminée, soit au moment où le vin a passé à l’état de vin; puis soutirés dès la limpidité apparue, par un temps sec et une température basse, quoique au- dessus de zéro. S’il convient de loger nos vins rouges dans des foudres de grandes dimensions suivant les quantités récoltées, par contre le soutirage doit être opéré dans de la futaille de moindre contenance, d’où ils ne devraient être mis en bouteilles, sans jamais les coller, qu’après un an ou deux de repos. Malheureusement, cette dernière condition est rarement remplie, en raison même de la petite quantité du produit, en regard des exigences de la consommation, surtout dans les grandes années où la demande plus forte vide les caves de l’encaveur avant que ses vins aient atteint chez lui, en fûts, la maturité nécessaire à la mise en bouteilles. »

Cet extrait rappelle que seul le 6% du vignoble était alors planté de pinot car peu de terres étaient jugées compatibles avec la culture de ce plant délicat et fin. La famille Châtenay elle-même ne possède qu’une infime surface complantée en rouge.

Pour les blancs, il différencie deux types de mises en bouteilles: celle sur lie dont le vin fait les délices des amateurs de tripes et de fondue et celle où les lies ont été supprimées. Seule cette dernière manière de faire permet au blanc de Neuchâtel d’être comparé avec des Chablis. Pour cela, il faut le mettre assez rapidement en bouteilles après un seul soutirage, sans jamais le coller. Dans ces conditions, il obtient sa maturité en bouteilles, développant ses qualités d’année en année, sans perdre sa vivacité qui fait son originalité.

Ces quelques lignes témoignent des soins que Samuel Châtenay apporte à ses vins et montrent qu’il veut sans cesse travailler à l’amélioration de l’image des vins de Neuchâtel. À cette époque, l’incurie de nombreux encaveurs contribuait à véhiculer hors des frontières cantonales une image peu glorieuse des produits du vignoble. On comprend que de vrais professionnels aient tout mis en oeuvre pour combattre cette situation. Samuel Châtenay est donc l’un d’eux. À ce titre, il a présidé longtemps la Société des propriétaires-encaveurs et a obtenu pour sa marque de nombreuses récompenses tant nationales qu’internationales.

Juste avant sa mort en 1930, Samuel Châtenay a dû faire face à des difficultés économiques liées à la crise qui l’ont contraint à se séparer d’une partie de son domaine viticole, modifiant ainsi la structure même de l’entreprise.

Pour ses successeurs, qui créèrent alors la Société Anonyme Samuel Châtenay, la reprise de Bouvier Frères fut synonyme d’un nouveau départ, mais surtout de continuité puisque les Caves Châtenay-Bouvier SA fêtent cette année leur bicentenaire.

PS: Ces quelques lignes sont tirées d’une plaquette intitulée « Les Caves Châtenay-Bouvier SA, une tradition bicentenaire ».