Le musée de la vigne et du vin

Château de Boudry Ambassade du vignoble neuchâtelois, œnothèque et musée

Millésimes 39-45

1998

Notre vignoble durant la Deuxième Guerre Mondiale

Jusqu’en juin 1999, le Musée de la Vigne et du Vin au Château de Boudry présente une exposition consacrée à la vigne et au vin durant la Deuxième Guerre Mondiale. Grâce à des œuvres des artistes chaux-de-fonniers, Léon Perrin et Lucien Schwob, le visiteur peut visualiser cette période tout en en découvrant la réalité à travers des photographies et des documents d’archives.

Léon Perrin tout comme Lucien Schwob aimaient la Béroche si bien qu’à plusieurs reprises ils s’y installèrent pour y peindre et se détendre. Tant à Sauges, Saint-Aubin que Vaumarcus, ils rencontrèrent des vignerons dont ils sai­sirent les gestes, créant ainsi un œuvre dessiné et peint dont l’intérêt est à la fois ethnographique et pictural. Eth­nographique parce qu’il montre bien les réalités du temps, à savoir que les hommes manquaient, étant sous les dra­peaux, que les boeufs remplaçaient les chevaux, eux aussi mobilisés, que les femmes devaient s’adonner à tous les tra­vaux. Pictural parce que la qualité des dessins, dans leur rigueur, leur simplicité, leur justesse, est exceptionnelle; parce que les aquarelles, par leur harmonie, leur composi­tion, leurs tons, sont dignes des plus grands maîtres – cer­taines pourraient sans conteste être signées Dufy! – parce que la maîtrise des pastels est totale.

Un certain dictateur

Quant à la seule peinture à l’huile, elle est comparable à celles que Jämes Ensor a signées, prouvant bien à quel point ce maître a inspiré Schwob qui a vécu à Ostende quelques années dans son entourage immédiat. Du reste, en la regar­dant attentivement, on peut être surpris par le grotesque de certains de ces personnages assis à une table de banquet. L’un d’eux, avec sa mèche et sa moustache carrée, évoque indubitablement un certain dictateur, donnant à ce tableau une connotation de gravité malgré l’aspect primesautier et festif qui s’en dégage au premier coup d’œil.

La première aquarelle sur laquelle le visiteur pose son regard est une interprétation que Léon Perrin a faite du char de Sauges lors de l’unique Fête des vendanges qui s’est tenue à la Béroche en 1941. On y voit un soldat casqué montant la garde auprès d’Helvétia qui tient sa lance et son bouclier à croix blanche sur fond rouge. Cette allégorie de la garde des frontières que l’armée assurait alors permet d’entrer dans le vif du sujet. De plus, une photographie de ce char en montre la réalité tout en mesurant l’écart qu’il y a entre elle et la composition de l’artiste.

Faire son devoir

La vitrine contiguë présente le livre des procès-verbaux du Comité des Caves de la Béroche en date du 20 septembre 1939, soit la première séance tenue après le début des hosti­lités. La convocation porte la remarque suivante: «Nous ren­dons attentifs les membres du comité non mobilisés au devoir qu’il incombe à chacun, de suppléer de son mieux les vides créés dans nos rangs par ceux actuellement sous les drapeaux».

Quelles heures tragiques venons-nous de traverser! La situa­tion internationale si tendue depuis quelques mois a pris tout à coup l’allure de l’orage qui va éclater. Malgré les efforts tentés par ceux qui voient d’avance les ruines et le désastre et qui ont tout fait pour conserver la paix à l’Europe, les grandes puissances qui nous entourent sont entrées en guerre. À peine remis des plaies de la grande catastrophe de 1914/18, ces mêmes pays vont donner raison au canon et à la mitrailleuse… Et chez nous, petit pays au milieu de la tour­mente, si nous voulons conserver nos foyers et nos libertés, un seul geste est à faire, garder nos frontières et prier Dieu que cet abominable fléau nous soit épargnés.

L’ordre du général

On lit ceci dans les archives: «Ordre du Général: les troupes gardent les frontières, les civils à l’arrière gardent l’activité. Voilà notre tâche assignée clairement; nous allons donc, nous qui avons le privilège de pouvoir rester à la maison continuer notre besogne et maintenir la vie du pays».

Et cette injonction d’Henri Guisan fut suivie à la lettre puisque les procès-verbaux du comité ne firent plus jamais allusion à la guerre jusqu’en 1945, exception faite toutefois pour signifier que des prix avantageux furent concédés aux fourriers des compagnies stationnées dans la région et que certains officiers visitèrent les installations d’encavages.

Pages historiques

Durant cette période, l’exemple des Caves de la Béroche est révélateur. L’exposition permet de mieux cerner tout ce qui caractérisa ces années de guerre pour notre vignoble et ceux qui y travaillaient. Sachons notamment que jusqu’en 1935, année de fondation des Caves de la Béroche, la vendange produite sur le territoire de la Béroche se vendait toujours à un cours inférieur de 5%, voire moins, par rapport au cours pratiqué dans le reste du vignoble.

Le vigneron, qui avait travaillé durant toute une année et qui au prix de grands sacrifices avait mené à bien sa récolte, n’était pas encore au bout de ses peines: il devait encore trouver un acheteur!

Cet acheteur ne se présentait qu’à la veille des vendanges et, chose étonnante, achetait sans fixer de prix, lequel n’était fixé que plus tard lorsque la récolte était déjà dans les vases de l’acheteur.

Frontières fermées

Si, pour le vigneron-tâcheron cette période ne fut pas toute rose puisque son maigre salaire fut dès 1940 encore amputé d’un 2% pour l’allocation de mobilisation alors qu’il ne gagnait que 80 centimes à l’heure, pour les encaveurs les dif­ficultés furent nettement moindres.

Comme les frontières étaient fermées, l’importation de vins étrangers fut stoppée si bien que les consommateurs durent se rabattre principalement sur la production indigène et sur les anciens stocks conservés chez des négociants.

Pour éviter qu’une trop forte hausse des prix ne survienne, la Confédération mit sur pied un organe de surveillance qui contrôlait les dérapages spéculatifs. Toutefois, malgré ses barrières anti-inflationnistes, comme l’offre n’arrivait pas à satisfaire la demande, les vins suisses se vendirent très bien sur le marché indigène, voire à l’exportation, à tel point que, malgré les difficultés de chaptalisation et d’ouillage et leur basse teneur alcoolique, ils étaient vite bus.

1945 dans les mémoires

Cette situation permit à certaines caves d’engranger des bénéfices toutefois rapidement diminués par des investisse­ments nécessaires à l’amélioration de leurs infrastructures.

Du point de vue des récoltes, à part celle de 1940, toutes les autres furent bonnes voire excellentes, à tel point que le mil­lésime 1945 est resté dans les mémoires.

Ainsi il est possible d’affirmer que la viticulture suisse n’a pas souffert économiquement au cours de ces années-là, même si certaines fois un manque de main-d’œuvre s’est fait sentir. On pourrait même dire que, libérée de toute concurrence extérieure, elle a bénéficié d’un protectionnisme singulier qui lui a permis de se moderniser et d’être performante le jour où la guerre s’est terminée.

Pour en savoir plus

Accéder à la publication en référence à l’exposition